OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Bûcher diplomatique à Téhéran http://owni.fr/2012/03/12/feu-les-relations-france-iran/ http://owni.fr/2012/03/12/feu-les-relations-france-iran/#comments Mon, 12 Mar 2012 13:00:18 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=101508 OWNI, au mois de décembre, la France a ordonné la destruction des archives diplomatiques de son ambassade de Téhéran. Paris entendait se prémunir contre toute attaque, comme celle conduite deux jours plus tôt contre le Royaume-Uni. Récit d'une semaine brûlante, autour de la piscine de l'ambassadeur.]]>

Les archives brûlent dans la piscine devant la chancellerie de l'ambassade de France en Iran.

Pendant près d’une semaine, début décembre, une fumée noire s’échappait de l’ambassade de France en Iran. Des années d’archives diplomatiques ont brûlé dans la piscine de l’ambassade, à l’initiative de la représentation française (comme le montrent les photos que nous avons recueillies). La mesure se voulait préventive, deux jours après la mise à sac de sites diplomatiques britanniques à Téhéran.

Le 29 novembre, des miliciens affiliés au régime, prennent d’assaut deux enclaves diplomatiques de la Grande-Bretagne. La foule, de taille modeste, saccage les lieux, brûle un portrait de la reine et hisse un drapeau de la République islamique. L’épisode rappelle immédiatement en mémoire la prise d’otage du personnel de l’ambassade américaine, pendant la révolution de 1979. Les chancelleries européennes condamnent à l’unisson cette attaque “scandaleuse”, selon les mots du président français, Nicolas Sarkozy.

Le 30 novembre, le lendemain donc, un email est envoyé aux ressortissants français par l’ambassade :

Par mesure de prudence, nous recommandons aux ressortissants français en Iran de rester à leur domicile dans la mesure du possible et en tout état de cause d’adopter un comportement discret et prudent s’ils sont amenés à sortir dans les lieux publics.

Dans le même temps, le Quai d’Orsay rappelle son ambassadeur en consultation,“compte tenu de cette violation flagrante et inacceptable de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques et de la gravité des violences”. Plusieurs membres de l’Union européenne font de même, notamment l’Allemagne, la Suède et les Pays-Bas.

Tensions récurrentes

Paris craint d’être le prochain sur la liste, en raison des tensions fortes qui opposent la France et l’Iran. Depuis le début de sa présidence, Nicolas Sarkozy s’est fait le chantre d’une politique dure envers l’Iran, débordant même le président Obama et sa politique de la main tendue inaugurée aux premiers jours de son mandat, en 2009.

La crise de décembre dernier n’est pas la première, mais son intensité est nouvelle. Craignant pour la sécurité de son ambassade, décision est prise au soir du 1er décembre de supprimer les archives diplomatiques. Le personnel de l’ambassade est réquisitionné. L’ambassadeur de France, Bruno Foucher, décolle dans la nuit pour Paris, officiellement rappelé en consultation. Avant même qu’il ne soit parvenu à destination, un télégramme diplomatique arrive à Téhéran : les services culturels, économiques et militaires doivent fermer et le personnel être rapatrié sous huitaine.

Le lendemain, tous les agents du corps diplomatique sont convoqués à l’ambassade. Renaud Salins, Premier conseiller et chargé d’affaires en l’absence de l’ambassadeur, lit le télégramme diplomatique au personnel rassemblé. Ils doivent quitter le pays d’ici une semaine.

Piscine

Ils partent sept jours plus tard, dans la nuit entre le jeudi 8 décembre et vendredi 9 décembre. Entre temps, la piscine de l’ambassade, en face de la chancellerie, fait office d’incinérateur. Pendant une semaine brûlent les archives de l’ensemble des services diplomatiques. Le consulat détruit tout, sauf les documents les plus récents. De même pour le service culturel, situé dans le Nord de la ville.

De très nombreux aller-retour entre le Nord et le centre de la ville, où est située l’ambassade, permettent de vider les demandes de bourses d’étudiants iraniens, les documents relatifs à des événements culturels, et les télégrammes diplomatiques reçus. Officiellement, il s’agit de protéger les Iraniens en cas d’attaque. Le régime, paranoïaque dès qu’il s’agit de contact avec l’étranger, pourrait reprocher à des citoyens d’avoir été proches des représentations diplomatiques étrangères.

Une partie des archives échappe à la mesure de destruction. Ces documents sont placés dans un container diplomatique scellé, puis expédié dans l’hexagone. Seule la France prend une mesure d’une telle ampleur. L’ambassade italienne, située non loin de l’ambassade de France, s’enquiert de savoir s’ils disposeraient d’informations que les Italiens n’auraient pas, et qui justifierait la destruction de ces archives…

Convoi diplomatique

Jeudi soir, soir du départ, une nouvelle réception est organisée à l’ambassade. Le personnel sur le départ est réuni. Lecture est faite d’un message d’Alain Juppé, ministre français des affaires étrangères.

Condamnant un “comportement injustifiable” de la part des manifestants responsables de l’attaque des sites britanniques, Alain Juppé annonce la “fermeture temporaire de plusieurs services de l’ambassade”. Il s’agit de ne pas “exposer inutilement” le personnel non indispensable et d’éviter qu’ils ne deviennent “des cibles du régime.”

A 23h, jeudi 8 décembre, un convoi de plusieurs voitures quittent l’ambassade pour l’aéroport. Personnels de la mission économique, de la mission militaire, des services culturels et de l’école française s’envolent dans la nuit. Dans un passé récent, les relations diplomatiques entre les deux pays ont connu des tensions. Ainsi, en juin 2009, la République islamique traversait une crise inédite depuis la révolution, liée à la réélection frauduleuse de Mahmoud Ahmadinejad. Dans ce contexte troublé, l’Iran avait arrêté une ressortissante française, lectrice à l’université technique d’Ispahan. Gardée six semaines en détention, elle avait été placée en résidence surveillée le 16 août, avant d’être libérée le 16 mai 2010.

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Le consulat de Total au Canada http://owni.fr/2012/03/01/le-consulat-de-total-au-canada/ http://owni.fr/2012/03/01/le-consulat-de-total-au-canada/#comments Thu, 01 Mar 2012 18:50:25 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=100299

Inauguré le 5 août 2010 dans la province d’Alberta, égarée dans les grands espaces canadiens, le consulat français de Calgary a hérité d’un doux surnom : “le consulat Total”. Seule représentation de Paris créée depuis 2009 en dehors des Etats nouvellement indépendants, ce bureau dessert un territoire où les Français sont encore rares mais dont le géant pétrolier convoite les ressources en hydrocarbures : dans la région de l’Athabasca, Total a obtenu des autorisations pour exploiter les sables bitumineux, gisements à l’exploitation ultra polluante d’hydrocarbures lourds. Une perspective dont le ministère des Affaires étrangères français a tenu grand compte au moment d’installer cette représentation exceptionnelle.

Un réseau consulaire “à l’os”

Au regard de la communauté française au Canada, la création d’une antenne à Calgary se justifiait peu : là où l’on compte plus de 10 000 Français à Vancouver et Québec et 50 000 à Montréal, la capitale de l’Alberta ne réunit que 1 650 expatriés. Trois fois moins que Vancouver qui disposait déjà d’un consulat général, offrant tous les services nécessaires aux ressortissants.

Au Quai d’Orsay, certains agents se sont étonnés de la création d’un consulat à Calgary. D’autant plus que, selon une expression fort peu diplomatique du rapport sur l’action extérieure de l’État dans le cadre du projet de loi de Finances 2012, le réseau consulaire mis à la diète par l’application de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) est désormais “à l’os” du fait des réductions d’effectifs. Le sénateur socialiste Richard Yung pousse même le constat un peu plus loin :

Nous ne sommes même plus à l’os : ça commence à craquer ! Les effectifs ont été tellement réduits que les consulats ne reçoivent désormais plus que sur rendez-vous et que la moindre tâche administrative de base prend trois semaines. La question que nous posons avec ce rapport, c’est de savoir s’il faut maintenir un tissu aussi dense : à Los Angeles, par exemple, il y a un consulat d’Allemagne, un pour l’Italie, un autre pour la France… Alors qu’ils passent leur temps à délivrer des visas Schengen. Tout cela pourrait être fait par un consulat Schengen unique.

A Calgary, le problème ne se pose pas : si la Grande-Bretagne projette d’y installer une représentation en 2012, la France est pour l’instant le seul État européen à disposer d’un bureau. Total a, en cela, précédé son concurrent britannique BP dans le lobbying auprès de son pays d’origine.

“Consulat d’influence”

Installée depuis 2008 à Calgary, la filiale Total E&P Canada a été, selon un source diplomatique, fort déçue de la décision de Paris d’en faire un consulat d’influence, et non un consulat général. Ce statut ajoute à la présence diplomatique toute la panoplie des services qui facilitent la vie des expats (visas, papiers administratifs…).

Au vu du potentiel des sables bitumineux d’Athabasca, et malgré l’impact écologique désastreux de leur exploitation dénoncé par de nombreuses ONG, le groupe français a mis de gros moyens pour développer son ancrage canadien. Perspectives d’investissements : 20 milliards de dollars canadiens et 1 500 salariés sur place à l’horizon 2020 pour diversifier les sources d’approvisionnement en pétrole brut. Une somme qui ne comprend pas que la location des locaux et le paiement des salaires.

Gymnase Total au lycée français

En plus d’une bourse à l’école d’ingénierie de Calgary, la société a pris à sa charge 1,2 millions sur les 7 millions de dollars canadiens qu’a coûté l’extension du lycée français de Calgary, Louis Pasteur, dont le gymnase porte désormais le nom de “Gymnase Total E&P Canada”. Elle finance aussi à hauteur de 200 000 dollars canadiens un programme de la faculté de sciences de l’université de Calgary. Les dirigeants du groupe auraient activement plaidé pour l’implantation du consulat, sujet abordé selon un habitué du Quai d’Orsay, “à l’occasion des visites que font les dirigeants des multinationales françaises au ministère des Affaires étrangères”.

Chantage au pétrole sale

Chantage au pétrole sale

Gros exportateur de carburant issu des sables bitumineux, le Canada est visé par une directive sur la qualité de l'énergie ...

Mais l’intérêt stratégique et politique n’est pas que celui de la firme pétrolière, nous assure un membre du corps diplomatique proche du dossier. Calgary est la ville d’origine de l’actuel Premier ministre du Canada, Stephen Harper, leader du parti conservateur diplômé en économie de l’université de la ville. Une ville qui a aussi donné naissance à l’équivalent canadien de “l’école de Chicago”, qui défend dans la branche conservatrice la dérégulation et la libéralisation de la plupart des secteurs de l’économie, dont le secteur de l’énergie.

C’est sous l’impulsion de cette mouvance que l’Alberta a facilité l’accès à ses ressources en hydrocarbures aux sociétés pétrolières étrangères. De son côté, le Premier ministre a été l’objet d’accusations de lobbying en faveur des gaz de schiste et sables bitumineux. Révélés par la branche britannique des Amis de la Terre, plusieurs échanges ont montré l’acharnement des autorités canadiennes pour torpiller la directive européenne sur la qualité des carburants, qui menaçait les exportations de pétrole d’Alberta vers le Vieux Continent.

Comme OWNI l’a rappelé dans un précédent article, Bercy avait poussé en faveur du gouvernement canadien dans ce combat, contre l’avis du ministère de l’Écologie. Et ce à la demande de Total. En installant une cabane au Canada pour plaider la cause du pétrolier français, le Quai d’Orsay offre la preuve que le leader du Cac 40 a plus d’un ministère dans son sac.


Photos sous licence Creative Commons par buliver et splorp/Flickr

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Alain Juppé sera-t-il le Talleyrand de Sarkozy? http://owni.fr/2011/02/27/alain-juppe-sera-t-il-le-talleyrand-de-sarkozy/ http://owni.fr/2011/02/27/alain-juppe-sera-t-il-le-talleyrand-de-sarkozy/#comments Sun, 27 Feb 2011 19:00:49 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=48873 Sur France Inter le 24 février, Alain Juppé a anticipé le remaniement dominical que vient d’annoncer Nicolas Sarkozy. S’exprimant sur la situation en Libye, le ministre de la Défense a souhaité “de tout coeur que Kadhafi vive ses derniers moments de chef d’Etat”, en ajoutant que “ce qu’il a décidé de faire, c’est à dire tirer à l’arme lourde sur sa population, est naturellement inacceptable”. En confisquant le bâton de la parole, le maire de Bordeaux sort à peine du cadre de ses prérogatives. Lors du dernier lifting gouvernemental au mois de novembre, deux ministres d’Etat avaient été positionnés au sommet du protocole: MAM aux Affaires étrangères, et Alain Juppé à la Défense.

Prise en flagrant délit de mensonge sur le plateau du journal de 20 heures de France 2, sommée de s’expliquer sur ses amitiés tunisiennes, chahutée dans l’hémicycle du palais Bourbon, et finalement éclaboussée par les intérêts libyens de son concubin Patrick Ollier, Michèle Alliot-Marie a fini par épuiser son crédit. A l’heure où la diplomatie française se dilue dans ses tâtonnements, érodée par l’épisode Boris Boillon et les guéguerres anonymes dans la presse, Alain Juppé peut-il être l’homme de la situation? Surtout, l’ancien ministre des Affaires étrangères (de 1993 à 1995) peut-il s’affranchir du joug élyséen en la matière, dans un contexte “révolutionnaire” difficile?

Jusqu’ici, la politique étrangère de la France était l’apanage d’Henri Guaino, le conseiller spécial du président, qui n’hésitait pas à la phagocyter, comme à Dakar en juillet 2007. Le retour aux affaires d’Alain Juppé pourrait marquer le début d’une collaboration plus bicéphale, dans laquelle le ministre garde la main sur ses dossiers. Pas sûr que le vaisseau amiral change de cap pour autant. A l’occasion de son retour au gouvernement à la fin de l’année dernière, Mediapart pointait soulignait les critiques formulées par l’ancien Premier ministre (sur le calendrier des réformes notamment), tout en évoquant les “gages de confiance” qu’il a offert à Nicolas Sarkozy.

Livre blanc de la politique étrangère

A l’été 2007, à peine entré en fonction (alors même que Juppé venait d’abandonner son poste de ministre de l’Ecologie), Nicolas Sarkozy sollicite Alain Juppé et Louis Schweitzer pour coordonner la rédaction d’un livre blanc “sur la politique étrangère et européenne de la France”, branche diplomatique d’un trident complété par le livre blanc sur la défense et la fameuse révision générale des politiques publiques (RGPP). Le but? Définir “les missions prioritaires assignées à notre appareil diplomatique dans le contexte d’un monde en pleine évolution” et – en substance – auditer les ressources logistiques du Quai d’Orsay pour bénéficier d’un horizon dégagé jusqu’à 2020. A la lecture du chapitre sur la rive sud de la Méditerranée, il apparaît de manière criante que la diplomatie française n’est pas (n’est plus?) celle de la prophylaxie:

La stabilité de l’Afrique du Nord, et tout particulièrement du Maghreb, sont d’une importance particulière pour l’Europe et la France, en raison de notre proximité et des liens étroits tissés de part et d’autre de la Méditerranée, historiques ou culturels, mais aussi politiques et économiques. Or, cette région connaît une évolution contrastée, avec : une transition démographique en cours, mais une forte pression migratoire venue d’Afrique subsaharienne; un dynamisme économique inégal, mais de forts déséquilibres sociaux (notamment en termes d’emploi) ; un risque terroriste persistant et sans doute plus internationalisé (qu’illustre le rôle d’”Al Qaïda au Maghreb islamique”). A long terme, la réforme politique, la capacité à anticiper sur la dégradation environnementale, le développement de l’éducation, l’amélioration de la gestion du développement urbain seront des facteurs importants de l’évolution de cette sous-région.

Renforcé par les crises yougoslave et rwandaise

Incapable de prévenir les soulèvements successifs en Tunisie, en Egypte ou en Libye, empêtré dans une communication erratique, le ministère des Affaires étrangères peut-il retrouver une voix, éteinte dans des bruits de bouche à peine audibles? Lorsqu’il était en poste, Alain Juppé a prouvé qu’il savait mener la barge diplomatique au milieu des chevaux de frise, et les deux crises qu’il a traversé l’ont globalement renforcé. Vis-à-vis du Rwanda, d’abord, il reste cohérent, alors que l’Etat est placé sur le banc des accusés. Il est l’un des premiers à militer pour une intervention de l’ONU, et pour une implication de la France. En 2004, à l’occasion de la dixième commémoration du génocide, il s’emporte (avec Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Défense) contre ceux qui cherchent à “culpabiliser” la France. Plus récemment, il apporte son soutien au général Lafourcade, commandant de l’opération Turquoise, en égratignant “ceux qui tentent de réécrire l’histoire”. Dans une tribune parue en mai 2010, soucieux de rétablir les relations entre Paris et Kigali, il rappelle aussi qu’il est l’un des premiers à avoir utilisé le terme de “génocide”:

Ce que je sais aussi, c’est que loin de se taire sur ce qui s’est alors passé au Rwanda, le gouvernement français a, par ma voix, solennellement dénoncé le génocide dont des centaines de milliers de Tutsis étaient les victimes. Je l’ai dit le 15 mai 1994 à l’issue de la réunion du Conseil des Ministres de l’Union Européenne à Bruxelles, et de nouveau le 18 mai à l’Assemblée Nationale au cours de la séance des questions d’actualité.

Face à la guerre en Yougoslavie, ensuite, “le meilleur d’entre nous” contribue aux accords de Dayton, en harmonisant les positions des pays européens, des Etats-Unis et de la Russie. Lors de la conférence de paix sur l’ex-Yougoslavie organisée à Paris en décembre 1995, Jacques Chirac loue son travail. Entre temps, Juppé est devenu Premier ministre.

Mais c’est finalement un dernier épisode qui pourrait éclairer de la meilleure des façons le défi qui attend le transfuge gaulliste. En octobre 1993, le vice-premier ministre irakien, Tarek Aziz, est hospitalisé en France. A l’époque, dans le bouillant climat postérieur à la Guerre du Golfe, le ministre des Affaires étrangères calme le jeu. Deux ans plus tard, le même Tarek Aziz est reçu par le même Alain Juppé, et ils décrètent ensemble l’ouverture d’une section d’intérêt français à Bagdad, s’attirant les foudres de Londres et de Washington. “Le problème n’est pas de savoir si on parle avec les Irakiens, c’est de savoir ce qu’on leur dit”, oppose alors le président François Mitterrand. En 2011, c’est probablement la devise qui est inscrite au frontispice du Quai d’Orsay.

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Crédits photo: Flickr CC fondapol, c a r a m e l

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Diplomatie française: sourds, aveugles et muets? http://owni.fr/2011/02/27/diplomatie-francaise-sourds-aveugles-et-muets/ http://owni.fr/2011/02/27/diplomatie-francaise-sourds-aveugles-et-muets/#comments Sun, 27 Feb 2011 18:20:57 +0000 David Servenay http://owni.fr/?p=48846 Trois tribunes en une semaine. Trois textes d’une singulière et rare violence, dans un milieu habitué à plus de réserve et de doigté. Trois libelles rédigés et signés par de hauts fonctionnaires dont le travail quotidien est de nous représenter. Dans l’ordre, si vous les avez raté :

1. Mardi, dans Le Monde, un mystérieux groupe Marly attaque la « voix de la France » désormais « disparue », exécution en règle de la politique sarkozyenne:

A l’encontre des annonces claironnées depuis trois ans, l’Europe est impuissante, l’Afrique nous échappe, la Méditerranée nous boude, la Chine nous a domptés et Washington nous ignore ! Dans le même temps, nos avions Rafale et notre industrie nucléaire, loin des triomphes annoncés, restent sur l’étagère. Plus grave, la voix de la France a disparu dans le monde. Notre suivisme à l’égard des Etats-Unis déroute beaucoup de nos partenaires.

2.  Jeudi, dans le Figaro, réplique d’un non moins mystérieux groupe Rostand qui fustige une « petite camarilla de frustrés » et défend les acquis de la « politique d’action » menée par le président:

Le traité de Lisbonne, la présidence française de l’Union européenne, les accords de défense avec l’Angleterre, la Géorgie sauvée de l’invasion et préservée dans son indépendance, les partenariats stratégiques avec l’Inde et le Brésil, les fondations d’un vaste espace commun avec la Russie, en Afrique la réconciliation avec le Rwanda, la refonte de nos accords de défense et le soutien déterminé à la démocratie ivoirienne, la fermeté lucide face à l’Iran, les initiatives à l’ONU sur le contrôle des armes ou les droits des homosexuels, pour ne citer que ceux-là.

3. Enfin, dimanche, dans Libération, l’énigmatique groupe Albert Camus livre une dernière salve, quelques heures avant l’annonce officielle du départ de Michèle Alliot-Marie du Quai d’Orsay, en tirant les leçons du naufrage arabe de la diplomatie française:

Nous constatons une nouvelle fois que notre pays, malgré ses références mécaniques aux droits de l’homme, éprouve les plus grandes difficultés à intégrer dans sa politique étrangère la défense de la démocratie, le soutien aux dissidents et à la transformation des régimes. Il semble paralysé par la peur du changement, obsédé par la volonté de maintenir le statu quo, la stabilité.

Sous-titrage : les premiers, proches du Parti socialiste, tirent à boulets rouges sur Nicolas Sarkozy. Les seconds, reprenant des éléments de langage entendus à l’Elysée, le défendent. Les derniers, se faisant l’écho des arguments d’un Dominique de Villepin, tentent une audacieuse passe-sautée pour préparer l’avenir. Avec la droite ou avec la gauche.

La diplomatie a perdu 20% de ses moyens en 25 ans

Au-delà des divergences de points de vue, ces trois interventions publiques ont ceci de particulier qu’elles dessinent précisément les forces et faiblesses de notre système actuel :

  • Hypercentralisation de la décision politique à l’Elysée au détriment de l’action de la diplomatie (ministre + administration)
  • Primauté à l’action de court terme sur les engagements à long terme
  • Absence de vision stratégique au profit d’alliances tactiques de circonstances
  • Pas de vraies différences droite/gauche sur les options à suivre en matière de politique étrangère (cf. crise tunisienne et suivantes)

Il est d’ailleurs révélateur que la dernière tribune marquante sur le sujet ait été co-signée, l’été dernier dans Le Monde (6 juillet 2010), par Hubert Védrine (ministre PS des Affaires étrangères 1997-2002) et… Alain Juppé (ministre RPR des Affaires étrangères 1993-1995). Que disaient-ils, ensemble ? Que la diplomatie française s’appauvrit. En 25 ans, elle a perdu « 20% de ses moyens financiers ainsi qu’en personnels » :

Les économies ainsi réalisées sont marginales. En revanche, l’effet est dévastateur : l’instrument est sur le point d’être cassé, cela se voit dans le monde entier. Tous nos partenaires s’en rendent compte.

Ils avaient raison : l’effet est dévastateur. Nous sommes en train de le mesurer chaque jour un peu plus dans la litanie des révolutions de l’hiver. Incapables de comprendre le monde actuel, les politiques n’ont même plus la possibilité de se reposer sur une administration performante, innovante et anticipatrice.

Pourquoi ? La RGPP (révision générale des politiques publiques), qui taille chaque année dans les budgets et réduit le nombre de postes, fait figure de grande accusée. Puis viennent les hommes et leurs défauts. Faire de Boris Boillon (actuel ambassadeur à Tunis) la prométhéenne icône de la nouvelle politique arabe de la France était aussi risquée que futile. Il n’est ni plus mauvais, ni meilleur qu’un autre. Juste un peu plus jeune (41 ans) et maladroit que ses collègues rompus à toutes les manœuvres de couloir. Un coup de poker dans une partie d’échecs.

Recul du soft power, défiance des élites du Sud

Alors l’espoir viendrait d’un Alain Juppé ou d’un Hubert Védrine, eux qui n’ont rien anticipé des mouvements actuels? Probablement pas. A moins que leur longue traversée du désert respective (canadien pour Juppé, dans un grand cabinet d’avocats d’affaires pour Védrine) n’ait eu pour effet de changer radicalement leur perception du monde et, du coup, de modifier leur grille d’analyse. Rien de tel dans leurs discours publics en tout cas.

Pourtant, le constat est clair :

  • La France manque d’idées originales, sa position recule chaque année sur le terrain du « soft power »
  • Les engagements de son armée (Afghanistan, Côte d’Ivoire) sont illisibles pour l’opinion et incompréhensibles pour les militaires
  • Les élites intellectuelles du monde entier, en particulier celles du Sud, s’en détournent lentement mais sûrement
  • Enfin, elle continue d’afficher des principes universels (droits de l’homme, égalité sociale…) en totale contradiction avec ses pratiques politiques (ventes d’armes, soutiens aux pires dictateurs)

Ce grand écart est en train d’exploser sous nos yeux. De Tunis jusqu’à Tripoli, chaque crise nous renvoie à nos paradoxes. Et nous restons muets, sourds et aveugles.

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Crédits photo: Flickr CC Propaganda Times, Alain Bachellier, uhrmacher-nr.1

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Une fuite à la WikiLeaks est-elle possible en France? http://owni.fr/2011/02/17/diplomatie-france-fuite-wikileaks/ http://owni.fr/2011/02/17/diplomatie-france-fuite-wikileaks/#comments Thu, 17 Feb 2011 17:18:39 +0000 David Servenay et Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=47351 Quelques jours après la fuite des mémos diplomatiques américains organisée par WikiLeaks, le dimanche 28 novembre 2010, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) a décidé d’activer une cellule de réflexion sur cette nouvelle effraction dans le paysage de l’information. Les analystes des services secrets français ont pour mission de répondre à deux questions:

  • Cette fuite subie par les États-Unis est-elle susceptible de se produire en France ?
  • Le “modèle WikiLeaks” – des informations secrètes diffusées par un whistleblower – peut-il faire des émules, ici ou ailleurs ?

Très vite, les hommes de la DGSE comprennent qu’il leur faudra répondre “non” à la première interrogation et “oui” à la seconde. Ou plutôt, trouver de solides arguments pour étayer de telles réponses. L’exercice n’est pas facile, car si la seconde assertion est très probable, la première est nettement moins certaine. Il faut dire que Le Monde, tout comme quatre grands journaux étrangers, multiplie alors les Unes tonitruantes sur les “fuites” de WikiLeaks. Sans interruption pendant au moins deux semaines. Cela agace le pouvoir.

Dès les premiers jours, un joli choeur de dinosaures digne de la guerre froide se fait entendre pour condamner la “plus grande fuite d’informations” jamais organisée. Bernard Guetta, le chroniqueur international de France Inter, vilipende dans Libération “la presse et la transparence informatique”; sur Europe 1, la journaliste Catherine Nay compare Internet à la Stasi, “parce que rien n’y est jamais effacé”; Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères et gardien du temple mitterrandien, dénonce un “Big Brother électronique”. Mais le politique a aussi mis le doigt sur la profondeur historique du changement. Le 30 novembre, dans Libération, il soutient que “la sécurité électronique sera renforcée [et que] les échanges passeront par d’autres canaux”. Alors, une Wiki-fuite hexagonale est-elle possible?

Trois couches de sécurité

La France présente un profil de victime idéale. Deuxième puissance diplomatique derrière les États-Unis, elle échange 180.000 télégrammes par an. Le ministère des Affaires étrangères est le plus attaqué du pays, et il doit essuyer plusieurs assauts par semaine, à tel point que les équipes refusent d’avancer le moindre chiffre.

D’emblée, les responsables des systèmes d’information du MAE tiennent à se démarquer de leurs homologues américains en invoquant des choix techniques différents. “Après le 11-Septembre, les États-Unis ont fait le choix de la mutualisation en multipliant les droits d’accès”, explique l’un d’entre eux. Ce n’est pas faux. Outre Intellipedia, la plate-forme collaborative créée en 2005 pour agréger les 16 agences de renseignement, le gouvernement US a délivré pas moins de 854.000 accréditations “top secret” à des fonctionnaires, chiffre astronomique que révélait le Washington Post dans son enquête interactive “Top Secret America”.

Pour autant, l’architecture française est-elle totalement imperméable ? Coïncidence ou hasard, en septembre 2010, après dix ans de développement, Schuman a enfin été déployé au sein du ministère, pour remplacer Sartre. Schuman est le nouveau système de transmissions de données du Quai d’Orsay. Il fonctionne en trois “couches”:

  • La couche horizontale, la plus ouverte, se présente sous la forme d’une messagerie Outlook, où transite en clair 80% de l’information
  • La messagerie sécurisée pour les télégrammes diplomatiques (TD), jusqu’au stade “diffusion restreinte”, premier niveau de classification du secret défense. Très utile pour les communications interministérielles, qu’il s’agisse de l’Elysée, de Matignon ou de Bercy, cette deuxième est chiffrée selon le standard AES 256. Réputé pour sa solidité (même s’il n’est pas incassable), il a été approuvé par la NSA aux États-Unis et même utilisé par WikiLeaks pour son fameux fichier Insurance.
  • Les TD contenant “de l’information à haute valeur ajoutée politique”, comme le formulent les diplomates en charge de la sécurité du système, sont les derniers à avoir franchi le cap de la dématérialisation. Mise en place entre janvier 2010 et janvier 2011, cette couche nécessite une carte à puce personnalisée pour y accéder. Ce Schuman-C (pour confidentiel) sera totalement opérationnel d’ici à la fin de l’année : 2.800 personnes seront accréditées, et seuls douze chiffreurs, habilités au plus haut niveau et en rotation 24 heures sur 24, disposeront de droits d’administrateur sur l’ensemble du réseau.

Présentée comme telle, cette construction en silo semble adaptée aux exigences du moment. Problème : les trois couches du système sont installées physiquement sur les mêmes postes, eux-mêmes équipés de ports USB, de graveurs et surtout, d’une connexion Internet. Pour schématiser, un diplomate traite le tout-venant et la sécurité nationale sur la même machine, ce qu’un Julian Assange s’interdit formellement. Commentaire d’un M. Sécurité :

La bunkerisation n’a aucun sens pour une administration qui travaille vers l’extérieur.

Les “machines blanches” de la DGSE

Le siège de la DGSE, boulevard Mortier, à Paris

Pour les espions, les diplomates du “département” (surnom du Quai d’Orsay) font figure d’aimables amateurs. Il faut dire que la “boîte” (surnom de la DGSE) fonctionne grâce à un réseau étanche avec:

  • Un réseau chiffré indépendant, dont la clef algorithmique change toutes les secondes.
  • Des “machines blanches”, sans ports externes, installées dans des salles dédiées, pour la consultation des notes classifiées.
  • Un système de réquisition écrite et traçable pour la consultation des archives.

Aux yeux d’Alain Chouet, ancien directeur du renseignement de sécurité de la DGSE, le maillon le plus vulnérable est celui des diplomates :

Du côté des militaires, nous sommes plus étanches et mieux protégés que les Américains. Pour le reste, c’est la Bérézina… L’administration est vulnérable au recueil de données et pire, au sabotage informatique. Foutre en l’air le système informatique de la Sécurité sociale pour six mois, cela ferait des dégâts !

C’est d’ailleurs le scénario que redoutent le plus les directeurs des systèmes d’information du Quai d’Orsay: “Plus que l’extraction, le vrai danger, c’est que l’outil soit corrompu ou que quelqu’un y injecte des données”. En filigrane, c’est le facteur physique qui est mis en cause.

Si le ministère préfère évacuer la question de la faille humaine dans une rhétorique de “fuite résiduelle acceptable”, certains connaisseurs du sérail rechignent moins à livrer quelques pistes. François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran et auteur d’une tribune anti-WikiLeaks dans le Figaro début janvier, pointe ainsi du doigt les “négligences individuelles qui peuvent ponctuellement créer des problèmes”, et identifie notamment deux erreurs. “Parfois, un diplomate va envoyer un projet de télégramme en clair, même si c’est normalement proscrit”, déplore-t-il. “Mais le plus dangereux, c’est la dissémination. Même si le nombre d’accréditations est limité, les cabinets ministériels font toujours des photocopies, laissent traîner des papiers. C’est comme le lectorat d’un journal, des informations traînent sur une table.” Au MAE, on se gargarise de l’équation suivante: “C’est très différent de donner un document à 4 personnes ou à 16 personnes”. Mais si ledit document est reproductible, qu’advient-il de ce calcul?

Le défi de la mobilité

Dans le monde post-WikiLeaks, sécuriser ses canaux de transmission traditionnels ne suffit plus, et le Quai d’Orsay doit relever un autre défi, celui de la mobilité. De ce côté, l’aveu est inquiétant. Équipés de téléphones sécurisés “Hermès” jusqu’au niveau de directeur adjoint, comme à l’Elysée et Matignon, les diplomates n’ont pas  le droit d’utiliser de Blackberry et l’iPhone est vivement déconseillé. Et pourtant, à ce jour, ils ne disposent d’aucun système de consultation embarqué, qu’il s’agisse d’une tablette ou d’un ordinateur portable. Lorsqu’ils s’envolent pour un sommet ou une grande conférence internationale, ils n’ont que… du papier, premier véhicule de l’erreur humaine.

“Si vous écrivez que nous sommes le maillon faible, vous serez ridicules”, s’offusque l’un des responsables de la sécurité du ministère des Affaires étrangères. Néanmoins, son équipe reconnaît que le système actuel n’est pas parfait :

Après WikiLeaks, nous avons réalisé un audit pour déterminer les failles. Notre réponse est que ce système ne permet pas une copie rapide et facile des milliers de télégrammes en circulation. Est-ce que ça peut nous arriver ? Peut-on en avoir autant dehors ? La réponse est non. Mais nous avons besoin de réponses adaptées. Les personnels doivent être conscients de ce qu’ils écrivent, des individus qu’ils nomment dans leurs rapports.

Pour lutter contre les fuites, la sécurité du Quai d’Orsay doit piocher dans une enveloppe globale de 40 millions d’euros. “Il n’y a pas d’économie dans ce secteur (celui de la sécurité informatique”, précise-t-elle, en refusant de fournir le détail de la somme allouée au chiffrement ou à l’achat de postes sécurisés. Dans la course aux armements qui oppose les gouvernements aux hackers de tous bords, le ministère n’est pas peu fier d’avoir momentanément tari quelques sources, notamment celle qui alimentait les billets hebdomadaires de Claude Angeli dans le Canard Enchaîné. Jusqu’ici, tout va bien. “Mais l’important, c’est pas la chute, c’est l’atterrissage”.

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Crédits photo: Flickr CC Husky, Theoddnote, pj_vanf

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