16 ans au parloir, 18 ans dans l’isoloir : la contradiction de la réforme Estrosi

Le 24 janvier 2011

Avec la majorité pénale à 16 ans, Christian Estrosi stigmatise toute une classe d'âge. 85% des mineurs délinquants ne récidivent pas après leur majorité, prévenir la délinquance juvénile et la récidive par la prison erreur ou pas?

C’est un lieu commun que de relever qu’à moins de 18 mois des élections présidentielles de 2012 tout est pensé, dit, mis en œuvre dans cette perspective chez eux qui aspirent à l’emporter. A l’orée de l’été le président de la République avait remis une feuille de route très claire dont tous les grands médias s’étaient fait l’écho : pendant l’été il fallait « cliver » l’opinion. On n’a pas été déçu du voyage ! On en a payé le prix fort en interne et à l’international avec l’attaque anti-roms.

Aujourd’hui, le nouveau leader des députés UMP s’en prend à la fonction publique en remettant en cause de manière radicale le statut des fonctionnaires. Et bien évidemment le terrain de la sécurité offre une foultitude de pistes, souvent exploitées dans le passé, mais toujours susceptibles de faire recette dans la mobilisation médiatique de l’opinion. Et encore plus quand il s’agit déjà de reconquérir l’électorat droitiste perdu.

Estrosi, propositions…

Le président lui-même reprend sa vieille idée de juges populaires élus auprès des juges correctionnels et des juges de l’application des peines quand, dans son coin, apparemment en flibustier, Christian Estrosi agite à nouveau le spectre de la délinquance juvénile qui met à feu et à sang le pays en toute impunité. Pour le maire de Nice, en phase dans l’analyse avec le président, la jeunesse d’aujourd’hui serait différente de celle d’hier. il conviendrait donc de lui appliquer un droit différent : à tout dire celui des adultes qui serait plus performant.

Il propose déjà de revenir sur deux l’idée qui a dominé le XX° siécle depuis 1912 qui veut qu’un enfant ne doive pas être puni comme un adulte.

Il entend supprimer le bénéfice de l’excuse de minorité qui fait qu’une personne de moins de 18 ans encourt une peine moitié moins élevée que celle encourue par un majeur qui aurait commis des faits analogues : un an et demi pour un vol simple quand la peine est normalement de 3 ans, 2 ans et demi pour un vol avec violence au lieu de 5 ans, 3 ans et demi si ce vol avec violence est commis en réunion et pour peu qu’il soit commis dans un lieu destiné aux transports voyageurs la peine est de 5 ans quand pour un adulte elle pourrait être de 10 ans. Précisons que cette règle n’empêche pas un mineur d’être plus sévèrement puni qu’un majeur s’il a eu une part plus importante dans l’action delictuelle commune.

Estrosi, action!

La proposition Estrosi ne vise que les 16-18 ans. En l’état elle épargne les moins de 16 ans pour lesquels cette réduction de la peine encourue est en toutes circonstances acquise : un moins de 16 ans ne peut pas être tenu pour un adulte. En revanche, le principe serait de punir systématiquement les 16-18 ans comme des adulte saufs à ce que le juge des enfants maintienne qu’ils n’ont pas la maturité d’un enfant.

Concrètement, et c’est la deuxième proposition Estrosi, les 16-18 seraient renvoyés devant un tribunal correctionnel normal pour être jugés, sauf à ce que le juge des enfants qui a instruit le dossier s’y refuse, mais il lui faudra se justifier.

En langage commun avec ces deux préconisations il s’agit bien d’abaisser a priori la majorité pénale à 16 ans au prétexte affirmé, mais pas démontré de l’évolution de la psychologique des jeunes. De même affirme-t-on que cette reforme serait conforme aux grands principes du droit et à l’ordre international auquel la France a adhéré.

Surtout ne pas laisser l’idée germer chez les parlementaires

On pourrait négliger ce projet et son argumentaire en considérant qu’une telle réforme n’a quasiment aucune chance d’être votée au regard déjà de l’ordre du jour parlementaire, avec un gouvernement et des élus qui doivent déjà faire face à la nécessité d’une réforme de la garde à vue, qui doivent se positionner sur le statut du parquet avant d’envisager de s’attaquer, réforme qui tient à coeur du président, à la suppression du juge d’instruction.
La barque était déjà bien chargée pour une année qui doit certes être utile, mais qui on le relèvera aussi ne peut pas être concentrée sur la justice. Elle l’est encore plus qu’il faut d’ici un an introduire les juges correctionnels populaires et montrer que ce dispositif peut fonctionner.

Il faut pourtant mener le combat des idées afin de ne pas laisser s’installer insidieusement l’idée que M. Estrosi pourrait avoir raison sur un quelconque point quand il a tort sur l’ensemble.

Eléments pour un contre-argumentaire

Premier élément du constat faux : les 16-18 ans ont désormais une maturité d’adultes et non plus d’enfants.

Il va de soi qu’on doit se méfier des généralisations. Certains peuvent être mûrs très tôt et faire preuve de très grand sens des responsabilités – conf. la période de la Résistance – quand d’autres à 77 ans sont encore des enfants.

Si M. Estrosi est si sûr de lui pourquoi n’en tire-t-il pas la conséquence en proposant l’abaissement de la majorité politique à 16 ans comme certains l’ont déjà fait dans le passé (les jeunes UDR, François Dolto). Il suffit de relire son texte pour en mesurer la vacuité. On affirme, on ne démontre pas.

Un mineur de 1945 n’est plus un enfant en 2010 ! C’est d’ailleurs la raison qui a conduit les majorités successives à confier de plus en plus de responsabilités aux jeunes : abaissement de la majorité civile à 18 ans, création de la conduite accompagnée qui permet de conduire dès 16 ans, abaissement de l’âge pour devenir député à 18 ans voté à l’assemblée dans un texte en cours de discussion.

Bref, le seul exemple valable est tiré de la conduite assistée. Quelle rigueur scientifique et politique. Un peu plus loin – rigueur dans la pensée et dans l’écriture ! – M. Estrosi avance que

Cela parait plus en phase avec la réalité de notre temps et permet de coordonner la majorité pénale avec l’âge de la non obligation de scolarisation et l’âge légal du travail.

Travailleur, délinquant mais pas électeur ! Cherchez la cohérence.

Deuxième argument : la délinquance des moins de 18 ans a augmenté de 16,19 % entre 2004 et 2008.

Vrai en valeur absolue ; faux en valeur relative. La part de la délinquance des moins de 18 ans dans la délinquance globale décroit depuis 2000. Elle était de 16% dans les années 80 pour monter à 20,4 % en1999 et décroitre en 2008 à 17%. En d’autres termes, non seulement la délinquance de adultes reste de 4 fois supérieure à celle des moins de 18 ans, mais elle reprend plus d’ampleur dans la dernière période.

M. Estrosi vise peut être les jeunes adultes de18-25 ans, mais cela ne concerne pas les moins de 18 ans !!!! Dit autrement : où est l’actualité sociologique d’une réforme qu’on présente comme révolutionnaire ? On est bien purement et simplement dans l’idéologie.

Troisième argument : la proposition de loi Estrosi se veut innovante.

Il estompe qu’en 2007 deux lois (mars et septembre) sont venues élargir considérablement les possibilités de retirer l’excuse atténuante de minorité aux 16-18 ans auteurs de délits ou de crimes introduite en 1992. Non seulement le juge peut considérer comme par le passé qu’au moment du délit le jeune de 16-18 ans a fait preuve d’une maturité digne d’un adulte, mais il peut encore s’attacher à la gravité de l’acte commis lui-même, ce qui est déjà aberrant. Mieux, la loi retire automatiquement le bénéfice de l’excuse de minorité au jeune en double récidive légale quitte au juge a lui en restituer le bénéfice s’il trouve des argument dans le dossier (et s’il est près à en assumer la responsabilité publique quand il sera interpellé). Ces deux réformes, l’une votée avec M. Sarkozy comme ministre de l’intérieur l’autre avec M. Sarkozy comme président de la République, étaient-elles aussi mal évaluées par leurs auteurs qu’il faille les revoir 3 ans plus tard?

Quatrième argument : tout cela est conforme à la Constitution et à l’ordre international.

M. Estrosi affirme avoir beaucoup travaillé sur ce point. Là encore il est léger.
Dans sa décision du 29 août 2002 le Conseil Constitutionnel considère que

constituent des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, ayant à ce titre valeur constitutionnelle en vertu du Préambule de la Constitution de 1946, les principes de l’atténuation de responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, de la primauté de l’action éducative, s’agissant de la «nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité» et de la spécialisation des juridictions et des procédures concernant les mineurs.

Ainsi la loi de 1906 qui fixe à 18 ans la majorité pénale est un grand principe de constitutionnalité

Le risque encouru? Stigmatiser les jeunes

Le Conseil Constitutionnel n’aurait pas à pousser très loin les investigations sur les intentions du législateur. M. Estrosi l’assène :

Ces deux mesures reviendront à abaisser dans la plupart des cas l’âge de la majorité pénale à 16 ans.

De même le Conseil entend-il garantir la spécificité de la justice des mineurs à travers des magistrats spécialisés. Il censurerait le renvoi devant un tribunal correctionnel auquel la Commission Varinard elle-même avait renoncé dans le rapport remis le 3 décembre 2008.

Nous avons ratifié la Convention internationale sur les droits de l’enfant en adhérant à la majorité civile et pénale à 18 ans. Ce texte fait un sort spécifique aux enfants parce que justement ce sont des enfants. Ce serait fantastique de voir la France revenir sur son engagement. Là encore n nous porterions un sacré coup de canif – un de plus – à notre fond de commerce international de patrie auto proclamée des Droits de l’homme.

On peut argumenter et polémiquer sur tout cela. La réalité est bien connue de ceux qui réellement se sont penchés sur le dossier et ne sont pas dans des enjeux électoraux où il faut agiter la peur d’une partie de la population en détournant son attention des vrais problèmes du pays. On doit refuser le discours sur les jeunes, (avec l’amalgame enfants et jeunes majeurs) responsables de tous nos maux, ne respectant pas l’autorité, pour ne pas viser les jeunes de certains quartiers et ceux issus de l’immigration récente !

Et dans la réalité, les faits ne sont pas si sombres

On peut résumer simplement les données du problème « Prévenir la récidive des enfants délinquants». Les lecteurs réguliers de ce blog ne seront pas surpris.
Là encore on ne peut pas faire l’économie de les réaffirmer :

- La loi est plus performante qu’on le dit pour avoir été régulièrement révisée. Il ne faut pas la révolutionner au point de supprimer le sort particulier fait aux enfants avec le souci d’etre non pas angélique, mais performant, les techniques appliquées aux adultes ne peuvent pas fonctionner pour eux. Il ne faut pas changer la loi, mais réunir les moyens pour la servir ;

- Avant d’être judiciaire, le problème est policier : le taux de réussite de la police est de moins de 30% !

- L’enjeu n’est pas tant de punir que de mettre en œuvre les mesures éducatives décidées. Ce qui est loin d’être le cas : on manque de structures d’accueil pour les jeunes que l’on veut éloigner et le milieu ouvert n’a pas les moyens nécessaires. Les délais de mises en œuvre des mesures restent trop longs.

- Il faut s’inscrire dans la durée : vouloir revenir en quelques temps sur des années de dégradations relève de l’utopie, de même qu’on ne peut pas soigner une maladie grave en 5 mn avec un cachet d’aspirine ;

- Il faut imaginer des réponses sur mesure pour les jeunes vraiment inscrits ou en passe de s’inscrire dans la délinquance ;

- Il faut mobiliser les compétences parentales et non pas les dégrader et les pénaliser ;

- Il faut valoriser les compétences des jeunes et non pas vouloir les mater ;

- Il faut souvent les soigner avant de les punir ;

- Surtout il faut leur donner de l’espoir de pouvoir vivre autre chose et déjà leur offrir de faire un long bout de route avec des adultes qui croient en eux et dans lesquels ils se reconnaissent.

- S’ils suffisaient d’incarcérer les enfants pour éradiquer le crime cela se saurait depuis longtemps. Des hommes ( et des femmes) plus que des murs reste le vrai slogan à retenir.

A quelques détails près, telles sont les pistes à suivre pour répondre à la délinquance acquise des moins de 18 ans. Je ne reprends pas ici l’autre démarche qui vise à prevenir la primo-délinquance.

Interrogeons nous et vérifions si les conditions sont déjà réunies pour mettre en place ce programme. J’observe que malgré toutes les fausses critiques qui lui sont adressées (absence de réponse judiciaire, laxisme, lenteur, inefficacité etc.), notre justice tient la barre et contribue à protéger la population et à rendre justice aux enfants mais aussi aux victimes.

Je ne relèverai qu’un point : 85% des jeunes personnes délinquants le temps de leurs enfants ne le sont pas après leur majorité. On est loin d’échouer.
Ce n’est pas en abaissant la majorité à 16 ans, à 14, à 10 voire à 3 ans comme je le proposais avec un brin d’humour qu’on éradiquera le crime, mais en menant une politique pénale de réinsertion fondée sur l’éducation, ce qui n’exclut pas la fermeté.

C’est sûrement plus facile de voter un texte de loi. Mais ce n’est pas protéger la population, réellement.
Même la commission Varinard n’a pas osé tordre le cou aux réalités comme M. Estrosi le fait. On est dans la démagogie pure et dure. Espérons que l’électeur s’en rendra compte car nous n’en sommes qu’aux hors d’œuvre de la campagne.

A lire pour ceux qui m’accuseraient d’anti-UMP primaire: un écrit commun sur le sujet avec un député UMP [Claude Goasguen]

Billet initialement publié sur Jprosen sous le titre Cap2012: on recharge les accus sécuritaires

Illustrations Flickr CC Luigipics, FloridaMemory, State Library

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