Les données, arme fatale des élections américaines

Le 23 avril 2011

Contrairement à ce que certains pensent, le champs de bataille numérique de la prochaine élection américaine ne concerne pas tant la maîtrise des réseaux sociaux que celle des données. Et dans ce domaine, les Démocrates ont encore une longueur d'avance.

Article initialement publié sur TechPresident sous le titre “Election 2012: It’s not Facebook. It’s the Data, Stupid.”, et repéré par OWNI.eu

Tous les liens sont en anglais.

Le président Obama, l’ancien gouverneur du Massachusett, Mitt Romney et l’ancien gouverneur du Minnesota Tim Pawlenty ont annoncé qu’ils se présenteraient à la présidence de 2012 et ont lancé leur sites de campagne. Un autre concurrent majeur, Sarah Palin, a également dévoilé une nouvelle version de son site SarahPac. On peut désormais avoir un aperçu de ce à quoi va ressembler l’élection de 2012 sur Internet. Et jusque-là, les médias traditionnels passent à côté.

Contrairement aux élections de 2008 – il fallait encore pousser les journalistes à s’intéresser à l’émergence d’Internet en tant que champs de bataille de la campagne – cette fois, tout le monde est déjà convaincu. Pour ces élections, contrairement aux précédentes, tout le monde a fini par comprendre que ce sont les véritables liens tissés avec les électeurs qui sont à l’origine de l’engagement politique. C’est ce type d’enjeu qui transforme des personnes soutiens lambda d’un candidat en personnes qui frappent aux portes et font des dons.

Jusque-là, la plupart des traitements médiatiques de l’aspect technologique de 2012 s’est surtout porté sur l’utilisation par les candidats de médias sociaux comme Twitter et Facebook. Après avoir minimisé pendant des années l’importance des leaders d’influence que peuvent être les blogs politiques et les réseaux sociaux, il y a bien une chose dont les médias classiques semblent certains: la bataille présidentielle va, en partie au moins, dépendre de la capacité des candidats à être présents sur Internet.

Dans leur approche pourtant, ils ont surestimé la réduction de l’écart technologique par les Républicains face aux Démocrates, et glosent sur la façon dont fonctionnent d’importantes plateformes comme Facebook. Au final, ils donnent une image trompeuse qui occulte les avantages significatifs dont dispose actuellement Obama dans la campagne.

À titre d’exemple, ce gros titre du Los Angeles Times Twitter, Facebook and YouTube now crucial to presidential campaigns [NDLR : Twitter, Facebook et Youtube désormais d'une importance capitale dans la campagne présidentielle]. Le National Journal renchérit avec ce titre : “Candidates Vie to Star in ‘The Social Network,’ 2012 Edition” [NDLR : La lutte des candidats pour être les stars de "The Social Network", version 2012]. “Les médias sociaux sont devenus une force capitale dans la politique actuelle”, explique la journaliste du Los Angeles Times Seema Mehta. Elle ajoute que le succès du mouvement du Tea Party et du Républicain Scott Brown dans la course aux sénatoriales dans le Massachusetts s’explique par l’utilisation des “connexions des médias sociaux” et signifient que les Républicains vont eux aussi en bénéficier.

Lors des dernières élections de mi-mandat, les Républicains ont rattrapé les Démocrates dans la maîtrise technologique et l’utilisation des réseaux sociaux, et aujourd’hui beaucoup d’élus républicains utilisent ces outils davantage que les Démocrates, selon Jennifer Preston dans son article Republicans Sharpening Online Tools for 2012 [NDLR : Les Républicains affutent leur maîtrise des outils en ligne pour 2012], paru dans le New-York Times.

Une fois encore le message consiste à dire que les deux partis sont à égalité.

L’avance démocrate

Certains vont même plus loin encore, considérant l’adoption croissante du réseau social par les Républicains comme un signe de la vulnérabilité d’Obama. C’est ce qu’estime Byron Tau dans Politico :

Les e-mails et les blogs sont aujourd’hui dépassés. Maintenant que tout le monde est sur Facebook, la réélection d’Obama ou l’élection de ses concurrents républicains passera par un investissement bien plus important de ces espaces médiatiques sociaux.

Permettez moi de penser autrement. D’après un certain nombre de conversations que j’ai eu avec des stratèges politiques online, aussi bien républicains que démocrates, la sagesse populaire du moment se trompe. Facebook et autres réseaux sociaux ne sont pas le champs de bataille principal. Ce sont les données et la capacité à utiliser des stratégies en ligne qui convaincront des volontaires motivés à se faire connaître, et à persuader les gens d’aller voter.

La vérité, c’est que dans l’élection de 2012, qui promet d’être un combat acharné, Obama a deux avantages. Il part avec une avance énorme pour ce qui concerne l’infrastructure en ligne – une base massive si vous voulez – et donc les données. Même si la liste d’e-mails des 13 millions de membres a un peu vieilli et les taux d’ouverture ont sans aucun doute décliné, il mène toujours la course grâce au nombre de ses contacts. Rien de ce que font actuellement les Républicains sur Internet ne s’en approche. Personne d’autre, par exemple, ne détient une plateforme de type my.barackobama.com (myBO) où les supporters peuvent créer leurs propres blogs, des pages de levées de fonds, ou organiser des fêtes ou des groupes en ligne. Une plateforme où les données fournies offrent aux managers de campagne un véritable trésor d’information concernant l’intérêt des gens et leur activité.

Le candidat le plus proche d’Obama en terme de sophistication technologique est Pawlenty. Il a étendu “Multiply”, la plateforme pensée par EngageDC, qui donne aux soutiens des points notamment lorsqu’ils connectent leurs comptes Twitter ou Facebook à la campagne.

L’une des raisons de l’écart technologique est l’argent. Comme me le disait un vétéran républicain de la stratégie en ligne :

les gens oublient combien cela coûte à développer [my.B.O].

Les estimations approchent les millions, engagés au fil des années par l’équipe Blue State Digital qui n’a cessé d’apporter des améliorations à un modèle créé en 2003. “Je doute sincèrement qu’un seul des opposants républicains ait l’argent pour développer une chose pareille” a-t-il ajouté. Le RNC [comité national républicain] aurait pu investir dans le développement d’une telle plateforme ces dernières années, mais manifestement, les priorités étaient ailleurs.

Facebook: son potentiel…

Les plateformes de réseaux sociaux comme Facebook sont évidemment importantes, aussi bien en tant que moyen pour les équipes de campagnes de trouver des supporters potentiels qu’en tant que moyen pour les supporters d’influencer leurs amis. Mais elles ne constituent pas l’environnement idéal pour l’organisation politique ou pour le rassemblement de données permettant de cibler efficacement l’électorat… Alors que les détenteurs de pages Facebook se vantent du nombre de “likes” qu’ils ont, on ne peut pas trouver les données relatives à l’engagement politique sur Facebook, même les plus simples. Les administrateurs de pages Facebook ont accès à des analytics indiquant les billets les plus appréciés, le nombre de commentaires et la typologie générale, mais les informations sont anonymisées et agrégées. Seules les campagnes Obama et Pawlenty semblent avoir compris cet aspect central.

Prenez l’application Facebook “Are you in” qui faisait partie de la campagne d’Obama lancée récemment. Apparemment, c’est un outil soigné qui non seulement permet aux supporters d’Obama de déclarer leur soutien à la réélection du président, mais présente aussi immédiatement une liste de leurs amis également engagés et les invite à joindre facilement les autres. Mais sous la surface se joue quelque chose d’encore plus puissant. La première fois que vous utilisez l’application, elle demande votre permission d’ajouter les informations vous concernant (comme votre nom, vos photos, genre, réseaux, votre liste d’amis, et “n’importe quelle autre information” laissée ouverte sur Facebook). Elle demande également votre permission de lister votre date d’anniversaire, votre ville actuelle, et la possibilité de vous joindre par mail et à poster sur votre mur. (Certaines de ces fonctionnalités peuvent être limitées, mais la plupart sont requises à l’utilisation de l’application).

La campagne Pawlenty cherche également à connaître toutes ces informations lorsque vous vous enregistrez sur PawlentyAction, mais demande aussi à pouvoir poster sur votre mur et votre fil d’information. Déplaisant. J’ai tenté de trouver les “conditions d’utilisation” de l’application mais la page s’avère introuvable. En fouinant dans les paramètres de confidentialité, vous pouvez trouver les informations qui ont été récemment fournies à une application. D’après les règles d’usage de Facebook, cette information n’est pas censée être sauvegardée plus de 24 heures. Reste à savoir si les équipes de campagnes respectent effectivement cette règle.

Pourquoi est-ce si précieux ? Un stratège démocrate explique :

Désormais, Obama peut par exemple utiliser sa liste pour envoyer un message à chaque femme de 35 ans ou plus qui s’est identifiée sur Facebook comme démocrate et a plus de 500 amis et les inviter à s’engager, m’a expliqué un stratège démocrate. Ou contacter des hommes républicains new-yorkais avec un message de la part d’un expéditeur qui pourrait avoir de la résonance comme Mike Bloomberg.

125.000 personnes ont déjà autorisé la campagne Obama à accéder à leurs données Facebook. Environ dix fois moins pour la campagne Pawlenty.

Tous les consultants républicains auxquels j’ai parlé ont admis que leur camp n’avait pas encore trouvé comment collecter et intégrer une base de donnée comparable à celle dont dispose l’équipe Obama grâce à myBO et Facebook. “Le problème c’est qu’ils ne comprennent pas le niveau technologique nécessaire à l’élaboration de myBO”, m’a confié un développeur conservateur, déplorant la conversation actuelle au sein du camps conservateur. “Ils en parlent, mais quand il s’agit de mettre au point quelque chose de ce niveau, ils ne le comprennent pas.”

Il a ajouté :

Généralement, les personnes tournées vers la technologie sont de gauche. La plupart du temps ce ne sont pas des Républicains. Dans le camp républicain, on a beaucoup de marketers orientés vers la technologie, pas des gens qui savent coder.

… et ses limites

En outre, comptabiliser les “likes” sur Facebook et les followers sur Twitter ne fait de mal à personne, mais ces chiffres ne traduisent pas forcément une réalité quant aux nombres de volontaires concrètement engagés sur le terrain. “L’idée c’est de récupérer des données dans le but de mobiliser, et l’intérêt de mobiliser, c’est de conduire nos activistes à persuader des votants par téléphone ou en faisant du porte à porte”, m’a dit un autre stratège républicain. “Trop souvent, les gens pensent que la récupération des données sert à persuader, mais les indécis ne visitent pas les sites de campagne et ne s’inscrivent pas sur des listes d’e-mails. Et quand bien même j’avais des données concernant ces indécis, j’irais plutôt les approcher avec un activiste, chez lui, plutôt qu’avec une bannière publicitaire”, a ajouté le développeur républicain.

Pendant cette campagne, il sera question d’un ciblage plus précis que jamais auparavant, capable d’impliquer un maximum des personnes. Vous pouvez recevoir 500 messages Facebook par jour, ou des e-mails, mais combien de personnes vont venir frapper à votre porte ?

De telles nuances pourraient ne pas autant compter pour des “mouvements”, comme celui de Palin, si elle se présente véritablement. Comme Obama en 2008, Palin, plus que n’importe quelle autre Républicain a compris comment utiliser les nouveaux médias pour communiquer directement à sa base, court-circuitant ainsi les filtres médiatiques. Mais dans une course serrées, la capacité à générer des listes précises de volontaires prêts à aller frapper aux portes pourrait donner un avantage de quelques points. Et c’est pour cela que toutes les données possibles concernant qui ils sont et ce qu’ils aiment sont bonnes à prendre.

Beaucoup d’autres facteurs vont sans aucun doute définir la bataille de 2012. Le rôle de groupes extérieurs, le côté imprévisible de ce que vont eux-même produire les électeurs, le fait que le terrain des Républicains est assez fragmenté et plutôt faible, et le calendrier des primaires : tout cela pourrait favoriser les entrants tardifs qui bénéficieraient du caractère volatile de la politique en ligne. Et Obama n’est clairement plus dans la position de créer une organisation de rupture. Finalement, il demande à ses électeurs de la constance, pas du changement.

Mais tout cela sera discuté plus tard. Maintenant, dans les premiers jours de la course, si l’on considère le rôle que joueront Internet et la technologie, l’avantage ira forcément au camps qui détiendra les force stratégiques et la sophistication technologique les plus puissantes.



> Illustrations: captures d’écran de l’application Facebook “Are you in” / capture d’écran Twitter / capture d’écran de PawlentyAction

> Traduction Hélène David

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