OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Vidéosurveillance à acceptation variable http://owni.fr/2012/01/02/videosurveillance-a-acceptation-variable/ http://owni.fr/2012/01/02/videosurveillance-a-acceptation-variable/#comments Mon, 02 Jan 2012 14:12:15 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=91203 La chose serait entendue, à grands coups de sondage : les Français dans leur grande majorité, sont favorables à la vidéosurveillance sur la voie publique. Pour Murielle Ory, doctorante en sociologie sur l’acceptabilité sociale de la vidéosurveillance à l’université de Strasbourg, la réalité est beaucoup plus complexe. Ses recherches, basées sur une enquête qualitative, montrent que l’acceptation varie selon le contexte. Et in fine, “c’est la valeur que les vidéosurveillés attribuent à l’image de leur corps dans les différents espaces filmés qui apparaît en filigrane dans la construction d’un jugement sur la légitimité de la caméra.”

Aujourd’hui, on a le sentiment que la vidéosurveillance est un outil largement accepté, y compris sur la voie publique. Ce sentiment reflète-t-il la réalité ?

Dans l’historique de la controverse publique sur la vidéosurveillance, la légalisation de la caméra dans l’espace public a toujours été la plus problématique aux yeux de la population vidéosurveillée. J’oppose lieu public et lieu privé : mes enquêtés estiment que les propriétaires d’un lieu privé, un supermarché, par exemple, sont libres de décider d’une implantation. Le statut privé du lieu intervient dans le sens où le vidéosurveillé peut considérer qu’il n’est pas chez lui, il est l’invité du supermarché et n’a donc pas à interférer avec une décision d’implantation.

À l’inverse, lorsqu’il s’agit de vidéosurveiller la rue, lieu public par excellence, les choses sont moins évidentes parce qu’une partie de la population éprouve un fort attachement à la rue, au mythe de la rue, elle a une grande force symbolique. Le rejet ou l’acceptation varie en fonction de l’usage qui en est fait.

Généralement, la vidéosurveillance est acceptée quand la rue est conçue comme un simple couloir de circulation. Elle est refusée quand on la considère comme un espace de rencontre, un espace de discussion ou un lieu d’expression politique parce que la rue joue un rôle vital dans l’exercice de la liberté d’opinion et d’expression. Dans les entretiens, les références à l’occupation allemande apparaissent le plus souvent : l’activité des résistants français aurait été impossible ou du moins beaucoup plus compliquée si les vidéos de voie publique avaient été présentes.

La vidéo de voie publique est rejetée par ceux qui disent vouloir vivre leur ville et y séjourner. La vidéo devient un marqueur central de possession, c’est-à-dire un objet placé au centre du territoire que le surveillant veut s’approprier. Cette interprétation est renforcée par le discours des porte-parole des polices qui présentent souvent la caméra comme un outil utile pour reconquérir des territoires qui seraient abandonnés à une population délinquante.

Une commande du ministère de l’Intérieur

La thèse de l’acceptation générale est donc discutable. Elle est véhiculée par le champ médiatique et confortée par des sondages d’opinion. L’enquête faite par Ipsos en 2007 pour le ministère de l’Intérieur est très révélatrice des méthodes que ce type de sondage utilise. Elle indique que 78% des personnes interrogées sont favorables ou très favorables au développement de la vidéo dans les lieux publics pour lutter contre l’insécurité et le terrorisme.

On peut s’étonner de l’imprécision des termes : qu’est-ce que le sondeur entend par lieu public ? Parle-t-il d’un parking public ? D’un parc ? D’une rue dans un quartier résidentiel ? Il suffit de nous projeter dans ces trois espaces pour comprendre que l’impact de la caméra sur la personne filmée n’est pas le même. L’usage de ces trois endroits est différent. L’ensemble des réponses obtenues pour la même question varie selon ce que le sondé entend par lieu public.

De plus, la question attribue d’emblée une fonction à la vidéo, la lutte contre l’insécurité. Le débat entre “pro et anti” porte précisément sur le type de motivation qui guide les décideurs de l’implantation et les opérateurs ensuite. Pour les pro il s’agit de protéger la population, pour les anti, de la surveiller. Je suis d’accord avec l’association Souriez vous êtes filmés que cette question revient à dire si l’on est pour ou contre l’insécurité et le terrorisme. Bien sûr que non donc obligatoirement je devrais être pour la vidéosurveillance ! La réponse est pré-mâchée et exclue toute possibilité de réflexion.

Après, c’est un fait qu’il n’a jamais existé aucun mouvement social d’opposition de masse. On peut essayer de l’expliquer : la présence d’une caméra peut être gênante, agaçante voire vide de sens mais au sens strict, elle n’interdit aucune action. Une ville sous vidéo-surveillance n’est jamais un espace de détention où la caméra prescrirait un type déterminé de comportement. Un dispositif de vidéosurveillance ne fonctionne pas comme un mur qui interdirait matériellement l’accès ou le retrait d’une zone filmée. C’est pour cela que l’opposition reste individuelle. Elle a pu être collective avec des associations comme Souriez vous êtes filmés ou le Collectif de réappropriation de l’espace public (Crep) à Strasbourg mais cela n’a jamais été un mouvement d’ampleur.

Comment définir un opposant à la vidéosurveillance ? Un partisan ?

Les deux partagent un trait commun : ils s’opposent au vidéosurveillé indifférent, dans le sens où tous les deux estiment que rien ou presque n’échappe à l’opérateur. Comme celui qui se croit en insécurité pense que les écrans reliés aux caméras sont constamment observés, il considère pouvoir compter sur l’intervention du surveillant en cas de problème.

La même conviction est responsable de l’émergence de le sensation d’oppression qui justifie le rejet de la vidéo. L’objectif de la caméra, c’est l’œil ubiquiste de Big Brother dans la mesure où il symbolise la puissance visuelle illimitée.

Ces deux catégories forment l’ensemble des surveillés, qui s’opposent aux incrédules qui sont généralement indifférents à la vidéosurveillance. Ils ne croient pas être observés par un opérateur car ils ne croient pas en l’efficacité de la vidéosurveillance. Ils évoquent l’utilisation d’un matériel qui serait peu performant qui fournirait des images en noir et blanc de faible définition.

Croyances sur l’insécurité

Une série de croyances sur l’insécurité oppose aussi le pro et l’anti. La pression du sentiment d’insécurité occupe une place centrale dans le processus d’acceptation. Croire que l’insécurité urbaine est quelque chose de diffus va généralement de paire avec une adhésion.

Plus précisément, le désaccord repose sur la question de la réalité de l’insécurité. Pour le pro, la délinquance et les incivilités augmentent ces dernières décennies alors que pour les anti, cette ambiance sécuritaire est non justifiée parce que construite de toute pièce par ceux qui trouvent un intérêt financier politique ou professionnel dans un sentiment d’insécurité élevé.

Toutefois, la peur n’est pas suffisante pour justifier l’implantation de la caméra. C’est là que les choses deviennent encore plus intéressantes. On peut être convaincu qu’il existe un fort taux d’insécurité et refuser tout de même la vidéo. Ce qui divise alors, ce sont les causes de la violence et à partir de là le type de réponse à apporter pour réagir efficacement. Ceux qui ont peur et sont partisans de la caméra tiennent le délinquant ou le criminel pour seul responsable de ses actes et du climat d’insécurité. Ils considèrent la prévention et le travail social comme des réponses inefficaces à la violence et accusent de laxisme les politiques qui y ont recours. Le recours à la vidéosurveillance dans sa visée dissuasive et répressive est justifié.

À l’inverse, pour ceux qui ont peur mais sont anti, la violence est le résultat de l’insécurité sociale : le chômage et les inégalités. Il n’y a qu’un État social capable d’assurer l’autonomie de chacun qui pourra agir efficacement sur la délinquance. La vidéosurveillance ne sert à rien, au contraire, elle rajoute du sel sur la plaie causée par l’exclusion parce que la caméra est un signe de menace et de défiance vis-à-vis de la population, c’est un perpétuel rappel à l’ordre pour les citoyens.

Existe-t-il des opposants ou des partisans à 100% ?

Je n’ai jamais rencontré un détracteur ou un partisan total. Un militant anti peut être indifférent à la vidéosurveillance dans un supermarché car elle peut être contournée mais si cela implique une réorganisation plus ou moins contraignante des activités quotidiennes. Ce qui est souligné, c’est que la multiplication des caméras dans des lieux différents rend les tactiques d’évitement de plus en plus difficiles.

Un détracteur peut estimer que le sentiment d’insécurité que lui ou d’autres éprouve dans un lieu est légitime. On peut se positionner globalement contre la vidéosurveillance mais comprendre que dans un parking souterrain les usagers et en particulier les femmes peuvent avoir peur car il présente un fort degré de dangerosité.

A contrario, un partisan peut ne pas être d’accord lorsqu’il n’arrive pas à lui attribuer un sens, par exemple si elle est installée dans un café ou dirigée vers la terrasse d’un café. D’une part, on se sent soi-même en sécurité. D’autre part, on voit mal l’intérêt du propriétaire de l’établissement d’installer une caméra. Il est “stupide” – c’est le terme de mes enquêtés – de s’équiper pour lutter contre le vol des verres ou des cendriers. Se projeter sur la terrasse d’un café entraine de la part des partisans deux réactions différentes. Soit de l’indifférence, à la rigueur, on juge que c’est une perte d’argent. Soit une réaction de rejet car si elle ne sert pas à protéger, elle doit servir à surveiller, à épier diront certains, récolter de l’information sur les individus.

On voit de plus en plus se développer des tiers-lieux, entre vie privée et vie publique, comme par exemple les espaces pour manger dans les supermarchés. Sont-ils perçus comme des lieux où la transparence est acceptée ?

J’ai demandé à mes enquêtés de se projeter à la terrasse d’un café, c’est un rejet quasi généralisé. Seuls deux enquêtés, pro caméras, me disent être indifférents en invoquant la possibilité de fréquenter un autre établissement si la caméra les gêne.

Cette opposition généralisée est motivée par la sensation déplaisante liée au risque d’être fixé, épié par le surveillant. Pour le pro vidéosurveillance sur la voie publique, la caméra n’est pas gênante car il est déjà sous les yeux des autres passants : l’espace public est par définition ouvert à la vue de tous. Pourtant en terrasse, les choses sont différentes car cela revient à être immobile pendant un assez long moment et cette immobilité favorise l’émergence du sentiment d’être examiné. De même quand on attend devant un passage piéton ou lorsque l’on fait la queue à la caisse d’un supermarché.

L’art du voir sans voir

C’est logique : le vidéosurveillé ne voit pas le surveillant mais il sait que quand le temps d’exposition est long, l’opérateur a le temps de le dévisager, alors qu’entre les clients du café, le clin d’œil doit prévaloir. Il s’agit en fait d’un code d’interaction qui régit les contacts populaires. La fixité d’un regard dans la vie quotidienne est considérée comme déplacée voire grossière. Il y a donc rejet dans le contexte de la terrasse car quand les gens savent ou croient qu’ils sont fixés par la caméra, la détente et le plaisir sont exclus alors qu’ils caractérisent précisément les activités réservées à cet endroit. C’est comme sur une plage : l’ordre social repose sur l’art du voir sans voir, selon l’expression du sociologue Jean-Claude Kaufmann. Le bien-être et la distraction ainsi que la sauvegarde du caractère intime des conversations passent par l’inattention civile, c’est-à-dire l’adoption d’un comportement neutre, indifférent vis-à-vis de l’environnement. Dans ce cadre, l’opérateur transgresse ces conventions.

Quels critères pour l’acceptation et le rejet se dégagent dans les discours des enquêtés ?

La question de la confiance accordée au décideur de l’implantation arrive d’abord, suivie de la confiance aux opérateurs pour utiliser la vidéo dans son objectif officiel, avec bienveillance en faisant prévaloir le souci du bien public. Être pro pour des raisons de sécurité n’implique pas non plus forcément une renonciation à une certaine part d’opacité, d’accepter de tout montrer de soi à l’opérateur. Ce qui est rendu transparent, intelligible grâce à la caméra, ce n’est pas l’individu surveillé mais le sens de la situation qu’il est en train de vivre sous la caméra. Pour lui, ce que l’opérateur est à même de comprendre, c’est que celui qu’il voit sur son écran est en train d’être agressé par exemple.

Pour le détracteur, le système rend transparent la personne filmée puisque la caméra permet de filmer toutes les informations issues de la communication non verbale et cela sans rien révéler de lui en retour.

C’est ici qu’apparait l’argument phare du rien à cacher, avancé par les partisans : si vous n’avez rien à cacher, la caméra ne devrait pas vous déranger. Pour ceux qui font confiance aux professionnels de la vidéosurveillance, ceux qui n’acceptent pas d’être filmés ne peuvent être que ceux qui ont quelque chose à se reprocher sur le plan légal. Cet argument suppose que les caméras sont implantées dans l’unique but de repérer les délinquants et que les opérateurs font preuve d’intégrité dans leur travail. Dans ce sens, on peut dire que les défenseurs de la caméra ne conçoivent pas le regard surveillant comme étant susceptible d’indiscrétion.

Ce qui explique qu’on assiste au développement des chartes de déontologie…

Oui, de même la formation proposée aux opérateurs, qui est très courte, cinq jours. C’est effectivement une question qui commence à prendre une place importante dans le débat.

Sur le contre-argumentaire des anti, ils reprochent à leurs adversaires de restreindre la question sur la dangerosité de la caméra au contexte politico-judiciaire dans lequel ces systèmes sont implantés à l’heure actuelle. Mais comment être certain que demain on ne commettra aucune infraction à la loi parce que la définition de la légalité aura été modifiée ? Ils pointent le caractère labile des limites de la légalité donc l’impuissance et la vulnérabilité de tous les vidéosurveillés dans un contexte de basculement de la démocratie vers la dictature.

“Le superflu précautionnaire”

L’éventail des informations que l’on peut considérer comme à cacher est bien plus large que la commission d’actes illégaux : tout ce qui concerne la vie privée, l’intimité ou les manières d’exercer les libertés individuelles et collectives. Les limites de l’argument du rien à cacher résident dans ce que le sociologue Michalis Lianos appelle “le superflu précautionnaire”: toutes les informations récoltées par le dispositif sur des comportements qui ne concernent en aucun cas les finalités institutionnelles réservées au dispositif. Le superflu précautionnaire réside de la capacité technique de la caméra à filmer et enregistrer tout ce qui se déroule dans son champ.

Naguère phénomène urbain, la vidéosurveillance est maintenant aussi acceptée à la campagne. Pourquoi ce clivage s’est-il dilué ?

Aujourd’hui, la grande majorité de la population, urbaine ou rurale, des pays riches et développés, se voient régulièrement sur une image : photographie, image de caméscope, on utilise son téléphone portable, Facebook ou Photoshop pour se mettre en scène. C’est encore plus vrai pour les jeunes qui se construisent dans les images. Cette mise en scène de soi, avec une diffusion dans toute la société de ces dispositifs de captation d’image, explique en partie l’acceptation ou l’indifférence face à la vidéo. D’une part parce qu’elle participe à la banalisation de l’objet caméra, de l’expérience qui consiste à être filmé de façon répétée et se voir de plus en plus couramment sur une image fait reculer les tendances à ce que l’on pourrait appeler l’iconophobie.

D’autre part, il y a un phénomène d’autoéducation, un développement de l’intelligence des personnes par rapport à l’exactitude des images.

Enfin, toute la population accède à ce que Lianos appelle “le monde médiatique du crime” qui fournit au spectateur des représentations du monde physiquement violent. Il faut entendre par cette expression tout particulièrement la télévision puisqu’il a été montré que la présentation par la télévision des violences urbaines influence le plus les représentations de l’insécurité des Français. La peur de victimation c’est-à-dire la peur pour la sphère intime de la personne, le corps et les espaces destinés au corps, se construit beaucoup moins à partir de l’expérience directe de la violence physique que des images fournies sur cette violence. D’ailleurs, être victime d’une infraction violente est une expérience relativement rare. Les crimes violents enregistrés par la justice concernent surtout les personnes les plus défavorisées. Pourtant la peur de victimation augmente dans toutes les classes sociales.

cameras neuves

Est-ce l’acceptation politique qui précède l’acceptation par la société ? Ou l’inverse ? Ou est-ce un mouvement de va-et-vient d’une sphère à l’autre ?

Il est essentiel de reconsidérer cette idée d’une acceptation quasi-généralisée que les médias et les politiques tiennent pour acquis. Quand les politiques décident d’installer de la vidéosurveillance, cette idée d’acceptation est très importante puisqu’elle permet dans une société démocratique de légitimer leur décision. Et les enquêtes dites d’opinion publique, sensées recueillir l’avis de la majorité des Français, viennent régulièrement fournir des chiffres chocs et conforter cette croyance en l’acceptation généralisée de la vidéo.

Néanmoins, l’acceptation sociale détermine aussi l’acceptation politique. Il existe une demande réelle de la part d’une partie de la population. C’est une conséquence de la peur de victimisation. Faire l’éloge de la vidéo et en fournir à une population qui se sent menacée permet au politique de flatter l’électorat.

L’inverse est aussi vrai. C’est le cas par exemple lorsque les politiques soutiennent l’idée de l’efficacité de la vidéosurveillance dans la lutte contre la délinquance. La population est incapable de statuer une bonne fois pour toute sur cette question, les enquêtés sont bien conscients qu’il s’agit d’une question de spécialiste. Le problème en France est qu’aucune étude sérieuse sur l’efficacité de la vidéosurveillance dans une visée répressive ou dissuasive n’a été menée et rendue publique.

Récemment, la Cour des comptes a publié un rapport très critique sur la vidéosurveillance, les finances des collectivités territoriales sont en berne. Dans cette situation, peut-on imaginer qu’une municipalité débranche ses caméras ?

Non, je ne crois pas. Électoralement parlant, ce n’est pas envisageable. La peur de victimation est telle que la population ne comprendrait pas ce retour en arrière. D’un point de vue strictement financier, avoir investi tant d’argent pour revenir en arrière signerait l’échec de leur engagement et de leur décision.


Photos et illustrations via Flickr sous licences Creative Commons par Jitter Buffer ; AttributionNoncommercialShare Alike Some rights reserved by daveknapik ; AttributionNoncommercial Chris-Håvard Berge ; Attribution FaceMePLS et AttributionNoncommercial Some rights reserved by exacq

Murielle Ory a déjà publié :

- « La vidéosurveillance : du débat public à la controverse scientifique » [pdf] Chapitre d’ouvrage in Patrick Schmoll (Sous la direction de), Matières à controverses, Néothèque, Strasbourg, 2008, pp. 179-189
- « La vidéosurveillance : une technologie inédite de gestion des risques urbains ? » [pdf], Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, Strasbourg, n° 38, 2007, pp. 76-84
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Les zolis dessins de Kim Jong-Il http://owni.fr/2011/08/27/dessins-animes-coree-nord-propagande/ http://owni.fr/2011/08/27/dessins-animes-coree-nord-propagande/#comments Sat, 27 Aug 2011 13:30:34 +0000 Alexandre Marchand http://owni.fr/?p=77140 Traîtres à la tête enflée”, “chiens enragés”, “vile lie humaine”… Dans un récent article, le New York Times se penchait sur le langage peu châtié de KCNA, l’agence officielle de la Corée du Nord, dans ses communiqués au reste du monde.

En réalité, le régime de Pyongyang veille à imposer un lexique belliqueux à l’ensemble de la population. En témoignent les dessins animés officiels à destination des enfants. Petits bijoux de propagande brut de décoffrage, ces films d’animation justifient cinquante ans d’une autarcie organisée entre paranoïa et agressivité, abnégation guerrière et militarisme. Ou, pour reprendre KCNA:

[Les dessins animés] sont faits pour implanter dans l’esprit des enfants un patriotisme brûlant et canaliser la haine envers l’ennemi

L’ennemi tu combattras

Exemple: dans la clairière d’un bois, un ours brun esquisse quelques pas de danse classique coréenne. Au gré d’innocents chœurs enfantins, il pousse la chansonnette devant une bande d’écureuils admiratifs :

Quelle que soit la manière, j’utiliserai ma force

Jusqu’à ce que l’ennemi ne soit plus que poussière dans le vent

Faites-les sauter, faites-les sauter

Bienvenue dans la série “L’écureuil et le hérisson”. Le village des écureuils est sous la menace d’une armée de belettes féroces. Heureusement, le grand ours de la colline veille au grain pour protéger les vulnérables créatures. Mais, usant de la ruse, les ennemis parviennent à soûler l’ursidé et mettent les cabanes à feu et à sang. Seul un écureuil parvient à échapper à la rafle et court rejoindre ses amis hérissons à l’organisation martiale, rompus au combat. La grande guerre de reconquête peut alors commencer…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

En Corée du Nord, les films d’animation servent un même objectif. Comme l’explique à OWNI la chercheuse Dafna Zur, spécialiste des éditions nord-coréennes pour les enfants, la représentation du combat contre un agresseur est essentielle:

La Corée du Nord a toujours fait face à de vrais défis économiques. Le rôle de la propagande est, notamment, de parvenir à mobiliser les Nord-Coréens en attisant une grande aversion de l’ennemi, quel qu’il soit.

Portraiturer l’ennemi sous des traits animaliers est une vieille tradition en Corée du Nord, remarque la chercheuse à l’université Keimyung (Corée du Sud). Dans les années 1950 déjà, Adong Munhak, le grand magazine pour enfants de l’époque, contenait inévitablement une parabole animalière sous forme de bande dessinée. Et les canons du genre n’ont guère évolué en l’espace de quelques décennies. En guise d’innocents Nord-Coréens, les animaux purs et intelligents de la forêt: le lion, l’ours, l’écureuil, le hérisson (véritable mascotte nationale)… À l’ennemi, la figure d’un animal sournois et détesté: la belette, le chacal… (faisant également référence aux surnoms donnés aux Américains).

La violence tu aduleras

Le “canon-crayon” est un grand classique qui tourne sur Internet depuis quelques années. Un garçon nord-coréen est assis à sa table de travail, à plancher sur son devoir de géométrie. Tombant de sommeil, il se laisse emporter dans un rêve.

Catastrophe, les tanks américains arrivent par la mer. Heureusement le héros et ses petits amis ont revêtu l’uniforme militaire et courent défendre les rivages du valeureux pays. Les engins américains (nez crochu, yeux vicieux) avancent, avancent. Le petit écolier et ses crayons-missiles sont le dernier espoir de la nation… “Tire, tire !” lui hurle un espèce de petit tyran. De guerre lasse: les projectiles ratent leur cible. Et l’ennemi qui approche…il sera bientôt là…il arrive…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Depuis la guerre de Corée (1950-1953), note Dafna Zur, l’une des principales caractéristiques des images à destination des enfants (affiches, bande dessinées ou films d’animation) est de jouer sur la synergie de la candeur et de la violence. L’enfant est représenté comme une figure éternellement innocente. Dans le “canon-crayon”, le héros est ainsi représenté sous les traits d’un petit garçon au teint diaphane, les traits purs et doux, sans la moindre ombre sur le visage, les cils recourbés…. Dénué d’humanité, l’enfant atteint le statut de symbole.

Et pourtant cette figure canonique se lance sans hésitation aucune dans la guerre (en l’occurrence bombarder les Américains de crayons-missiles). La violence ainsi esthétisée est présentée comme le simple jeu d’un enfant, un jeu naturel et désirable. Mais les dessins animés ne possèdent toutefois pas la crudité des bandes dessinées, où l’on voit les peaux déchirées, les corps déchiquetés, les armes ensanglantés. Si la violence est moins présente à l’écran, elle n’en est pas moins suggérée à tout bout de champ: uniformes, injonctions martiales, musique militaire récurrente… L’expérience semble même carthartique: en s’affrontant à un ennemi déshumanisé (belette, tank…), l’individu s’accomplit lui-même, il semble passer une étape salvatrice. Influencée par l’esthétique du Japon militarisé des années 1930, alors puissance colonisatrice de la Corée, cette apologie de la mort et de la violence joue sur son pouvoir mobilisateur, comme le remarque Dafna Zur:

La glorification de la violence est partie intégrante de l’identité nord-coréenne. Il y a quelque chose d’excitant dans la violence, dans le défi de l’ennemi. La brutalité est une émotion viscérale, une émotion forte qui unit le peuple

Pour la nation tu te sacrifieras

Pourquoi les écureuils ont-ils été défaits par les belettes ? Car ils n’étaient pas organisés militairement, trop confiants dans la protection du seul ours.

Pourquoi l’écolier n’arrive-t-il pas à repousser l’invasion des tanks américains? Car, n’ayant pas fait son devoir de géométrie, il se trompe dans l’angle du lancement de ses missiles

Dans chaque cas, la nation (ou sa représentation narrative) est mise en danger en raison d’une erreur. Le moindre faux pas d’un individu risque de compromettre la communauté toute entière. La morale est intangible : “sois irréprochable pour pouvoir défendre ton peuple”. Dans “L’écureuil et le hérisson”, tous les animaux s’allient ainsi ensemble pour créer une armée organisée et aller battre les belettes. Dans le “canon-crayon”, l’écolier se réveille en sursaut et retourne à son devoir de géométrie avant d’aller professer de lénifiantes leçons à ses camarades sur l’importance de l’apprentissage.

Parfois, la nation requiert même un véritable sacrifice. Un autre dessin animé, datant de 1993, met ainsi en scène un couple de jeunes épis de maïs assistant, héberlué, au combat héroïque d’un régiment de patates. À peine les nouvelles cultures mises en terre, voilà que des bactéries s’apprêtent à venir les dévorer. Heureusement, l’armée (de pommes de terre) est là pour défendre les futures récoltes. S’engage alors une lutte drolatique entre bactéries et patates, le tout sous le regard effrayé des deux épis de maïs. L’issue est favorable: les pommes de terre sortent victorieuses. À peine couronné de son succès, le régiment se jette dans une machine agricole pour en ressortir sous forme de paquets de chips ou de purée. Pour nourrir la nation, comprenez. Une nouvelle génération de pommes de terre, encore plus nombreuse, voit alors le jour grâce à l’abnégation de ses aînés.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Contrairement aux autres dessins animés, celui-ci ne donne pas (trop) dans la métaphore guerrière. L’accent est plutôt mis sur les sacrifices auxquels chaque individu doit consentir pour que la nation puisse connaître des lendemains ensoleillés où la nourriture foisonnera. Un message bien senti pour un film d’animation sorti au beau milieu des grandes famines des années 1990…

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Des lacrymos contre les parents d’élèves http://owni.fr/2011/04/06/des-lacrymos-contre-les-parents-deleves/ http://owni.fr/2011/04/06/des-lacrymos-contre-les-parents-deleves/#comments Wed, 06 Apr 2011 14:09:15 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=55423 Ce devait être une manifestation bon enfant, bruyante, certes, mais sans volonté de nuire. Elle a fini avec du gaz lacrymo, utilisé pour repousser les manifestants, des parents d’élèves, des enseignants et des élèves du Doubs, mobilisés contre les fermetures d’écoles primaires prévues pour la rentrée dans leur département; 35 en tout.

Après l’occupation expresse de l’inspection d’académie lundi, les membres du collectif Écoles en danger 25 se sont retrouvés ce matin à Besançon, direction le rectorat. Ils étaient environ 500 à s’être donnés rendez-vous à 10 heures place de la Révolution, avec l’intention de faire un « boucan d’enfer », à grands coups de casseroles.

Arrivés devant le rectorat, le ton monte, comme le raconte le blogueur local Bison Teint, présent sur les lieux :

« Une fois sur place, vers 11 heures, ce petit monde poursuit son tintamarre en chantant « on lâche rien ! »… Un cordon de policiers défend l’accès au Rectorat.

Aux alentours de 11h30, certains tentent de s’approcher des portes du bâtiment et les policiers s’équipent de boucliers en plexiglas. Les familles avec enfants sont quelques mètres en arrière.
Quelques manifestants sont repoussés assez fermement par les policiers qui font usage de leurs matraques. L’un d’entre eux sort alors un pulvérisateur de gaz lacrymogène et arrose en direction des manifestants. Le jet touche directement les plus actifs qui se trouvent devant mais se répand également en direction des familles et des enfants qui se trouvent juste en arrière. »

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Du côté de la police, c’était un cas classique de légitime défense : « Il y a eu un mouvement de foule comprimant les policiers contre les portes du rectorat, explique le chef d’état major chargé de la communication à la direction départementale de la sécurité du Doubs. Du gaz lacrymogène a bien été utilisé pour les repousser, ils n’avaient pas le choix pour défendre l’édifice. Nous comptons quatre blessés légers, qui présentent des coupures au niveau des mains, provoquées par le heurt contre les portes, des griffures, des morsures. » Certains manifestants mettent en doute ces blessures. Recontacté, le chef d’état-major a simplement indiqué que des certificats médicaux avaient été établis.

« Certaines personnes poussaient devant en effet mais les repousser avec les boucliers me semblait suffisant. Le lacrymo, c’était abusé, vraiment. Surtout qu’il y en a eu une quantité démesurée, il ne s’agissait pas de ne toucher que les premières personnes qui poussaient. Là toutes les personnes présentes dans les 7 à 8 mètres autour pleuraient et toussaient », rétorque le blogueur Bison Teint.

« L’usage de la force par la police ne pouvait absolument pas être justifié »

La version de L’Est républicain va dans le sens de ce témoignage :

C’est alors que sous les ordres du commandant de police Mairet, une dizaine de policiers a distribué des coups de matraque pour récupérer cet espace, aspergeant les manifestants de gaz lacrymogène. Il n’en a pas fallu davantage pour qu’une échauffourée de plusieurs minutes s’en suive. Un face à face tendu a suivi pendant une demi-heure avant que les manifestants lèvent le camp.
L’usage de la force par la police ne pouvait absolument pas être justifié par une quelconque menace ou pression des manifestants sur le portail du rectorat. Tout était calme avant les coups de matraque dans les jambes, les bousculades et l’utilisation du gaz.

Un tel fait divers provoqué par des fermetures d’école témoigne des angoisses autour de l’avenir du service public de l’éducation nationale. À la rentrée 2011, 16.000 postes doivent être supprimés dans l’enseignement, dont plus de la moitié touche le primaire. Une manifestation nationale doit avoir lieu le 18 mai, à l’appel du SNUIpp-FSU, premier syndicat des enseignants du primaire.

Suite à cet événement, le maire de Besançon Jean-Louis Fousseret (PS) a exprimé son soutien aux manifestants dans un communiqué [pdf] :

« Si c’est ainsi que l’Éducation Nationale et l’État entendent répondre aux revendications des parents, des enseignants et des élus, cela ne peut que conduire à une impasse. [...]

Le Recteur et l’Inspectrice d’Académie doivent prendre la mesure de la mobilisation des dernières semaines à Besançon et dans le Doubs.
Cette carte scolaire, en l’état, a des accents d’abandon du service public d’éducation qui n’est plus, visiblement, une priorité nationale pour ce gouvernement.»

Photos : Bison Teint

MAJ : à 19h10, pour compléter le passage sur les blessures des policiers ; à 20h12 : une nouvelle vidéo, montrant explicitement l’utilisation de gaz lacrymogènes, a remplacé la première ; le 7 avril à 11h 53 : rajout du communiqué du maire.

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Urban After All S01E03 – Violences urbaines: l’urbanité sacrifiée http://owni.fr/2011/02/07/urban-after-all-s01e03-violences-urbaines-l%e2%80%99urbanite-sacrifiee/ http://owni.fr/2011/02/07/urban-after-all-s01e03-violences-urbaines-l%e2%80%99urbanite-sacrifiee/#comments Mon, 07 Feb 2011 10:02:09 +0000 Philippe Gargov http://owni.fr/?p=45551

Sur le bitume l’engrenage se déroule.
Foutre le dawa, nicker la rhala…
Passi – Les flammes du mal

À en croire les millions de pages recensées dans Google Books, les violences urbaines seraient “nées” dans les années 90’. Les émeutes urbaines dateraient elles un peu plus : les premiers soubresauts remontent au XIXe (la Commune se distingue aisément) ; mais c’est surtout après-guerre qu’elles se seraient développées, s’accélérant un peu avec les années 80-90.

Faudrait-il en conclure que ville et révoltes ne sont liées que depuis peu ? Évidemment que non, et l’on se méfiera des interprétations trop hâtives, inévitables avec un tel outil. On prendra Google Ngram View pour ce qu’il est (ou devrait être) : “un outil heuristique qui permet plus de poser de nouvelles questions que d’apporter des réponses”.

Suivant cette voie, on pourrait d’abord s’interroger sur l’origine des ces formules et les raisons de leur essor dans les années 80-90. Une réponse “objective” voudrait qu’on l’explique par la multiplication des émeutes sporadiques dans les banlieues françaises. Une réponse plus subjective, à laquelle je souscris, y voit aussi la diffusion d’un discours sécuritaire dans les médias, sans véritable lien avec la réalité du terrain. L’expression “violences urbaines”, en particulier, n’est souvent qu’un fourre-tout médiatique pour journaliste en manque de sensationnalisme. Il semble donc bien difficile de donner une explication pertinente à la croissance de ces expressions.

Mais la démarche heuristique à ceci de sympathique qu’elle ne s’arrête pas à ces obstacles. Plutôt que de s’interroger sur les origines de ces termes, pourquoi ne pas s’interroger sur leur conséquences ? On entre ici dans le domaine de la “prospective du présent”.

Prévention situationnelle : un loup déguisé en agneau


Le XIXe siècle avait connu l’aménagement sécuritaire hausmannien du Second Empire : les larges avenues du Baron avaient pour objectif (entre autres) de faciliter la répression des révoltes urbaines, par crainte d’un nouveau soulèvement révolutionnaire. La Commune en fera les frais, matée en une petite semaine sanguinolente. L’Histoire se répète, dit-on. Les XXe et XXIe siècles ont eux aussi droit à “leur” urbanisme sécuritaire, né en réaction à ces “violences urbaines” des dernières décennies.

A l’instar de son aîné hausmannien, l’urbanisme sécuritaire moderne est insidieux. A l’époque, les vélléités répressives se déguisaient en discours hygiéniste. C’est aujourd’hui déguisé en agneau qu’il s’immisce dans nos villes. Pas de grandes ouvertures à coup de bulldozer, mais un concept a priori inoffensif : la “prévention situationnelle” (déjà évoquée dans le premier épisode d’URBAN AFTER ALL pour définir “l’urbanisme bourgeois”). L’anglais cultive aussi l’ambiguité, puisque l’on parle de “defensive spaces” pour évoquer ce qui est en réalité une forme de répression déguisée.

Derrière ces noms innocents se cachent l’une des grandes évolutions de l’architecture contemporaine. La prévention situationnelle ferait ainsi partie des “mots de l’ultraviolence” qui caractérise le discours politique de ces dernières années :

“On a recours au concept de prévention situationnelle pour justifier un aménagement urbain qui intègre de plus en plus les possibilités de surveillance et d’intervention des forces de l’ordre, tout en limitant au maximum tout aménagement ou « espace complice ». Son objectif direct est « la réduction des opportunités délinquantes » (Véronique Levan).

Selon qu’on souhaite empêcher l’acte de se produire, ou faciliter l’intervention de la police, «la configuration de l’espace sera donc tantôt dissuasive, tantôt répressive» (Jean-Pierre Garnier).”
Et de citer quelques exemples : “Éradication des passages, coursives, impasses, recoins, ou des toits plats utilisés pour faire le guet ou constituant de potentiels postes de tir dans les cités, pose d’obstacles (allant du bac à fleurs à des aménagements plus lourds) pour stopper les voitures-béliers devant les centres commerciaux…”

Rien de bien méchant, dit comme ça… Plus subtile encore est l’ouverture des espaces sur l’extérieur : “Là, ce qui était une impasse devient une rue passante ; à quelques mètres, un hall d’escalier est “réorienté” afin d’être ouvert sur un parc et donc, sur l’espace public…”, explique Paul Landaeur, architecte et auteur de “L’architecte, la ville et la sécurité”. Game A a déjà évoqué la question sur pop-up urbain, à travers le jeu vidéo No More Heroes. De son côté, Nicolas Nova a recensé quelques exemples genevois encore plus discrets : du béton pour limiter les recoins où cacher la drogue, voire du verre cassé pour que les dealers se coupent les mains…

Bref, “d’anodins” aménagements contre lesquels il semble bien difficile de s’offusquer… La conclusion du journaliste résume d’ailleurs, en une phrase, toute la “réussite” de la prévention situationnelle à se faire oublier : “Avouons qu’en matière de discours sécuritaire, il y a pire. Non ?”

Une violence urbaine peut en cacher une autre

La réalité est bien moins rose. La finalité première de la prévention situationnelle est en effet répressive, puisqu’il s’agit de faciliter l’intervention policière (voire militaire). Surtout, celle-ci permet à l’autorité de mettre la main sur un domaine jusqu’ici protégé des velléités autoritaires. Émergeant en France depuis les années 90 (logique), la prévention situationnelle est aujourd’hui portée par des circulaires ministérielles invitant les impératifs sécuritaires dans les programmes de rénovation urbaine. Rappelons au passage que l’aménagement du territoire était encore récemment sous la responsabilité du Ministère de l’Intérieur.

Principales victimes de cet engouement : les architectes, comme l’expliquent les Inrocks :

Le texte ministériel demande également aux préfets de “veiller à la mise en œuvre des recommandations” formulées dans les études de sécurité, au détriment des architectes.

Et inversement : si leurs recommandations sont ignorées, les préfets pourraient aller jusqu’à bloquer des permis de construire. Sans que les architectes ni les urbanistes n’aient leur mot à dire. Guide de conception à l’appui, ceux-ci n’ont plus qu’à suivre les consignes.

Ce transfert de compétences est d’autant plus notable que le respect de ces recommandations sécuritaires devient un critère d’évaluation pour les projets de rénovation urbaine.”
Pour Paul Landaeur, “nous arrivons à la limite d’un urbanisme sécuritaire. Il est temps de réagir.” L’architecte invite ses collègues à prendre position. Lui milite en faveur des fameux espaces ouverts (qui peuvent selon moi faire partie du “travestissement” de la répression en agneau, mais c’est un autre débat).

Toujours dans les Inrocks, la sociologue Véronique Levan (déjà citée) condamne ainsi cette mainmise des forces de l’ordre sur l’urbanisme : “les policiers cherchent à créer un espace lisible pour eux, pour faciliter leurs interventions. Sans garantie que l’espace soit vivable”.

Paris - pendant les manifestations anti-CPE - 2006

Autrement dit, la prévention situationnelle ne se préoccupe par des “urbanités” qui font la richesse d’un espace. Pire, elle les nie et cherche même à les détruire. Il existe un mot pour désigner cela : “urbicide”, violence urbaine au sens propre du terme. A l’origine, le néologisme désigne la destruction des villes en temps de guerre :

“L’urbicide a été défini par Bogdan Bogdanovic, l’ancien maire de Belgrade, architecte et enseignant de profession, pour désigner le “meurtre rituel des villes”. L’urbicide désigne alors les violences qui visent la destruction d’une ville non en tant qu’objectif stratégique , mais en tant qu’objectif identitaire, “comme si la ville était l’ennemi parce qu’elle permettait la cohabitation de populations différentes et valorisait le cosmopolitisme” (François Chaslin, Une haine monumentale, 1997). L’identité urbaine est détestée parce que la ville est le lieu par excellence de la rencontre et de l’échange entre les populations.

On n’en est évidemment pas à ce stade lorsque l’on parle de prévention situationnelle. Il ne s’agit pas condamner pour “crime de guerre” les architectes qui collaborent à ces politiques oppressives pour “crimes contre l’humanité”, comme le propose l’architecte israélien Eyal Weizman (cette idée fera par contre l’idée d’un prochain billet). Pour autant, la logique reste la même : euthanasier ce qui définit l’identité même de la ville. Dans cette perspective, le silence d’une majorité d’architectes-urbanistes face à cette problématique les rend complices passifs des forces répressives, et de ce que cela implique : militarisation de l’espace urbain, ghettoïsation accrue et escalade de la violence. Il est temps d’arrêter les frais.

>> Photos CC FlickR : free2beesmeesAlsterstar, CricriDuCamembert

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Les jolies colonies de Chatel http://owni.fr/2010/09/02/les-jolies-colonies-de-chatel/ http://owni.fr/2010/09/02/les-jolies-colonies-de-chatel/#comments Thu, 02 Sep 2010 13:45:49 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=24077

Cela faisait partie des dispositions annoncées par Nicolas Sarkozy en mai dernier, à l’issue des États généraux sur la sécurité à l’école : la création d’”établissements de réinsertion scolaire” (ERS) accueillant des élèves de 13 à 16 ans particulièrement perturbateurs en internat, une mesure destinée à endiguer la violence scolaire. Une circulaire envoyée à la fin du mois de juin et publié au JO dans la torpeur du mois de juillet vient d’en préciser les contours.

Les ERS recevront des élèves du second degré qui ont fait l’objet de multiples exclusions, “qui ne relèvent ni de l’enseignement spécialisé et adapté” et qui ne peuvent pas non plus être placés dans le cadre pénal. Ils seront placés la plupart du temps dans des internats, par effectif de quinze à trente, sous la houlette “d’un encadrement renforcé et de l’appui de différents partenaires.” Les ERS seront placés sous la responsabilité du chef d’établissement public local d’enseignement auquel il sera rattaché. Les ERS pourront être situés dans des locaux annexés à l’établissement scolaire de rattachement, de préférence distinct du reste de l’établissement”. À l’écart, au propre comme au figuré ?

Le placement pourra se faire sans l’accord des parents

Le placement pourra se faire sans l’accord des parents : “Il est nécessaire que l’accord du jeune et de sa famille ou du responsable légal soit mentionné dans le dossier. Si cet accord ne peut être obtenu, une saisine du procureur peut être engagée par l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’Éducation nationale, afin que puisse être étudiée l’opportunité de prononcer un placement en ERS au titre de mesure d’assistance éducative.”

Les ERS fixent quatre objectifs : “l’acquisition du socle commun de connaissances et de compétences, l’appropriation des règles du vivre ensemble, la définition d’un projet de formation ainsi que l’implication des familles.” La réinsertion se fera “dans un parcours de formation générale, technologique ou professionnelle.”

Sauf que la suite de la circulaire préempte une forte option pour les deux dernières, considérées comme des voies de garage en France. Ainsi, “des stages en lycées professionnels, en centre de formation des apprentis et en entreprises sont organisés” ; “Pour les élèves les plus âgés, des poursuites d’études sont envisagées, soit sous statut scolaire, notamment en lycée professionnel, soit par voie de l’apprentissage.” En sachant que ces voies protègent moins du chômage que l’enseignement supérieur…

Par ailleurs, l’obtention de différents certificats n’a pas un caractère obligatoire : “Afin de valider leurs acquis et de faire entrer les élèves dans une dynamique de réussite reconnue, il convient d’avoir un objectif de certification, chaque fois que cela est possible : certificat de formation générale (CFG), diplôme national du brevet (DNB), attestation scolaire de sécurité routière (ASSR), brevet informatique et internet (B2I), attestation de prévention de secours civiques (PSC1), jeunes officiels, brevets sportifs ou d’animateur, etc.”

Des enseignements seulement le matin

Les élèves auront un emploi du temps aménagé : le matin, enseignements, l’après-midi des activités “notamment des activités sportives à raison de deux heures chaque jour et des ateliers autour de la citoyenneté, de la santé, etc” ; et pour finir, en fin d’après-midi, “l’accompagnement éducatif”.

Le chiffre de dix ERS pour l’année 2010-2011 a d’abord été avancé dans la circulaire, le président Sarkozy a fixé comme objectif une vingtaine au cours du premier trimestre. On sait déjà qu’il y en aura un dès la rentrée à Nice : l’annonce en a été faite le 1er juillet entre autres par Eric Ciotti, député UMP et président du conseil général des Alpes-Maritimes. Ce dernier a récemment fait parler de lui pour avoir proposé «jusqu’à deux ans de prison pour les parents» d’un mineur délinquant qui n’aurait pas respecté le plan de probation sous leur responsabilité, en prenant faux exemple sur le Canada.

L’encadrement sera assuré par des enseignants et des assistants d’éducation. Le choix des enseignants se fera “sur la base du volontariat et sur poste à profil”. Sans que cela ait un caractère obligatoire : il est seulement “souhaitable que ces personnels aient une expérience d’enseignement devant des publics scolaires en difficulté et témoignent de leur motivation pour travailler sur un projet pédagogique et éducatif avec internat.” Ils seront éventuellement assisté de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), des éducateurs du conseil général, d’intervenants associatifs, de volontaire du service civique…

Parmi les partenaires, outre le ministère de la Justice et des Libertés, le ministère de la Jeunesse et des Solidarités actives, les associations agréées complémentaires de l’enseignement public et les fondations reconnues d’utilité publique…, on retrouve le ministère de la Défense, dont les compétences en matière d’éducation sont bien connues. Contacté entre autres pour avoir des précisions sur ce point, le ministère de l’Éducation n’a pas répondu. Ce choix semble somme toute logique lorsque l’on sait que les EMS (équipes mobiles de sécurité), un des quatre axes majeurs du plan de “sanctuarisation des établissements scolaires”, font appel à des ex-policiers et gendarmes.

Le texte ne précise pas ce qu’il sera fait de ces élèves s’ils ont dépassé l’âge limite. Il est juste mentionné les solutions en cas de réussite du processus de réintégration.

En parallèle et en toute contradiction, le gouvernement veut tailler dans les effectifs des professeurs dans les trois ans à venir, en application de la politique de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Il envisage ainsi la suppression des Rased (Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté), l’augmentation des effectifs par classe, une formation des enseignants revue à la baisse, prévoyant que les nouveaux professeurs seront directement affectés à un poste. Un programme qui a conduit les à commencer l’année scolaire 2010 par une grève. On rajoutera aussi que le plan banlieue a été vidé de sa substance.

“Il faudrait redonner à ces élèves un espoir”

Le détail de ces ERS ne fait pas l’unanimité parmi le milieu éducatif, curieusement. Le SNES est dubitatif : “Cela fait des années que l’on cherche une solution pour ce public très particulier, sans avoir trouvé la formule-miracle, je ne pense pas que celle-là résolve le problème, nous a expliqué Roland Hubert, co-secrétaire général Syndicat national des enseignements de second degré. Les ERS centrent leur approche sur le comportemental, cela ne suffira pas. De plus, la PJJ est partenaire, or elle a tendance à axer son travail sur la réparation et non la prévention. Il faudrait redonner à ces élèves un espoir, un sens pour qu’ils puissent se reconstruire. Il faut qu’il y ait une vraie réflexion sur les raisons de leur blocage. Là, c’est du dressage, on leur fait faire du sport pour les défouler, on leur apprend à être de bons citoyens pas gênant, aux détriments de l’apprentissage, qui est réduit. ‘Projet de vie’, ce sont des mots, nous serons attentifs à la réinsertion réelle.

“Une fois de plus, face à un problème grave, on apporte une réponse qui s’apparente à un effet d’annonce, estime Dominique Hocquard, président de l’ACOPF (Association des conseillers d’orientation psychologue de France), faisant allusion à la force de proposition sécuritaire du gouvernement. Pour beaucoup, les chefs d’établissements ne sont pas dupes. Il existe déjà des dispositifs, comme les classes-relais, il faudrait mieux renforcer leurs moyens.” Les dispositions même des ERS sont mises en cause : “Alors que ces élèves sont placés, pour ne pas dire enfermés, comment peuvent-ils se projeter positivement ? Les enseignements seront basiques et réduits et on ne leur propose qu’une formation professionnelle à court terme”. Une formation professionnelle “dévaluée” du coup, souligne-t-il : tout juste bonne pour des perturbateurs. Il note enfin l’ambiguïté des ERS, “une pénalisation déguisée d’une certaine façon”, puisque le placement pourra être imposé.

L’UNSA-éducation souligne de son côté le manque de concertation sur ce projet : “Cela a surpris tout le monde, explique Patrick Gonthier, secrétaire général du syndicat. Aucune réunion n’en a fait état, c’est une annonce exclusive du président de la République.” Il craint que les critères de sélection n’amènent à réunir des profils très différents. La diminution de la part des apprentissages leur fait également peur. Surtout, c’est le choix d’une structure fermée, en extérieur, qui suscite le plus de crainte chez eux : “Il vaut mieux rester dans l’enceinte éducative, cette solution risque de produire un contre-effet, c’est-à-dire d’accentuer la démotivation et d’exclure à long terme les élèves. Peu de pays ont adopté des solutions externalisant autant”, détaille monsieur Gonthier.

Établissements scolaires ou pénitentiaires ?

s’interrogent carrément Les Cahiers pédagagiques. [...] Surtout la circulaire s’étend sur “la stricte discipline”. [...] On voit mal comment le socle commun peut être sérieusement préparé dans un cadre pareil.” [...] On est surpris de la naïveté du programme pédagogique des ERS qui prétend imposer le respect et faire apprendre dans un internat imposé. Tout enseignant sait bien que le respect se construit, il n’est pas du, et qu’on peut apprendre la contrainte, voire la soumission, mais pas apprendre par la contrainte. Mais on est aussi surpris du positionnement de ces ERS par rapport aux classes relais.” Et de conclure, rejoignant les critiques précédentes : “les ERS avec leur caractère semi clos, un dispositif où on voit bien que l’enseignement est secondaire face aux exigences comportementales risque plutôt d’accélérer la marginalisation des jeunes parqués dans des structures qui préparent plutôt à l’enfermement. Définitif ?”

Les ERS sont un exemple de la volonté du gouvernement de se focaliser sur la sécurité à l’école, alors que de l’aveu même du ministre de l’Éducation, “99% des élèves ne connaissent pas la violence”. Une position dénoncée entre autres par l’OZP (Observatoire des Zones Prioritaires) : “La violence à l’école – et sa répression – tendent à devenir le sujet qui envahit tout le discours sur l’école, comme s’il fallait persuader les familles que l’école publique est un lieu dangereux pour leurs enfants.”

Et si les fines huiles de la majorité donnaient des cours sur les valeurs ?

Pour finir en lolant, nous avons imaginer que les fines huiles de notre majorité interviennent en fonction de leur compétences et expériences sur quelques valeurs que nos jeunes en difficulté sont sensés intégrer. “Les pratiques sportives sont à développer tout particulièrement, pour les valeurs qu’elles portent” :
- “respect des règles” : Alain Joyandet, qui se permet de construire.
- “goût de l’effort” : Jean Sarkozy, qui a failli être président de l’Epad à 23 ans malgré son absence de diplôme. Comme dit si bien Patrick Devedjian citant Corneille, ““Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années”.
- “persévérance” : Christian Estrosi, dit “le motoditacte” en raison de la taille de son cerveau, propulsé ministre de l’Industrie.
- “esprit d’équipe” : David Douillet, qui soutient sans faille Rama Yade, la secrétaire d’État aux Sports.
- “loyauté” : Bernard Kouchner, retourneur de veste.
- “dépassement de soi” : Frédéric Lefebvre, qui n’en rate pas une pour soutenir Nicolas Sarkozy. Au choix, ici, ou bien encore ça.
L’éducation à la citoyenneté est privilégiée : des ateliers citoyens sont conduits, en collaboration avec des partenaires de divers ministères (Justice, Défense, Intérieur) et d’associations, afin de proposer un travail approfondi sur la nécessité du respect des règles :
- “de vie collective” : le fraternel Brice Hortefeux, si respectueux de ses camarades auvergnats en public.
- “de registre de langue” : Nicolas “casse-toi pauvre con” Sarkozy (Le Canard enchaîné nous rapporte aussi régulièrement en page 2 les fleurs de langage du petit Nicolas).
- “de comportements” : toujours le même, expliquera comment se comporter face à une personne importante : éteindre son portable, par exemple.
- “de tenue vestimentaire” : Roselyne Bachelot, porteuse de crocs roses.
Les jeunes peuvent s’engager également dans des actions auprès d’associations d’aide aux handicapés, aux personnes âgées, de lutte contre la pauvreté, etc.
-Eric Woerth parlera ainsi de l’amitié qu’il a nouée avec une vieille dame importunée par sa méchante fille et son trop plein d’argent.

À lire aussi :

La circulaire sur les ERS

Vous voulez des pions ? Vous aurez des ex-policiers.

Image CC Flickr D.Reichardt et SpinAirR

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Vous voulez des pions ? Vous aurez des ex-policiers http://owni.fr/2010/04/06/vous-voulez-des-pions-vous-aurez-des-ex-policiers/ http://owni.fr/2010/04/06/vous-voulez-des-pions-vous-aurez-des-ex-policiers/#comments Tue, 06 Apr 2010 08:17:00 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=11505 Photo Flickr CC gardenghelle

"Toute l'adolescence est perçue comme suspecte" Photo Flickr CC gardenghelle

Accompagnement du diagnostic de sécurité, prévention en cas de tension, sécurisation“. Telles sont les principales missions des équipes mobiles de sécurité (EMS). Mais dans quelles zones dangereuses agissent-elles ? Les quartiers pauvres de Baltimore filmés dans The Wire ? Des banlieues au bord de l’émeute ? Non, dans toutes les académies de la douce France.

Les quarante équipes sont en place depuis mercredi dernier.  Les EMS constituent un des quatre volets majeurs du plan de “sanctuarisation des établissements scolaires” lancé en septembre dernier. Une riche idée de Xavier Darcos, mise en oeuvre par son successeur à l’Éducation nationale Luc Chatel, conjointement avec le ministre de l’Intérieur (et pourquoi pas celui de la Défense, tant qu’on y est ?).

Il s’agit d’équipes mixtes composées de personnels de l’Éducation nationale -proviseur, CPE, enseignants, infirmière…- et de “spécialistes de la sécurité issus d’autres ministères ou des métiers de la sécurité“. Comprendre des ex-policiers et gendarmes.

Le dosage de sa composition est variable en fonction des zones d’intervention. L’ensemble des membres  doivent recevoir une formation “adaptée aux spécificités des interventions en milieu scolaire.” Les EMS sont placées sous l’autorité du recteur d’académie qui travaille maintenant avec un conseiller technique “sécurité“, issu de la police ou de la gendarmerie par exemple. C’est sur saisine du rectorat qu’elles interviennent.

L’argument avancé, on s’en doute, pour la mise en place de ces EMS, c’est l’augmentation de la violence à l’école sous différentes formes. Toute un arsenal sécuritaire destinée à… “restaurer la confiance et le dialogue” -cherchez l’erreur- et “conforter l’autorité dans les établissements en proie aux tensions” -là c’est plus logique. Pour retrouver la sérénité, c’est bien connu, embauchez du personnel possédant une « présence physique imposante et forte visibilité, [...] des aptitudes physiques et sportives (ex : pratique des arts martiaux) avérées ».

“Des pompiers pyromanes”

Un discours qui laisse dubitatif les premiers concernés. En Seine-Saint-Denis, département de l’académie de Créteil réputé difficile, et qui avait à ce titre inauguré le dispositif, la FCPE, première fédération de parents d’élèves, a parlé de “rustine sur un pneu crevé”.

Au lycée Le Corbusier d’Aubervilliers (93), enseignants et personnels ont fait grève, “indignés par l’absence totale de concertation et la non prise en compte de [leurs] demandes et des besoins réels.” Idem au lycée Aubrac de Pantin (93), où des enseignants avaient débrayées en janvier.

Dans une académie plus calme, celle de Toulouse, même opposition : « Cette unité est une unité que nous ne reconnaîtrons pas. Ils nous fabriquent une problématique là où il n’y en a pas. Ce sont des pompiers pyromanes : après avoir enlevé 100 000 personnes dans l’Éducation nationale il ne reste pas assez d’adultes dans les établissements » a expliqué Pascal Astruc, président de la FCPE 31.

Et Pierre Granet, secrétaire général de la FCPE 31 de fustiger cette politique du gouvernement selon laquelle « toute l’adolescence est perçue comme suspecte. Sélectionner, surveiller et punir, voilà la logique. Avec un contrôle social des populations supposées à risque qui n’est pas acceptable. La stigmatisation ne fait qu’envenimer les choses ».

Luc Chatel : «99% des élèves ne connaissent pas la violence»

Face à l’augmentation de la  violence, quelles solutions autres apporter ? Suite à la mort de Hakim Mahdi, un élève poignardé dans l’enceinte de son établissement, le lycée Guillaume-Apollinaire , les professeurs avaient demandéplus de moyens humains : des surveillants et des professeurs qualifiés“. Tout simplement : à quoi bon des États généraux si la solution est connue ?

D’ailleurs Luc Chatel lui-même a déclaré que «99% des élèves ne connaissent pas la violence». Alors pourquoi une telle débauche de moyens axés sur la sécurité ? Vous avez dit “communiquer” ?

40 000 postes supprimés depuis l’élection de Nicolas Sarkozy

Sourd à la demande, le gouvernement a prévu de supprimer 16 000 postes dans le budget 2010, conformément à la règle du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux. Ce qui devrait porter à 40 000 postes le nombre total de postes de l’Éducation nationale supprimés depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, essentiellement des enseignants.

Lors de son intervention à l’occasion de la rencontre nationale des responsables des EMS, Luc Chatel a évoqué la mort de Hakim, qui ne risque pas de se plaindre de cette récupération : “Sa mort est la négation des valeur de l’École de la République, fondée sur la tolérance, sur le respect de l’autre“. La défiance a priori fait-elle désormais partie du socle commun transmis à l’école ?

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Voir aussi l’intégralité de notre dossier spécial à l’occasion des États généraux de la sécurité à l’école, où il est entre autre question de ces adolescents envoyés en prison, aux États-Unis, parce que des policiers y ont remplacé les surveillants, de la mise en place de portiques de sécurité…

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Léa, passion politique http://owni.fr/2010/03/22/lea-passion-politique/ http://owni.fr/2010/03/22/lea-passion-politique/#comments Mon, 22 Mar 2010 11:17:38 +0000 Raphaël Chabloz http://owni.fr/?p=10618 Les députés helvètes souhaitent interdire les jeux vidéos violents. Raphaël Chabloz réside en Suisse où il tient (depuis un moment) le blog “Bon pour ton poil”. Il réagit à cette annonce avec humour. Et il en faut.

Autrefois, les hommes s’aimaient les uns les autres. La violence a été inventée en 1979, quelques mois après le lancement du premier jeu vidéo violent, Asteroids.

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Ce panneau de contrôle a fait plusieurs victimes, tous députés suisses, tués par le ridicule de leur proposition.

Forts de ce constat, les parlementaires suisses ont décidé de réagir en demandant l’interdiction des jeux vidéos violents.

Contrairement aux élus qui ont soigneusement préparé leur dossier, quand on voit un jeune passer huit heures par jour enfermé dans sa chambre, sans jamais voir personne, à jour à GTA ou Manhunt, on se dit, naïvement, que c’est peut-être un symptôme et pas une cause. N’importe quoi. Quand enfin ces horribles divertissements qui mettent notre société en péril disparaîtront, ces gens auront enfin des amis, avec qui ils iront se divertir sainement. Enfin, quand on aura interdit ces jeux vidéos, ainsi que Cluedo, Risk, les échecs et, surtout, le pendu.

Car, contrairement aux fans de films de guerre, aux amateurs de boxe, aux férus de corrida et aux militants de l’UDC, les gamers ne savent pas faire la différence entre le virtuel et la réalité. Quand ils ont passé des heures à dézinguer sur leur ordinateur, ils sortent aussitôt faire la même chose dans la rue. Tu te demandes sans doute pourquoi les jeux vidéos sont plus dangereux que les films ou que les livres violents ? Eh bien, essentiellement parce que c’est comme ça et pas autrement, et qu’une étude australienne le prouve.

La violence de certains "gamers" fait parfois peur à voir

Et si on allait fusiller des gens dans la rue ?

Mais il ne faut pas se limiter aux jeux violents. Les jeux de courses de voitures sont la cause de 97% des accidents, selon une étude kazakhe. Les autres sont provoqués par des fans de Tetris.

De même, la crise est, une étude norvégienne le souligne, le fait des amateurs de jeux de gestion. Forcément, quand tu as passé ton adolescence à vendre et racheter des footballeurs, des bateaux, des trains, des fêtes foraines et des bébés animaux, tu ne recules plus devant rien.

Les férus de jeux de hockey sur glace vivent souvent de cruelles désillusions : après avoir fait gagner, manette en main, plusieurs matches de suite au HC Bienne, ils peinent à différencier le jeu de la réalité et quand ils se rendent compte que les vrais joueurs ne rééditeront pas cet exploit, ils en éprouvent de la rancoeur, et il ne faut pas chercher plus loin les causes des débordements à répétition après les rencontres.

Moi, par exemple, j’ai été accro à Lemmings. Eh bien aujourd’hui encore le matin, quand je sors du train et que je vois cette foule humaine avancer par grappe vers les sorties de la gare, j’ai souvent envie de coller un bloqueur de chaque côté.


> Article initialement publié sur Bon pour ton poil

> Illustrations par oso, Stewf , somegeekintn et par gnackgnackgnack sur Flickr

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Iran : Comment les images de la révolution sont diffusées http://owni.fr/2010/01/04/iran-comment-les-images-de-la-revolution-sont-diffusees/ http://owni.fr/2010/01/04/iran-comment-les-images-de-la-revolution-sont-diffusees/#comments Mon, 04 Jan 2010 14:54:27 +0000 Rubin Sfadj http://owni.fr/?p=6712 [NDLR] Certaines des images qui suivent sont d’une rare violence. Éloignez les enfants de l’écran.

Brett Soloman est le directeur exécutif d’Access, une organisation apparue suite aux élections iraniennes de juin 2009 et qui joue un rôle prédominant dans la collecte, le tri et la diffusion des vidéos qui nous parviennent d’Iran depuis six mois.

Parfaite illustration de la dimension démocratique de l’économie de l’information qui naît sous nos yeux, le travail sans relâche de Brett et de ses équipes doit nous rappeler que les droits et libertés fondamentaux dont nous avons hérité doivent être défendus comme la prunelle de nos yeux et ne sauraient souffrir d’aucun compromis, en ligne comme dans nos rues.

Le texte ci-dessous est issu d’un billet publié par Brett le 29 décembre 2009 sur le blog CitizenTube, dédié aux informations politiques, sociales et d’actualité sur YouTube. Il a été traduit par mes soins avec son autorisation.


La révolution en images
par Brett Soloman

Malgré toutes les tentatives du régime iranien de détruire l’opposition de la rue, il ne parvient pas à arrêter le flot des vidéos en provenance d’Iran. Nous travaillons 24 heures sur 24 pour maintenir les vannes ouvertes — et au point où nous en sommes, il est implacable.

Les images de manifestations dans la rue, de manifestants blessés et de la police secrète changeant de camp sont sur les téléviseurs, les téléphones portables et les écrans d’ordinateur du monde entier. Les images de cette semaine témoignent non seulement de la résilience du Mouvement vert (le mouvement démocratique iranien), mais aussi du pouvoir réel de la vidéo pour propager la dissidence sur place.

Il nous permet, en Iran et au dehors, de nous assurer que le mouvement de contestation demeure vivant, qu’il est actif, et de voir comment le régime y répond. Notre engagement pour la justice est enregistré de façon aussi limpide que leur brutalité.

Notre organisation, accessnow.org, œuvre pour la sauvegarde des vidéos de contestation comme celles ci-dessous contre la censure et les autres formes de manipulation du trafic internet par les autorités iraniennes. Voici quelques-unes de celles publiées par un membre de notre équipe, Onlymedhi, sur sa chaîne YouTube. C’était la quatrième chaîne la plus consultée au monde après les manifestations de dimanche :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

En ce moment même, notre équipe se relaie jour et nuit pour mettre à disposition et agréger les contenus. Nous recevons des vidéos par divers contacts de confiance en Iran — des activistes, des journalistes licenciés, des gens dans la rue. Pour certains, c’est un risque de se connecter et d’envoyer de tels fichiers. Les e-mails accompagnant les vidéos décrivent l’urgence de diffuser ces images. Nous les authentifions, vérifions leur localisation, les dates d’enregistrement et les éventuels risques de sécurité relatifs à leur publication.

Rendre accessible au monde entier une vidéo importante, c’est être à la fois un défenseur des droits de l’homme et un diffuseur. Regardez cette vidéo (attention : images extrêmement violentes) :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

D’autres vidéos que nous trouvons, taguées “Iran” ou “Green Mouvement”, doivent absolument être vues par le monde, mais sont cachées parmi les vidéos de Britney Spears et Kanye West. Ce processus est laborieux mais important. Par exemple, la publication de la vidéo ci-dessous, montrant la brutalité du régime, écrasant sans pitié un citoyen innocent, aurait eu lieu dans l’indifférence générale sans YouTube :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Notre tâche est aussi de propager. Les vidéos sont téléchargées sur les sites de médias sociaux comme Facbeook et sur des sites iraniens clés comme balatarin.com et rahesabz.net. La plupart des gens qui visionnent les vidéos que nous publions sont situés en Iran — ils agissent comme les garde-corps d’une communauté pour laquelle toutes les sources traditionnelles d’actualités indépendantes sont coupées. Nous convertissons également les vidéos au format 3GP. Ceci permet aux vidéos d’être visionnées sur les téléphones mobiles et partagées via Bluetooth en Iran.

Les vidéos exclusives que nous recevons et publions font la une des bulletins d’information sur CNN, la BBC et dans le New York Times. Ces vidéos aident à changer les décisions politiques de par le monde. La condamnation par Obama de “la suppression violente et injuste de citoyens iraniens innocents” s’est trouvée consolidée par les images incontestables. Les gouvernements du monde entier commencent enfin à se rallier.

En raison de la nature de ces vidéos, et en raison de la censure et des autres formes de manipulation du trafic internet menées par le gouvernement iranien, il s’agit d’un processus extrêmement sensible.

La lutte a lieu dans les rues, mais, dans un cercle vertueux, non seulement les vidéos rapportent ce qui s’est passé, mais elles constituent les fondations de chaque prochaine étape du combat pour la justice.

Brett Soloman
Directeur exécutif
Access

» Article initialement publié sur sfadj.com

» Image d’illustration via Ari sur Flickr

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L’implacable érosion de l’indignation http://owni.fr/2009/10/13/limplacable-erosion-de-lindignation/ http://owni.fr/2009/10/13/limplacable-erosion-de-lindignation/#comments Tue, 13 Oct 2009 12:08:59 +0000 Agnès Maillard http://owni.fr/?p=4563

Si tu t’écoutais deux minutes, tu passerais ta vie en Sarkoland ordinaire à éructer, vitupérer, gueuler, beugler, hurler ta colère et ton indignation permanentes. La constance de la saloperie ordinaire est telle que tu te pèterais une coronaire en moins de temps qu’il n’en faut pour remplir une cuvette de chiottes de toute la bile qu’un journal de Pernaut peut te faire remonter du gosier.

Bad luckLe piège, c’est l’habituation. C’est quand la succession sans fin de cette information d’égout te submerge comme une immense chape d’amertume et de découragement, c’est quand tu as l’impression que toutes les bonnes volontés du monde ne parviendront jamais à endiguer ce flot constant et putride de corruption, de lâcheté, de soumission, de petites tractations d’arrière-boutique pour savoir quel scandale finira par faire la Une du cortège des indignés, à peine le temps de trois glapissements avant que la vague suivante ne t’enlise déjà dans ton dégout anesthésié. Du coup, tu prends du recul, de la hauteur, de la distanciation, tu montes sur ta montagne et tu contemples, l’œil rond et un peu lointain toute cette stérile agitation, tu laisses s’égrener le chapelet des petits scandales et des grandes indignités. Tu te dis qu’à moment donné, tu verras le schéma directeur émerger de toute cette mélasse, que tu choperas le bon angle d’attaque, que tu distingueras dans une grande fulgurance la cohérence de tout ce désordre et que tu pourras tranquillement redescendre parmi les tiens, les tables de la loi solidement calées sous le coude, ta grille de lecture ouvrira alors de nouvelles perspectives et le marasme accouchera d’une nouvelle lucidité sur nos temps troublés.

Hé bien non ! Ça continue à gesticuler dans tous les sens dans la vallée de larmes et grande est la tentation de définitivement tourner le dos à la constance de la médiocrité exponentielle d’un monde qui n’en finit plus de crever. Circulez ! y a plus à rien à voir ! Tout ce qui était inimaginable, il y a seulement quelques années, est devenu banal, quotidien, normal. Le pays des droits de l’Homme transforme son semblable en bête traquée et chacun des complices passifs de cette énorme saloperie en un animal vil et peureux. À quel moment avons-nous cessé d’avoir les tripes tordues par la chasse au sous-homme, par le racisme le plus hideux, parce que clairement exprimé, parfaitement compris et absolument pas assumé, bien qu’étant la colonne vertébrale d’une politique globale de discrimination à la hache ? Discrimination totale et à tous les niveaux de la vie publique, entre ceux qui ont tous les droits et ceux qui héritent de tous les devoirs.

Prenons les affaires de mœurs. Il faut toujours se méfier des affaires de mœurs. O tempora, o mores ! Ça tape forcément sous la ceinture et ça stimule ce qu’il y a de plus primaire et épidermique en nous. Frédéric Mitterrand et Roman Polanski sont sur un radeau, y a-t-il un gosse qui tombe à l’eau ? Ordures ou artistes ? Le curseur moral s’affole et personne ne fait dans la nuance. C’est que, voyez-vous, ce sont des hommes de l’art, des hommes de lettres, des hommes, aussi, avec leurs besoins. Et en face, il y a quoi ? Des petites putes ! Voilà tout. Des petites putes avides de fric ou de renommée. Ou alors des petites victimes. Victimes de la misère ordinaire. Victimes du monde des puissants, où le miroir aux alouettes hypnotise les poussins fraîchement sortis de l’œuf, où la loi du milieu, la loi du genre, la loi du métier, autorisent tout un chacun à se servir sur la bête. Petite chose qui ne connaît pas les règles du jeu et qui va en payer le prix. Cash. Cache-cache immonde dans les médias. Posture de classe pour défendre l’indéfendable.

Un ou deux ans après le coup du parrain pédophile, j’ai eu le droit, sur la plage, au rabatteur d’un certain photographe mondialement connu pour ses clichés de nymphettes dans la brume. J’étais très fan de ses photos, que je trouvais absolument romantiques et belles à pleurer. Pour les gamines ado de mon âge, c’était la quintessence de la jolie photo très classe de fille-fleur et avoir été choisie pour poser devant l’objectif du grand photographe aurait été un honneur incroyable. Pas de bol, je n’avais pas le genre qui plaisait au maître, pas assez évanescente, pas ce côté liane sensuelle et faussement ingénue, les cheveux trop courts, l’air trop espiègle. Par contre, c’était le cas de ma copine, bien qu’un peu brune par rapport au modèle habituel. J’ai été déçue, tendance jalouse, jusqu’à ce que les parents de ma copine opposent leur véto à ce projet. Brisant le rêve dans l’œuf. Faut dire qu’eux, ils savaient. Ils savaient que le camp de naturistes du Cap était le terrain de chasse du grand monsieur et l’on murmurait à l’ombre des dunes qu’il ne dédaignait pas essayer quelque peu ses jolis petits modèles. Ensuite, j’ai vu ces photos de Lolitas éthérées d’un tout autre œil. Mais, là, sur le coup, du haut de mon romantisme échevelé de 13 ou 14 ans, avec notre sexualité balbutiante de jeunes ados ébouriffées par un French Kiss au clair de lune, qu’est-ce que j’aurais compris au désir brut et adulte d’un homme que je trouvais par ailleurs admirable ? Si j’avais été un peu plus jolie, est-ce que cela aurait fait de moi un gibier acceptable et consentant ?

In-dé-fen-da-ble !

Quel est le niveau de consentement d’un partenaire mineur ? Quelle est sa conscience de l’acte ? La loi a tranché : il n’y a pas de consentement possible chez le mineur en matière de pratiques sexuelles avec un adulte. C’est un jugement à la hache, mais il a le mérite d’être clair.

Question subsidiaire : Comment Polanski devient-il infréquentable ?
Soyons clairs : tout le monde savait. Plus ou moins. Affaire de mœurs. Viol. Pédophilie. Moi la première. Et pourtant, j’aime ses films. Qu’est-ce qui fait la différence entre Polanski est un grand cinéaste qui a commis une erreur de jugement dans sa jeunesse et Polanski est un horrible salopard violeur de petite fille qui mérite de croupir au trou ?

La Loi.

Le bras séculier de la Justice qui vient d’alpaguer le monsieur plus de 30 ans après les faits. La Loi qui trace la ligne jaune entre ce qui est admis et toléré et ce qui est de l’ordre du délit ou du crime, entre ce qui doit être oublié et ce qui doit être puni. La loi qui distingue fermement et sans équivoque le criminel de sa victime. La Loi qui normalise la société civile quand bien même celle-ci patauge dans un marigot où tous les repères du vivre-ensemble sont bouleversés.

Haro sur le bougnoule ou le gueux et que toute notre mansuétude accompagne le riche et le puissant qui ne font que satisfaire leurs besoins impérieux, car impériaux !

Et quand la Justice s’incline devant le fait du Prince ?

Il nous reste notre indignation, notre belle, implacable et inusable indignation !

> Article initialement publié sur Le Monolecte

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L’autodétermination du hamster dans sa roue http://owni.fr/2009/09/01/lautodetermination-du-hamster-dans-sa-roue/ http://owni.fr/2009/09/01/lautodetermination-du-hamster-dans-sa-roue/#comments Tue, 01 Sep 2009 07:14:08 +0000 Agnès Maillard http://owni.fr/?p=3085

Marche ou crève. Voilà le monde dans lequel nous vivons. Voilà le monde dont on a hérité et probablement celui que nous allons léguer à nos enfants. Pas de quoi pavoiser.

Marche ou crève. Un pas en avant, dix coups dans ta gueule, tu encaisses le recul et tu recommences. Il faut un moral de vainqueur pour survivre dans un monde de perdants. Marche ou crève. Tu y crois, tu te bats, tu te défonces, d’ailleurs, même si tu n’y crois pas, tu fais au moins semblant, au moins la chaleur du troupeau que l’extrême solitude du sage. Bêlons en chœur, peut-être que le loup bouffera le mouton d’à côté, peut-être même qu’en fermant très fort les yeux, tout cela cessera d’exister et la porte du placard se refermera sur sa parade monstrueuse qui a envahi toute la chambre et qui déferle maintenant dans le couloir.
Marche ou crève. Ou faire dans l’originalité, choisir son rythme. Je trottine, je cours, je brasse et je pédale. Je pensais avoir changé d’univers physique et mental, je n’ai fait que m’adapter à la donne en restant dans le mouvement. Ma seule marge de manœuvre, c’est la vitesse que j’imprime à la roue que mes efforts colossaux font tourner mollement sur place.
Marche ou crève. Courir pour oublier qu’on ne va nulle part. Pédaler pour démultiplier le pas perdu. Nager pour ne pas sombrer corps et âme. Ni médaille, ni trophée, ni podium, ou alors tous bien serrés sur la dernière marche. Ni fleurs, ni couronne. Non plus. Rien que l’instant et l’écho de ton souffle court pendant que tu t’échines à avancer. Avancer. Comme des pantins. Les figurants d’un mauvais film qui emmerde tout le monde et dont personne ne veut connaître la fin.
Marche ou crève. K.O. debout, tu t’es encore vautré. Est-il humainement possible de se bouffer autant de portes sans jamais s’enkyster dans le bois du panneau ? Encore une couleuvre à avaler, ton gosier est plus souple et serpentaire qu’un alambic, tu ne peux même plus déglutir ta propre honte, ton ultime négation de toi. Envie de laisser tomber, de baisser les bras.
Et puis quoi ?
Crève dans le fossé, la gueule ouverte. Mais fais-le en silence, pour ne pas troubler la foulée intime et recueillie des autres coureurs de fond. Crève, mais crève donc ! le surnuméraire, l’échappé du dernier rang, le boulet de service, toi, le putain de concurrent. Pas de voiture-balai dans ce tour de force-là, pour ce tas de forçats las. Ce n’est même pas la loi de la jungle, les animaux n’ont jamais été aussi cons. Demain attend pourtant l’ultime ressource du faible de ce soir. C’est la leçon que nous ignorons, que nous méprisons sans cesse et c’est bien là notre perte.

Pas de consolation pour les perdants, ni repos, ni soulagement. On les finira à coups de saton dans le caniveau, ces crevures!
Alors, tu ravales ta peine, tes espoirs et tes colères, tu bandes ces muscles dérisoires que la permanence de la lutte t’a sculptés et tu repars vers le mirage suivant, sans le voir, sans y croire, mais parce que tu n’as, finalement, pas le choix.

Balancé dans une fureur froide une nuit sans sommeil.

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