Petit drame à la BNP Monaco

Le 25 janvier 2012

BNP Paribas scandalise Monaco. Gino, un riche italien septuagénaire, Stéphanie, éditrice du fanzine local des bling-bling, sont entrés en guerre contre la filiale monégasque de la BNP, un peu spécialisée dans l'évasion fiscale. Enjeu : récupérer 600 000 euros engloutis dans des fonds un peu trop spéculatifs. Un drame humain qui bouleverse l'honnête résident étranger monégasque. Enquête.

C’est l’histoire de Stéphanie Boy. Une Niçoise qui édite un magazine local, plutôt kitsch, sur l’actualité des gens très riches et très bling-bling habitant la Côte d’Azur [pdf]. En 2010, elle bondit à la lecture d’un article du Canard enchaîné [pdf] sur le scandale des obligations argentines proposées par BNP Monaco – des obligations appelées “Tango”. Stéphanie entrevoit la possibilité pour son compagnon Gino C, retraité italien septuagénaire, de récupérer la coquette somme de 600 000 euros qu’il a perdue dans ces titres vendus par BNP Monaco.

Le papier du Canard révélait qu’une cliente avait décidé de porter plainte contre l’établissement financier, qui se dénommait alors UEB Bank et était une filiale commune à la BNP et à la Dresdner Bank. Afin de récupérer l’argent englouti dans ces obligations considérées comme très risquées. À juste titre : en 2001, l’Argentine avait fait faillite. Un banquier adepte des positions risquées, était mis en cause, Pascal Stillitano. Il aurait ainsi permis à la banque d’encaisser de substantielles commissions.

Plusieurs clients italiens n’ont pas hésité à porter plainte. Dans un premier temps,  Gino tente un accord à l’amiable avec la banque, qui refuse. Il les menaces de porter l’affaire devant la presse, sans succès. Conséquence, un article parait en décembre dernier dans Libération.

Avec un peu de pathos dans le storytelling de Stéphanie Boy : “Gino voulait placer son argent comme un bon père de famille et ils lui ont refourgué des obligations argentines, se plaint-elle. Après coup, même s’il n’est pas à la rue, il a fait une grosse déprime.” Une grosse déprime qui ne l’empêchait pas de faire des sketches en 2008 devant la caméra de sa compagne… Dans la foulée, Gino assigne la BNP Paribas Wealth Management Monaco (le nouveau petit nom de BNP Monaco) et réclame 700 000 euros, comme le montre le document ci-dessous.

Le Duce

Notre retraité plaide d’une part le défaut de conseil, aiguillé par la jurisprudence. D’après Libération, sur les quatre cas portés devant les tribunaux, un seul aurait gagné, sur ce point-là. La cour d’appel de Monaco a condamné cet automne la banque à verser 80 000 euros. Les trois autres ont été déboutés car il a été démontré que les clients avaient bien passé les ordres, contrairement à leurs allégations.

D’après les courriers internes que s’est procurés OWNI (ci-dessous), la maison-mère, basée à Genève, avait alerté Monaco sur le caractère hautement spéculatif des obligations argentines. À tel point qu’elles avaient été retirées des porte-feuille des clients sous mandat de gestion. Mais le banquier Pascal Stillitano, aurait continué d’en acheter jusqu’en 2001, fort de son statut et de sa propre conviction. Nous avons tenté en vain de joindre Pascal Stillitano, qui a quitté la BNP fin 2003 après un départ négocié. D’après un ancien collègue :

On l’appelait le duce, il avait réussi un coup de maître dans les années 90 en achetant sur le marché secondaire des obligations russes à 20-30% qui ont été remboursées à 100%. Il faisait la moitié du PNB de BNP Monaco. Mais il y croyait lui-même à ces junk bonds, il en avait acheté pour lui et son frère et ils ont tout perdu.”

Cette jurisprudence sur la notion de “défaut de conseil” fait s’étrangler la BNP : “Ce jugement instaure une obligation de déconseil. Nous avons le devoir d’informer mais ensuite nous ne devons pas nous immiscer dans les affaires des clients.” L’assignation de Gino reproche aussi à la BNP d’avoir agi dans son dos : “des opérations d’achat et vente ont été pratiquées de manière discrétionnaire par la banque sur ses avoirs déposés.” Mais l’acte juridique précise : “Monsieur GC [...] souhaitant tirer un trait sur ce douloureux épisode, s’est débarrassé de l’intégralité des documents bancaires en sa possession.”

La banque répond que son client avait signé “une décharge relative aux instructions transmises par téléphone, télégramme, télex et télécopieur, pour acceptation des ordres de la part de la Banque et que les relevés des 7 novembre 2003 (avant le transfert d’une partie des avoirs à destination du compte de M. C) et 6 octobre (date de l’ordre de vente des obligations argentines) ont été signés et entérinés par M. C.” En clair, le client était au courant de ce qui se passait sur son compte d’après la BNP.

L’établissement opposerait son arrogance face aux clients mécontents. Interrogé par OWNI, Stéphanie Boy, qui se démène pour faire connaître les déboires financiers de Gino, affirme que le conseiller juridique de BNP lui aurait dit :

Nous à Monaco, on ne craint rien.

Parallèlement, en novembre, un blog anonyme signé d’une mystérieuse Françoise Zorro fait son apparition. Il reprend notre affaire depuis le début, vidéos à l’appui, c’est l’émission Fight for your rights :

Sur ce blog, le dernier billet en date est une lettre ouverte à Baudoin Prot, le président de BNP Paribas, avec en copie le prince Albert II de Monaco. Outre le dossier argentin, il porte de graves accusations – sans apporter de preuve – concernant les pratiques de la banque :

“- la banque avait pour seule logique  la logique du profit, au détriment de la recherche de la protection des intérêts de ses clients; en effet sur chaque opération de vente ou d’achat, les commissions très élevées et souvent surfacturées ne profitaient qu’à la BNP PARIBAS ( ex UEB)

- c’est un vaste  système de fraude en bande organisée sur les commissions et rétrocommissions qui a été mis à jour.”

Et de menacer :

“On peut se demander à juste titre si un tel système ne continue pas à prospérer jusqu’à aujourd’hui

Pour ce faire, nous communiquerons toutes ces informations aux avocats des victimes de la BNP PARIBAS MONACO, afin qu’ils demandent  que soient saisies les boites vocale et  mails de plusieurs employés de la bnp Paribas au premier novembre 2003 et au mois d’aout 2010, car ces enregistrements contiennent les preuves de ce que nous affirmons.”

Ces propos ne semblent pas inquiéter outre mesure la BNP, qui préfère appliquer sa tactique éprouvée du silence. Dernier épisode, un plaisantin se serait amusé à contacter la direction de BNP sur ce sujet en se faisant passer pour Michel Pébereau avec un faux compte mail ouvert sur Yahoo. Piège grossier mais qui aurait fonctionné.

Plusieurs hauts responsables y ont répondu : Jacques d’Estais, le directeur général adjoint, Paul Perraudin, responsable de la conformité, des affaires juridiques et du contrôle permanent en Suisse (dont dépend BNP Monaco), Dominique Roy, directeur de BNP Monaco, et Pascal Boris responsable Europe internationale de BNP Paribas Wealth Management. Interrogée, la banque a reconnu implicitement que le subterfuge avait marché : “les réponses ont été envoyées par erreur.” Et affirme ne pas savoir qui est à l’origine du mail trompeur.

La note évoquée dans ce mail, qu’OWNI s’est procurée, n’est pas vraiment à l’avantage des riches plaignants. On y apprend que quinze clients en contact avec Pascal Stillitano ayant souscrit ces titres ont fait des réclamations, “lesquelles avaient fait l’objet de déclarations d’incidents pour un total de 2,8 millions d’euros.” Un seul a obtenu une indemnisation parce qu’il avait souscrit les obligations en 2005, après la faillite de l’Argentine, ce que la banque ne lui avait pas dit. Sinon “dans la majorité des cas, les réclamations ont été clôturées”. La banque s’est retrouvée devant les tribunaux cinq fois, deux plaignants ont été déboutées en 2006 et 2007, pour trois autres les procédures sont en cours (dont une sur appel de la banque).

BNP Monaco n’est pas le seul établissement dans cette situation : la note évoque le Crédit foncier de Monaco. Mais là encore “deux jugements de 2006 et 2007 ont rejeté les prétentions du demandeur.” Le cas de Gino ne semble pas les inquièter pas outre-mesure : “La lettre de réclamation adressée en août 2011, qui faisait référence à des articles de presse, fait penser à une réclamation d’opportunité, le client ayant attendu plus de dix ans pour porter ses griefs à notre connaissance, et ses demandes portent en partie sur des souscriptions qui avaient été réalisées dans des établissements concurrents.” “D’un point de vue juridique, celui-ci ayant assigné la Banque, les éventuels dédommagements dépendront du jugement qui sera rendu par les tribunaux Monégasques.

D’un point de vue psychologique, compte-tenu des informations mentionnées dans son dernier message, nous sommes disposés, comme nous l’avons fait précédemment, à éventuellement recevoir le client pour l’écouter et nous expliquer à nouveau avec lui.”

Stéphanie Boy fait valoir qu’en Italie, les banques ont été condamnées à de nombreuses reprises pour avoir fait acheter à leurs clients des obligations Tango. Mais pas vraiment à Monaco.


Illustration de couverture par Marion Boucharlat et Ophelia Noor pour Owni /-)
Photo par Debbie Li (cc) via Flickr

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