OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Portrait des migrants tunisiens http://owni.fr/2011/05/11/portrait-des-migrants-tunisiens/ http://owni.fr/2011/05/11/portrait-des-migrants-tunisiens/#comments Wed, 11 May 2011 13:38:44 +0000 Marie Barbier http://owni.fr/?p=62191 Qui sont ces migrants tunisiens récemment arrivés en France ? Ni persécutés, ni miséreux, pourquoi quittent-ils leur pays ? Clandestins clochardisés ici, ils font figure d’aventuriers au Maghreb où on les appelle les harragas, ceux qui brûlent les frontières. Virginie Lydie les a rencontrés en Tunisie. Elle publie un ouvrage très documenté sur ces grands incompris de l’immigration.

Qui sont ces harragas ?

Des Maghrébins qui ont envie de faire quelque chose de leur vie. Des garçons, entre 15 et 30 ans. Ils ne peuvent pas avoir de visas, donc ils partent avec les moyens du bord, en bateau. Littéralement,  « harragas » signifie « ceux qui brûlent » : les frontières, leurs papiers, leur identité et, parfois, leur vie lors d’un naufrage ou de longues années de clandestinité. Ces jeunes ne sont pas dans une logique suicidaire, mais ils sont tout de même prêts à mourir pour quitter la vie qu’ils mènent.

Partir ou mourir : comment arrive-t-on à de telles extrémités ?

Il y a d’abord la responsabilité de réussite sociale qui pèse sur leurs épaules. Là-bas, les parents retraités ont besoin de leurs enfants pour vivre. Or, le taux de chômage est énorme. Et si ces jeunes arrivent à trouver du travail, ils ne seront payés qu’une centaine d’euros pour 46 heures par semaine, soit tout juste de quoi survivre. Il y a aussi l’image de réussite véhiculée par l’Occident et par les migrants qui reviennent. Enfin, ces jeunes ont un très fort désir d’émancipation.

Ce n’est pas rien d’annoncer à sa famille : « Soit je pars, soit je meurs ». Cette décision, au fond très violente, explique aussi leur comportement en Europe. Ces migrants sont écartelés entre une vie très dure de clandestin régie par la loi de la jungle et le retour au pays forcément difficile car synonyme d’échec. Sans compter que s’ils partent, ils savent qu’ils ne pourront pas revenir compte tenu de la fermeture des frontières. Comprendre ces « brûleurs de frontières » qui n’ont pas de raisons évidentes de partir, c’est comprendre l’immigration.

Comment sont-ils perçus au Maghreb ?

Ils ont une image héroïque, celle du mythe d’Icare, de l’aventurier. Mais une amie géographe, qui enseigne dans la banlieue de Tunis, me racontait également qu’auprès des étudiants, leur image correspond au cliché sur nos banlieusards : issus de milieu défavorisés, pas très instruits et plutôt glandeurs…

La récente révolution tunisienne n’a rien changé à leur détermination ?

Ils sont très fiers de leur révolution mais ce n’est pas pour ça qu’ils ne veulent plus réussir leur vie ! La révolution ne va pas, du jour au lendemain, donner du travail à tout le monde. Beaucoup veulent venir en France parce qu’ils ont des repères ici. Le français est une des langues officielles de la Tunisie, même si tous ne la parlent pas. Il existe aussi une forme de revendication, ils disent : « La France nous a pas demandé notre avis pour nous coloniser ! »


Ils sont très mal perçus en Europe. Pourquoi ?

Chez nous, ils ne sont pas du tout considérés comme des aventuriers alors qu’ils sont, au fond, assez proches des gens qu’on admire et qui brûlaient les frontières, des Rimbaud ou des Henry de Monfreid qui étouffaient dans leur milieu. Ce dernier disait : « Je ne serai jamais l’épicier de Montrouge ». En Europe, les migrants d’aujourd’hui sont très stigmatisés. On les filme à leur arrivée en bateau pour faire des images choc. Pourtant, 90 % des migrants en situation irrégulière en France arrivent dans un avion avec des visas, mais c’est plus spectaculaire de montrer des gens qui arrivent dans des bateaux surchargés… On est presque dans la peopolisation. Ensuite, un autre mot prend le relais : clandestin. Celui qui se cache et fait peur.

En France ils sont découragés par ce qu’ils découvrent. Comment éviter ces traversées de harragas ?

Comment lutter contre un rêve ? Ils savent ce qui les attend mais pensent qu’ils ne feront pas comme les autres, que, eux, réussiront. Ils s’attendent aux naufrages, aux arrestations, mais pas aux conséquences intimes : le mépris, l’humiliation. Mais, même si vous leur dites ce qui les attend, ça ne les empêchera pas de partir. 70 % des personnes déjà expulsées n’ont qu’une envie : repartir. Tant qu’il y aura de tels écarts entre le Nord et le Sud, la fermeture des frontières est un non-sens. Je ne vois pas comment on peut empêcher à long terme des mouvements naturels de déplacements. Ces hommes ont risqué la mort et atteint leur rêve. Ils vont rester et tout faire pour réussir.


Article initialement publié sur le blog Laissez-Passer, sous le titre : “Les brûleurs de frontières, grands incompris de l’immigration”.

Crédits Photo FlickR : by-nc-sa Michele Massetani ; by DFID

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Le bon filon des télécoms maghrébins http://owni.fr/2011/04/22/le-bon-filon-des-telecoms-maghrebins/ http://owni.fr/2011/04/22/le-bon-filon-des-telecoms-maghrebins/#comments Fri, 22 Apr 2011 12:10:26 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=58635 Devinette : quel est actuellement l’eldorado des grands opérateurs téléphoniques mondiaux? Brésil, Inde, Chine ? Perdu. Suivez plutôt la piste des révolutions en cours dans le monde arabe: Tunisie, Egypte, Libye… mais aussi le Maroc. A l’heure où la plupart des grands marchés sont saturés (Europe, Asie, Etats-Unis), l’Afrique et ses pays émergents sont devenus un terrain de bataille central dans les télécoms.

A cet égard, les erreurs d’appréciation d’Orange en Tunisie sont peut-être à chercher de ce côté-là… A la fin du mois de février, en pleine enquête sur le montage financier de la filiale, une source proche des dossiers de France Télécom avait fourni à OWNI les trois raisons pour lesquelles la Tunisie est “une usine à cash”:

1> Le potentiel d’exploitation sur des marchés où la croissance annuelle s’affiche à deux chiffres
2> Le marketing “ethnique” pour inciter les émigrés installés en France à souscrire des offres couplées avec leur pays d’origine
3> Le roaming, “parce qu’il s’agit d’un pays touristique”

Le roaming, vrai moteur de l’usine à cash des télécoms

Dans le jargon de la régulation des télécoms, on l’appelle l’itinérance internationale. De façon plus usuelle, c’est le roaming, le fait d’appeler ou de pouvoir être appelé quelle que soit sa position géographique. Et notamment à l’étranger. Dans l’Union européenne, le Parlement a imposé depuis 2007 l’eurotarif: ce texte fixe un prix plafond de la minute de communication en Europe. Mais hors de l’espace communautaire, ce tarif est à la discrétion des opérateurs de chaque pays. Cette différence d’environnement législatif permet tous les excès, puisque les opérateurs ont alors entière liberté de surfacturer leur service de roaming. Un spécialiste du secteur ne mâche pas ses mots en utilisant l’expression suivante: “l’interco dans les pays à régime autoritaire”.

Aux yeux de Patrick Fouquerière, directeur des relations fournisseurs chez Iliad, “c’est le manque de concurrence” qui provoque des écarts significatifs, et notamment sur le pourtour méditerranéen:

Certains pays ont un opérateur historique qui ne joue pas son rôle parce qu’il se comporte de manière monopolistique. La conséquence directe, c’est que les tarifs sont beaucoup plus élevés, sur le roaming mais aussi sur le prix des terminaisons d’appels (quand un abonné appel un autre abonné par le biais d’un opérateur tiers, ndlr). Au Maroc ou en Algérie, il est quatre fois supérieur à ce qui se pratique en France. En Tunisie, c’est pire: vous payez 12 fois plus cher. De ce qu’on voit, les opérateurs locaux n’ont pas l’air de vouloir changer de stratégie. Ils estiment qu’ils font plus de trafic entrant parce qu’ils accueillent beaucoup de touristes, et veulent donc maintenir des prix élevés.

L’importance du tourisme

Vendredi 8 avril, Mehdi Houas, 51 ans, Franco-tunisien né à Marseille, est l’invité d’honneur du maire  de Paris. Sous les lambris de l’Hôtel de ville, le tout-nouveau ministre tunisien du Commerce, du Tourisme et de l’Industrie  du gouvernement de transition, essaie de convaincre ses interlocuteurs. Invité par Bertrand Delanoë, ils ont joué ensemble les VRP de luxe pour essayer de “sauver ce qui peut l’être de la saison touristique”.

Le ministre estime que 40% des Tunisiens vivent de cette manne. Par un syllogisme et par un jeu de vases communicants (le tourisme fait vivre la Tunisie; les opérateurs ont besoin du tourisme; le tourisme fait en partie vivre les opérateurs), il faudrait y ajouter la part que représente le roaming pour les opérateurs télécom. Qui y a recours? Les touristes, dans les hôtels de Djerba ou Hammamet. Plus qu’ailleurs, l’articulation du marché est profondément ancrée dans la gouvernance.

Explication de Patrick Fouquerière:

Il y a un vrai particularisme au Maghreb, parce qu’il y a une dimension politique, qu’on ne retrouve qu’à Cuba. La situation peut être similaire dans des pays d’Afrique noire ou en Libye, mais pas dans les mêmes proportions.


Imposer les règles du low cost

Tourisme, paradis législatif et… low-cost. Pour comprendre l’attractivité de ces marchés, il faut aussi saisir leur dimension hautement spéculative. Selon une règle simple: remplir au maximum tous les créneaux disponibles, y compris celui des heures creuses, véritable gouffre des opérateurs.

Dans ce marché hautement spéculatif, une minute de télécom devient aussi fluctuante qu’une place d’avion. C’est une “matière première virtuelle” déconnectée de sa valeur d’usage, dont le cours peut progresser de manière exponentielle, ce qui n’est pas sans rappeler les mécanismes de l’industrie pétrolière, où une même cargaison de brut peut être revendue dix fois entre son extraction et le consommateur.

Ainsi, l’intérêt de nouveaux opérateurs pour le marché de l’émigration ne s’explique que par ses différences entre pays du Sud et du Nord. Cela permet aussi de comprendre pourquoi le prix de la minute Paris-Tunis n’a rien à voir avec celui de la minute Tunis-Paris. Dans cette mondialisation, les opérateurs traditionnels assument le fait de se positionner aussi comme des opérateurs low-cost.

La Sofrecom, discret poisson-pilote d’Orange

Stéphane Richard, le patron d’Orange, le dit lui-même, son groupe “a pour objectif d’accélérer sa croissance en pénétrant de nouveaux marchés émergents à fort potentiel”. Récemment, l’entreprise a réussi à mettre un pied dans le marché irakien, au terme d’âpres négociations. Mais pour se faire une place au soleil dans des terres parfois hostiles, France-Télécom n’opère pas seul.

Dans le secteur de l’armement, les entreprises françaises ont l’ODAS (ex Sofresa), une entreprise administrée par l’Etat, chargée de faciliter les négociations avec les clients étrangers. Le leader français des télécoms a lui la Sofrecom, une filiale aux prérogatives de poisson-pilote, qui opère selon un modus operandi bien rôdé. Dans un premier temps, elle s’implante dans un pays où les télécoms sont une exclusivité publique. Puis, elle conseille les opérateurs locaux avec qui elle est susceptible de s’associer et qui deviennent alors des partenaires dans l’obtention d’une licence lorsque le secteur est privatisé. De poisson-pilote, elle devient alors cheval de Troie : une méthode assez efficace.

Forte d’un réseau de 1 000 consultants, la Sofrecom n’est officiellement présente que dans neuf pays, dont deux du Maghreb:

  • l’Algérie
  • l’Argentine
  • les Emirats Arabes Unis
  • l’Indonésie
  • la Jordanie
  • le Maroc
  • la Pologne
  • la Thaïlande
  • le Vietnam

Selon nos informations, elle aurait aussi pris part aux discussions organisées autour de la privatisation des télécoms en Syrie et en Libye, ce qu’elle reconnaît en creux. La filiale avait aussi opéré en Tunisie, au moment de l’implantation aujourd’hui problématique. Sollicitée par OWNI, la Sofrecom n’a pas donné suite à notre demande d’entretien. Règle d’or des affaires: rester discret.


Crédits photo: Flickr CC neutralSurface, the(?)

Téléchargez I’image de Une par Marion Boucharlat /-)

Retrouvez les articles de la Une “le business des télécoms au Magrheb” :

Lebara, opérateur low cost des quartiers populaires
Ben Ali: les compromissions d’Orange en Tunisie

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Fortune des dictateurs: au tour de Ben Ali et Kadhafi http://owni.fr/2011/04/18/carte-biens-mal-acquis-kadhafi-ben-ali/ http://owni.fr/2011/04/18/carte-biens-mal-acquis-kadhafi-ben-ali/#comments Mon, 18 Apr 2011 15:06:52 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=56887 Près de 200. C’est le nombre de biens mal acquis de cinq despotes africains que nous avons identifiés et listés sur notre carte consacrée au trésor des dictateurs. L’association Sherpa, qui “protège les populations victimes de crimes économiques”, avait déjà largement documenté les avoirs dans l’Hexagone de feu Omar Bongo (président du Gabon), Denis Sassou N’guesso (président du Congo-Brazzaville) et Théodore Obiang (président de la Guinée-Equatoriale). Une bonne partie de leur patrimoine avait été consignée dans des listings, pour un montant total évalué à 35 millions d’euros, que nous avons regroupé sous trois catégories:

  • Voitures de luxe et biens de consommation
  • Hôtels particuliers et biens immobiliers
  • Comptes en banque disséminés à travers le monde

A la faveur des révolutions arabes, de nouveaux noms font leur apparition dans ce club fermé des fortunes mal acquises. Parmi eux, Zine el-Abidine Ben Ali, le président tunisien déchu, et Mouammar Kadhafi, le dictateur atrabilaire s’accrochant à sa chaire de Guide de la Révolution.

Les révolutions pourraient relancer des procédures enterrées

Aux plaintes déposées devant la justice par les ONG Sherpa et Transparence International en 2008, les gouvernements incriminés avaient riposté par la voie de recours judiciaire, avec un certain succès. En avril 2009, le Tribunal de grande instance de Paris s’était opposé à l’ouverture d’une enquête, et il avait fallu une décision de la Cour de cassation en novembre 2010 pour casser ce premier avis.

Finalement, les soulèvements populaires récents pourraient bien relancer des procédures fastidieuses. Après avoir multiplié les déplacements de l’autre côté de la Méditerranée ces dernières semaines, l’avocat William Bourdon et Sherpa espèrent beaucoup de la justice française: dans les affaires de corruption d’agents publics, définies par la convention OCDE de 1997, il n’y a pas de partie civile, et le parquet a le monopole de l’instruction. Parquet qui dépend directement du ministère de la Justice…

Le défi Kadhafi

Ainsi, le procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin, a été saisi pour identifier les biens des clans Ben Ali-Trabelsi et Kadhafi. Dans un courrier adressé le 7 mars 2011, Me William Bourdon et Daniel Lebègue (président de Transparence International) réclament “l’ouverture d’informations judiciaires, ce dernier cadre procédural [leur] paraissant mieux adapté à la complexité et au caractère international des infractions dénoncées.” Sherpa s’est également positionnée sur le cas du président égyptien Hosni Moubarak, même si l’essentiel de ses avoirs a été placé ailleurs en Europe, et notamment au Royaume-Uni. La City de Londres reste l’un des principaux havres de paix des chefs d’Etat kleptomanes.

Le 1er avril, c’est Michel Maes, Vice-Procureur de la République adjoint en charge des relations avec les commissaires aux comptes qui a reçu un courrier signé des deux associations. Dans celui-ci, elles demandent aux autorités françaises de s’aligner sur les décisions de gel votées en Tunisie, et réclament une vigilance particulière vis-à-vis des avoirs du colonel Kadhafi:

Il nous paraît important que vos recherches ne se limitent pas aux seules personnes physiques visées par la plainte mais soient étendues aux avoirs que pourraient détenir les fonds d’investissement libyens ainsi que la Banque Centrale de Libye sur le sol français. Dirigées par des proches du cercle Kadhafi ; ces différentes institutions sont réputées pour servir de réserve personnelle au clan.

Cliquer sur la carte pour naviguer dans l’application

D’après les estimations du Figaro, la seule Libyan Investment Authority (LIA), le premier fonds souverain libyen, gérerait 50 millions de dollars (la manne pétrolière, notamment), la moitié d’une fortune totale évaluée à 100 millions d’euros. Le défi, dans le cas du despote libyen? Remonter le fil de transactions rarement effectuées en son nom propre. “Concernant Ben Ali, on commence à avoir une idée précise de son patrimoine immobilier”, se réjouit Daniel Lebègue.

“Pour Kadhafi, c’est plus compliqué. Beaucoup d’investissements ont été faits par le biais de structures étatiques, sur lesquelles il exerce un contrôle absolu. Il a placé de l’argent dans de nombreuses places financières, aussi bien à la City de Londres que dans les pays du Golfe.”

Témoignages anonymes

Tandis que les premières informations précises affleurent, le travail de recension continue. Dans les premiers mémos de Sherpa, un large chapitre est consacré aux “sources d’information non confirmées”. On y découvre que le clan Ben Ali-Trabelsi a ses particularismes. Là où les familles Bongo et N’guesso ont acheté des appartements en leur nom, avec des oncles, des frères ou des nièces (quoi de plus logique, puisque les deux familles sont liées), les Tunisiens auraient fait beaucoup d’acquisitions par le truchement de sociétés civiles immobilières.

Et déjà, les langues se délient. C’est le second enseignement de ces documents. Trois mois seulement après le départ précipité de Ben Ali, les émoignages anonymes se multiplient, comme si des vocations de whistleblowers (lanceurs d’alerte, NDLR) étaient nées dans la transition démocratique. Coups de téléphone, riverains bavards, nombreux sont ceux qui se manifestent pour identifier les biens. Une manière comme une autre de solder un héritage plus que jamais coûteux.

Retrouvez l’intégralité des données ci-dessous (n’hésitez pas à nous fournir de nouvelles informations via le formulaire “Contribuez” de l’application):

Un immense merci à Jerôme Alexandre pour le développement et à Marion Boucharlat pour le design.


Crédits photo: Intertitres, Mykl Roventine

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L’exil des réfugiés de Libye raconté par les données http://owni.fr/2011/04/11/exil-refugies-libye-data-donnes/ http://owni.fr/2011/04/11/exil-refugies-libye-data-donnes/#comments Mon, 11 Apr 2011 13:31:16 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=55936 Il sont 448 000. Plus de 448 000 réfugiés, toutes nationalités confondues, ont fui la Libye depuis le début du conflit en févier, selon le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR) et l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) [en].

Premiers pays d’exil: la Tunisie et l’Égypte, qui viennent de pousser leur despote respectif vers la sortie. La Tunisie accueille à elle seule près de la moitié du nombre total de réfugiés, et l’Égypte environ 40%. Le Niger, pays frontalier au Sud, vient loin derrière avec un nombre plus restreint, environ 29 000 personnes. Arrivent ensuite l’Algérie, plus de 10 000 réfugiés, et dans une moindre mesure, le Tchad et le Soudan.

Différences en volume et évolution

La carte ci-dessous, réalisée avec Google Public Data Explorer [en], permet de visualiser les évolutions dans le temps du nombre de réfugiés dans les pays limitrophes. Elle est particulièrement utile pour percevoir les différences en volume entre les deux principaux pays d’accueil et les quatre autres. Les données concernant le Soudan et le Tchad sont disponible à partir du 15 mars pour le premier et du 22 mars pour le second.

La visualisation permet de restituer la différence entre la Tunisie et l’Égypte et les autres pays, tout en mettant l’accent sur les variations dans le temps, plus visible sous cette représentation.

Ces chiffres ne prennent en compte que les réfugiés ayant franchi légalement les frontières. Il ne font pas état des milliers de réfugiés quotidiennement bloqués aux passages de frontière. Le 5 avril, entre 6 700 et 9 000 personnes, attendaient à Ras Ajdir de pouvoir passer en Tunisie, et environ 3 000 étaient à Salum, poste frontalier vers l’Égypte.

En Tunisie, une minorité des réfugiés sont de nationalité tunisienne selon l’OIM [en]. Ils ne représentent que 8,5 % des arrivées, contre environ 20 % de réfugiés libyens, les autres étant des ressortissants d’autres pays, notamment le Bangladesh et plusieurs pays d’Afrique subsaharienne dont le Mali et le Ghana. Les ressortissants égyptiens forment un peu plus de 42 % des réfugiés arrivés en Égypte, et les Libyens 27 %.

Ces données rendent compte de l’exode massif en cours depuis la Libye, qui a connu une révolte férocement réprimée, et qui semble se diriger de plus en plus vers la guerre civile, avec la zone d’exclusion aérienne puis les bombardements de l’OTAN en fond.

Derrière l’aridité des chiffres se trouvent évidemment des histoires et des visages, certains ayant été sélectionnés par Big Picture. OWNI vous recommande chaudement d’y faire un tour, pour prendre la pleine mesure de ce à quoi un exode peut ressembler.


Carte et graphique réalisés avec l’aide indispensable de Julien Goetz


Crédits Photo FlickR CC : magharebia

Retrouvez notre dossier sur les réfugiés de Libye :

Image de Une CC Marion Boucharlat pour OWNI

Guerre en Libye, peur des réfugiés en Europe

En finir avec le mythe des flots de migrants libyens

Making of sur le datablog d’OWNI

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Les accélérations du web arabe http://owni.fr/2011/03/27/les-accelerations-du-web-arabe/ http://owni.fr/2011/03/27/les-accelerations-du-web-arabe/#comments Sun, 27 Mar 2011 14:00:41 +0000 Yves Gonzalez-Quijano http://owni.fr/?p=53432 Personne n’ose plus s’aventurer aujourd’hui à prédire les conséquences des bouleversements politiques que connaît le monde arabe depuis le déclenchement de la révolution tunisienne. Il y a toutefois une certitude : le regard posé sur cette région a radicalement changé. Comme l’a très rapidement souligné l’économiste et essayiste libanais Georges Corm, on assiste même à cette chose impensable il y a peu encore : le Sud est devenu une sorte de modèle pour le Nord, cité aussi bien dans les mouvements sociaux de l’Etat du Wisconsin que dans ceux de la capitale portugaise !

En ce qui concerne les technologies de l’information et de la communication (TIC) également, et précisément pour ce qui est de leur importance politique, la révolution dans les esprits est tout aussi notable. Après des années de total aveuglement sur les changements en cours, voilà qu’on voudrait faire tout à coup des soulèvements populaires tunisiens et égyptiens les premières “révolutions Twitter” de l’histoire du monde ! Naguère désert numérique voué à l’immobilisme politique, le monde arabe se voit miraculeusement transformé, par la grâce de certains commentateurs, en laboratoire des révolutions du troisième millénaire ! La diffusion des techniques numériques et l’adoption des réseaux sociaux ne sont le fait que d’une partie de la jeunesse arabe, bien entendu très loin d’être majoritaire. Il ne faut pas hésiter à le souligner alors que l’analphabétisme touche plus de la moitié de la population dans des pays comme le Yémen ou la Somalie mais aussi, à des degrés à peine moins élevés, comme l’Egypte ou le Maroc…

Cependant, on ne peut que se réjouir de voir enfin modifié le prisme à travers lequel le monde arabe a été longtemps observé. En France en particulier, l’histoire, les préjugés, les intérêts mal compris, ont trop longtemps imposé des œillères rendant pratiquement impossible une vision tant soit peu objective des réalités. Pour autant, il ne faudrait pas que de nouvelles illusions brouillent à nouveau notre lecture des faits. Tous les observateurs ou presque ont été surpris par ces soulèvements populaires, et plus encore peut-être par la manière dont les acteurs de ces mouvements se sont emparés des réseaux sociaux pour former des militants, pour mobiliser des manifestants, pour diffuser l’information sur leurs actions… Sans négliger toutes les autres déterminations œuvrant sans aucun doute au succès de ces revendications politiques, comment expliquer que le “web 2.0 arabe” ait pu y être présent d’une manière aussi marquante ?

Un retard “bienvenu”

Il n’y a pas d’acte de naissance pour le Web 2.0, personne ne saurait dire à quel moment précis les “anciennes” pratiques du Web ont évolué majoritairement vers d’autres modes de fonctionnement. Il apparaît néanmoins, rétrospectivement, que les prophéties qui annonçaient, quelques années seulement après la révolution du Web, sa mort prochaine, au profit d’autres usages d’internet, n’étaient pas sans fondement. De fait, c’est bien juste après l’entrée dans le troisième millénaire que l’histoire des TIC, déjà incroyablement rapide et ramassée, a connu une nouvelle inflexion radicale à la suite de la diffusion de nouvelles applications au nombre desquelles figurent celles que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de “réseaux sociaux”.

Analysant ce phénomène – surtout par rapport à l’espace politique français ou plus largement européen – Dominique Cardon met l’accent sur un phénomène qui lui paraît essentiel, celui de la “massification des pratiques” qui accompagne cette nouvelle ère de l’internet. L’analyse vaut également pour le monde arabe, si ce n’est que les conséquences de ce qu’on n’appelait pas encore le “web 2.0″ y ont été paradoxalement décuplées par son “retard”. En effet, il y avait bien quelques raisons à la relative invisibilité de l’acculturation numérique du monde arabe pour tant d’observateurs. Au moment où internet entrait dans une nouvelle phase de son histoire, on pouvait penser, surtout lorsqu’on s’appuyait sur des instruments d’analyse strictement quantitatifs, que les pays arabes n’avaient toujours pas entamé une révolution technique où, à l’échelle mondiale, seuls les pays d’Afrique semblaient être encore moins avancés.

Il y avait bien entendu des causes politiques à cette situation, et l’on a d’ailleurs bien (trop) souvent souligné le rôle négatif joué par des régimes autoritaires de la région, sans prendre en compte le fait que nombre d’entre eux – la Tunisie et l’Egypte singulièrement ! – avaient aussi lancé d’importantes initiatives pour l’incitation au développement des nouvelles économies du savoir. Mais il y avait aussi des obstacles financiers et sans doute plus encore techniques. Or, précisément au début du XXIe siècle, quand se mettent en place les données technique du web 2.0, ils ont fini par être levés, assez rapidement en définitive, grâce à différentes avancées dans le domaine de l’adaptation et de la portabilité des applications, sans parler de la diminution de leurs coûts.

Restaient les pesanteurs éducatives – ou même “culturelles” pour ceux qui croient à une identité musulmane ontologiquement rétive à la technique et au progrès…. Celles qui auraient pu freiner la pénétration d’internet, en raison par exemple des réticences à “bousculer” les codes d’une langue en partie figée, dans sa pratique écrite, par son statut symbolique notamment dans le domaine religieux, n’ont en réalité guère pesé, d’autant plus, encore une fois, que la dissémination des usages s’est faite à un moment où le réseau s’orientait vers une conception toujours plus “user-friendly“.

Entrant dans la culture du numérique avec un réel décalage temporel, les sociétés arabes sont pour ainsi dire passés directement à l’âge du web 2.0. Elles ont brûlé les étapes d’une chronologie pourtant déjà très resserrée en ignorant ou presque les prémices du web “première manière” pour entamer leur développement numérique principalement avec les blogs et les applications des réseaux sociaux. En définitive, le retard des pays arabes aura été en quelque sorte “bienvenu” puisque la démocratisation de l’accès à internet aura coïncidé, plus qu’ailleurs, avec la dynamique sociale associée à la diffusion d’applications si l’on veut plus “démocratiques”.

L’interconnexion de la jeunesse par le web social

Quand il entre dans une phase de fort développement dans le monde arabe, l’internet que découvre la plus grande partie des utilisateurs est déjà celui des réseaux sociaux. Blogger.com — une des plus importantes plates-formes de création de blogs — dans un premier temps, puis Facebook sont ainsi parmi les premières grandes applications globales qui bénéficient d’une traduction en arabe (simultanément avec d’autres langues telles que l’hébreu ou le persan). Parallèlement, les tranches d’âge qui adoptent la nouvelle technologie sont naturellement, comme partout ailleurs, les plus jeunes. A cette différence près que, dans cette région du monde en passe d’achever sa transition démographique, elles réunissent dans la phase actuelle la part la plus importante de la population dont l’âge médian était estimé à 22 ans vers l’an 2000, ce qui a pour conséquence d’entraîner une sur-représentation des couches les plus jeunes par rapport aux pyramides d’âge des sociétés européennes par exemple.

Outre l’effet de mode qui explique la vitesse avec laquelle elles se répandent, les nouvelles applications « sociales » du Web 2.0 trouvent d’autant plus facilement un écho auprès des jeunes générations qu’elles sont souvent les moins contrôlées et/ou les plus disponibles. En effet, les différents systèmes de contrôle et de surveillance mis en place par la quasi-totalité des autorités locales, de plus en plus conscientes des risques que représente, de leur point de vue, la croissance des usages d’internet, se sont en grande partie développés par rapport aux expériences passées. Leur efficacité est ainsi systématiquement partiellement en défaut dans la mesure où elle a toujours un temps de retard par rapport aux nouveaux usages. La chronologie de l’opposition politique sur internet en Egypte montre bien comment les services de répression font la chasse aux sites d’information en ligne et aux listes de diffusion alors que les blogs politiques se sont déjà multipliés ; et comment ils s’en prennent aux blogueurs alors que Facebook est déjà devenue une plate-forme de mobilisation, en partie remplacée d’ailleurs par Twitter.

La Tunisie offre même un exemple inattendu des effets pervers que peut provoquer l’éternelle guerre des “chats” policiers contre les “souris” internautes. Dans la mesure où le régime de Ben Ali a voulu imposer un contrôle très strict sur le Web, en bannissant tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à un site d’information, Facebook est longtemps resté le seul espace de navigation un peu ouvert, au point de rassembler près de 20 % de la population totale du pays avec 71 % d’utilisateurs compris dans la tranche d’âge des 18-34 ans. Quand les autorités ont fini par comprendre le danger que représentait, de leur point de vue, un réseau social capable de se transformer en réseau de mobilisation (alors qu’elles se glorifiaient quelques mois plus tôt, de taux d’inscription sur Facebook supérieurs à bien des pays occidentaux), il était trop tard, et c’est en vain qu’elles tentèrent alors d’en imposer l’interdiction. Sans qu’elle le sache forcément elle-même d’ailleurs, la jeunesse tunisienne, interconnectée à travers une multitude de “groupes d’amis” de Facebook, s’était inventé ses propres formes de socialisation.

La sphère publique des natifs du numérique

Deux éléments au moins caractérisent le Web 2.0 : le développement d’applications et de pratiques toujours plus centrées sur un internaute, par ailleurs lui-même de mieux en mieux équipé pour entrer en interaction avec ses pareils. En adoptant, de manière très significative dans certains cas (notamment parmi les jeunes classes urbaines scolarisées), les applications des réseaux sociaux, une partie relativement importante de la jeunesse arabe s’est trouvée en mesure de développer une identité sans nul doute assez largement en rupture, y compris dans ses implications politiques, avec celle des générations précédentes.

En l’absence d’études de terrain dont les enseignements seraient de toute manière difficile à interpréter faute d’éléments de comparaison et de recul historique, on ne peut qu’avancer, de manière très largement intuitive, un certain nombre de remarques. D’une manière générale, le développement des réseaux sociaux sur le Web 2.0 semble favoriser, plus encore que les autres « nouveaux médias », la constitution d’une sorte de sphère publique de substitution au sein de laquelle il devient possible de soulever nombre de questions d’intérêt général (autour de thématiques telles que la corruption ou les droits citoyens très présentes, on le constate aujourd’hui, dans les mots d’ordre de mobilisation).

Modifiant considérablement les frontières entre sphères privée et publique, le très rapide développement des réseaux sociaux dans certains milieux de la jeunesse arabe s’inscrit lui-même dans un processus d’individualisation repérable notamment dans la production culturelle contemporaine. Dans ce contexte, les nouvelles générations des natifs du numérique semblent de moins en moins concernés par les règles traditionnelles de dévolution de l’autorité, non seulement au sein de la famille et du système social (relations aux parents et aux modes de socialisation traditionnels au sein du quartier, de la tribu, etc.), mais également par rapport aux systèmes symboliques d’autorité. C’est vrai en particulier dans tous les domaines, profanes aussi bien que religieux où l’on constate par exemple que ces générations suivent à l’évidence des modèles qui ne sont plus ceux de leurs aînés, avec pour la jeunesse égyptienne des références où le cheikh Qardaoui, réputé conservateur, peut voisiner avec Amr Khaled, la vedette télévisuelle du soft islam ((P. Haenni, L’islam de marché, Le Seuil, 2005.)).

S’il est assez imprudent de leur imputer tous les actuels bouleversements du monde arabe, ce serait tout autant faire preuve d’aveuglement que de nier le rôle des nouveaux modes de socialisation favorisés par les réseaux sociaux du Web 2.0. Sur la scène politique traditionnelle, les liens entre les nouvelles formes d’activisme, y compris au sein d’un parti comme celui des Frères musulmans, ont été soulignés, il y a déjà plusieurs années de cela. Autour de la question de l’utilisation des nouvelles technologies et des implications de cette utilisation tant au sein de l’organisation que vis-à-vis des autres forces politiques, on a ainsi vu se distinguer deux générations de militants, l’une, plus âgée et sans doute plus autoritaire, et l’autre plus technophile et plus ouverte à une collaboration avec les autres forces en présence. Même s’il est trop tôt pour en faire l’analyse détaillée et sans présager de la formule politique à laquelle ils aboutiront, on voit bien que les mouvements qui ont amené en Egypte la chute du régime Moubarak s’inscrivent dans une logique que l’on retrouve également en Tunisie et dans les autres pays gagnés par les manifestations.

Partout, on peut faire le même constat : les forces politiques traditionnellement constituées (partis mais aussi syndicats ou associations…) ont pesé d’un poids très relatif. Assez éloignées, lors de la phase insurrectionnelle en tout cas, de tout agenda politique inscrit dans une ligne idéologique précise, les revendications ont au contraire exprimé un ensemble de demandes d’ordre très général. Largement provoquée par un ensemble de facteurs en somme assez classiques, la crise arabe, née de l’absence de solutions sociales et économiques, a certainement été rendue plus aiguë encore par l’immobilisme politique. La manière dont cette crise a fini par éclater, et plus encore les voies par lesquelles les protestations ont fini par imposer leur volonté de changement, montrent cependant que le monde arabe, peut-être plus rapidement que d’autres sociétés du fait du poids de sa jeunesse, a changé d’époque. Il est désormais habité par une nouvelle culture politique que l’essor des réseaux sociaux numériques non seulement accompagne mais aussi, fort probablement, renforce.

Billet initialement publié sur le blog Culture et politique arabes

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Crédits photo: Flickr CC Witness.org, John Kannenberg, The G, rosefirerising

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Un avocat parisien menacé par le clan Ben Ali http://owni.fr/2011/03/24/un-avocat-parisien-menace-par-le-clan-ben-ali-trabelsi-montbrial/ http://owni.fr/2011/03/24/un-avocat-parisien-menace-par-le-clan-ben-ali-trabelsi-montbrial/#comments Thu, 24 Mar 2011 17:50:53 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=53144 Selon des sources proches du procureur de la République de Paris, une information judiciaire est en cours au sujet de menaces de mort visant l’avocat parisien Thibault de Montbrial, en raison des dossiers tunisiens qu’il a défendus. Des rapports et des procès-verbaux de la Direction de la police judiciaire, consultés par OWNI, montrent que la Brigade criminelle enquête depuis plusieurs mois et soupçonne des proches du clan Ben Ali.

Les menaces remontent au 15 octobre 2010, quelques mois avant la chute de Ben Ali à Tunis. Prises manifestement très au sérieux par le parquet, elles ont entraîné l’ouverture d’une information judiciaire, le 21 octobre, confiée à la juge Michèle Ganascia. Une chronologie confirmée par l’avocat Pierre-Olivier Sur, chargé de représenter son collègue dans ce dossier :

C’est rarissime et c’est du sérieux. Thibault de Montbrial a fait l’objet d’une longue surveillance avant de recevoir ces menaces. Plusieurs témoins les ont détaillées. D’ailleurs, à la demande de la juge, un suspect est incarcéré depuis plusieurs mois.

Selon les procès-verbaux établis par la Brigade criminelle, ce suspect s’appelle Karim Mahjoubi. À en croire les différents témoignages recueillis, l’homme s’est posté face à l’avocat et a mimé un égorgement avec le tranchant de la main, après l’avoir attendu ostensiblement au pied de son immeuble durant plusieurs jours.

Interpellé et placé en détention provisoire, il a réfuté l’ensemble des griefs. L’enquête a cependant révélé plusieurs contradictions dans ses dépositions et a montré qu’il utilisait diverses identités, au moins six autres. Les policiers ont aussi établi qu’il profitait d’une véritable logistique lors de sa surveillance du cabinet de l’avocat parisien.

Motif des menaces ? La défense d’un homme d’affaires en disgrâce

Thibault de Montbrial (par ailleurs avocat d’un des salariés de Renault accusé à tort d’espionnage) a estimé que ces menaces pourraient être la conséquence de sa défense de l’homme d’affaire tunisien Ghazi Mellouli. Autrefois proche de la famille Trabelsi – du nom de l’épouse du dictateur – ce négociant a connu des aventures plutôt violentes après être tombé en disgrâce à la fin des années 90. Face aux enquêteurs, Me de Montbrial a livré les explications suivantes :

Mellouli reçoit des menaces de violences physiques (enlèvement et sévices) depuis septembre 2010 sur son téléphone portable, de numéros tunisiens (…) Pour bien comprendre la pression qui s’exerce autour de la personne de M. Mellouli, je vous précise que jusqu’à la fin des années 1990, il était en affaire avec l’un des membres les plus puissants de la famille Trabelsi (Moncef Trabelsi), et donc très proche du pouvoir. Ce proche associé a ensuite été retrouvé mort dans des conditions mystérieuses et de ce que j’ai compris de son histoire, Ghazi Mellouli s’est alors fait persécuter par le pouvoir tunisien, qui l’a ruiné et fait emprisonner pendant trois ans.

Pour l’avocat parisien, son client connaît intimement les dessous de la dictature tunisienne, susceptibles d’éclabousser plusieurs personnalités. Les menaces de M. Mahjoubi viseraient donc à le faire renoncer à défendre ce client.

À Paris, une structure clandestine pour les affaires du clan Ben Ali

Leïla Trabelsi Ben Ali

Lors d’un entretien, Ghazi Mellouli nous a expliqué comment l’appareil d’état tunisien avait entretenu à Paris, jusqu’en 2010, une structure chargée d’assister les affaires du clan Ben Ali en recourant à des organisations relevant du grand banditisme. À l’occasion, elles étaient aussi sollicitées pour des opérations d’intimidation.

À Tunis, plusieurs personnalités nous ont assuré que l’existence de telles pratiques était prise très au sérieux – notamment par des avocats membres du Comité de lutte contre la corruption, qui enquête sur les années de dictature. Sur place, nous avons également rencontré un entrepreneur du bâtiment à l’origine d’une des premières procédures pénales pour racket et corruption visant nommément cette même famille Trabelsi, sur la base d’une plainte déposée devant la Cour de Tunis.

Dans cette procédure, Fathi Dammak accuse Belhassen Trabelsi d’avoir tenté de le racketter puis d’avoir organisé l’enlèvement de son fils de 14 ans pour le contraindre à verser des pot-de-vin sur un marché immobilier. Les documents dont nous avons obtenu copie donnent crédit à sa version des faits. Réfugié au Canada depuis la chute de Ben Ali, Belhassen Trabelsi n’a pas indiqué s’il comptait se défendre devant les tribunaux tunisiens.

Crédit Photo FlickR CC : Abode of Chaos // Wikimedia Commons

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Double violation du droit pour les musulmans de l’Algérie coloniale http://owni.fr/2011/03/21/double-violation-du-droit-pour-les-musulmans-de-lalgerie-coloniale/ http://owni.fr/2011/03/21/double-violation-du-droit-pour-les-musulmans-de-lalgerie-coloniale/#comments Mon, 21 Mar 2011 08:00:35 +0000 Gilles Devers http://owni.fr/?p=51454 De grands pays musulmans accèdent à la liberté et vont construire leur avenir. Déjà, on s’apprête à leur demander des comptes : quoi, ce n’est pas encore la démocratie absolue et parfaite ?!

Vingt ans après l’écroulement soviétique, Poutine gave ses réseaux et viole les droits fondamentaux au jour le jour ; les révolutions US des anciennes républiques soviétiques, dix ans plus tard, pataugent encore dans les approximations ; ailleurs, la France-Afrique post-coloniale donne encore le rythme. Les révolutions de la Tunisie, de Égypte, de la Libye, du Yémen, de Bahreïn ont le grand avantage d’être spontanées : aucun grand frère pour vouloir ensuite récupérer les dividendes.
Bon, mais ça sera très compliqué, car ce ne sont pas seulement les dernières années sanglantes des dictatures qu’il faut gérer, mais des décennies d’oubli du droit.

Voici à ce propos quelques repères sur ce qu’a été la liberté de religion en Algérie, du temps de la colonisation : 130 ans. Deux dates principales ont marqué cette période de l’histoire : 1830, avec l’administration française de l’Algérie et 1905 avec la non-application de la loi sur la séparation de l’État et des cultes

1830 : le double langage du droit

L’histoire contemporaine de l’islam et de la France commence en 1830, par l’annexion de l’Algérie. Avec la convention du 5 juillet 1830, conclue entre le Bey d’Alger et le général en chef des armées françaises, le pouvoir français s’impose, préfigurant le rattachement de l’Algérie à la France. Dès 1848, l’Algérie devient « territoire français », divisé en trois départements, sans être pour autant placée dans une égalité de droit avec la métropole. La France, qui avait fondé un empire colonial, s’affirme volontiers comme puissance musulmane, dans une société internationale encore marquée par l’empreinte de l’empire ottoman.

Les relations de la France et de l’islam sont évidemment plus anciennes. Il s’agit d’abord des croisades et des échanges entre Haroun al Rachid et Charlemagne, ou entre François 1er et Soliman le Magnifique. C’est aussi la présence durable des Musulmans au Moyen Âge, en Provence et en Languedoc notamment. La présence française en Afrique musulmane a été permanente depuis le 19e siècle : Saint Louis, alors capitale du Sénégal, disposait d’un représentant au sein de l’Assemblée nationale. Mais ce qui allait compter le plus dans ce domaine, a été le « fait algérien », c’est-à-dire l’irruption dans la vie politique, économique, culturelle et sociale d’un pays européen, de tout un peuple musulman avec son histoire, ses coutumes, ses règles de vie et sa religion.

Un peuple très majoritairement musulman, resté encore à un stade de développement de type traditionnel, devenait partie intégrante d’un pays de culture chrétienne. L’imbrication humaine, culturelle, politique ne cessera de se développer.

Dans cette région islamisée très tôt, le fait musulman est présent dès l’origine : la Convention du 5 juillet 1830 prévoyait que la France devait « ne porter aucune atteinte à la liberté des habitants de toutes les classes, à leur religion, leur propriété, leur commerce et leur industrie ». Or, dans le même temps, le droit métropolitain est venu organiser la société algérienne, en rupture avec le droit musulman. S’il est exact que le droit musulman souffrait d’archaïsme, l’esprit de la Révolution des Lumières n’a pas eu droit de cité sur l’autre rive de la Méditerranée : l’accès à la citoyenneté française a été refusé aux personnes de confession musulmane.

C’est la doctrine coloniale : l’Algérie est française, mais le musulman relève d’un statut personnel spécifique. Le colonialisme crée les bases du communautarisme. Le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 énonce : « si l’indigène musulman est français, néanmoins il continuera à être régi par la loi musulmane ». L’application du Concordat a été écartée sous prétexte qu’il n’existait pas d’organisations représentantes de l’islam. Aussi, l’État français a-t-il été dès le début omniprésent, y compris pour régler la pratique du culte, avec une préoccupation particulière pour le maintien de l’ordre public.

Il n’existait pas en terre algérienne de droit à la liberté de religion, et la pratique du culte, pour les musulmans, s’avérait souvent aléatoire. En 1848, a été créé un service de l’administration civile indigène, ayant pour mission le contrôle du culte musulman. L’État colonial qui régissait tout, n’allouait que des moyens très limités, et n’hésitait pas à réquisitionner les lieux de prières pour les affecter à des besoins jugés plus légitimes.

1905 : La non-application de la loi

Le schéma n’a pas été modifié par la loi de 1905, bien que l’article 43.2 invitait le gouvernement à déterminer les conditions d’application de ce texte à l’Algérie et aux colonies. C’est le décret du 27 septembre 1907 qui régla la question, pour reconnaître la loi inapplicable et organiser le statu quo, soit une religion sous contrôle de l’administration, avec de maigres financements.

La circulaire, signée par le préfet Michel le 16 février 1933, qui a institué un contrôle de l’administration sur le recrutement du personnel cultuel, a prévu des indemnités pour ce personnel qui devait prêcher dans les lieux de prière reconnus par l’État.
Ce n’est que beaucoup plus tard que le nouveau statut organique de l’Algérie, édicté par la loi du 20 septembre 1947, a rendu le culte musulman indépendant de l’État. Les projets réformateurs sont restés lettre morte jusqu’à ce que l’Assemblée algérienne crée en 1951 une commission du culte musulman, parvenant à établir le projet d’une Union générale des comités cultuels, financée par l’État. Mais le Conseil d’État a estimé en 1953 que la création par l’État de ce type de structure était contraire au principe de séparation des Églises et de l’Etat, et c’est le schéma ancien qui est resté en cours jusqu’à l’indépendance de l’Algérie en 1962.

Dans le même temps, le maintien du statut personnel spécifique pour les musulmans faisait de la croyance religieuse une condition de la reconnaissance juridique, créant ainsi un communautarisme légal. L’accès à la citoyenneté répondait à une logique discriminatoire sur le plan religieux : les musulmans devaient renoncer au statut personnel, lié à leur foi, pour adopter celui du code civil. Ce n’est qu’à partir de 1947, que fut acceptée la citoyenneté dans le statut, c’est-à-dire le fait d’être français et musulman, mais en portant le titre de « français musulman ».

Un constat d’évidence s’impose donc : durant la période coloniale (1830-1962), les musulmans vivant sous l’autorité de l’État français ont connu un statut juridique caractérisé par une double violation du droit : le non-respect des engagements contenus dans la convention de 1830 et la non application de la loi de 1905.

> Article de Gilles Devers, initialement sur le blog Actualités du Droit sous le titre La religion dans l’Algérie coloniale

> Illustration Flickr CC Ophelia Noor et Tab59

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Berlusconi-Kadhafi: Divorce à l’italienne http://owni.fr/2011/03/05/berlusconi-kadhafi-divorce-a-litalienne-libye-italie/ http://owni.fr/2011/03/05/berlusconi-kadhafi-divorce-a-litalienne-libye-italie/#comments Sat, 05 Mar 2011 15:28:23 +0000 Pascal Bories http://owni.fr/?p=49822 Ils étaient si proches. Depuis des décennies, le Président du Conseil italien et le Guide de la Révolution libyen entretenaient des rapports extrêmement privilégiés. Mais aujourd’hui, le divorce entre Silvio Berlusconi, 74 ans, et Mouammar Kadhafi, 69 ans, semble consommé. Enfin ?

Le 22 février, le “Guide de la Révolution” insinuait dans son discours télévisé que les contestataires libyens étaient armés par l’Italie. Bien que l’Italie soit en effet le premier fournisseur d’armes de la Libye, l’information était immédiatement démentie par le ministre Italien des affaires étrangères Franco Frattini. Huit jours plus tard, ce dernier dénonçait le “traité d’amitié, de partenariat et de coopération” signé en 2008 par Berlusconi et Kadhafi, contenant notamment une clause de non-agression. Le même jour, l’entreprise italienne ENI annonçait la fermeture du pipeline gazier de 520km reliant la Libye à la Sicile, et accusait dans la foulée une chute de sa valeur boursière.

Dès lors, Kadhafi était exposé à la menace d’une intervention militaire menée depuis le sol de son ex-allié, où les Etats-Unis disposent de plusieurs bases. Dans son nouveau discours fleuve du mercredi 2 mars, il fanfaronnait de plus belle :

Nous sommes le pays de la dignité et de l’intégrité, ce pays a triomphé de l’Italie.

Ou encore :

Le peuple libyen a bien compris que Kadhafi a obligé l’Italie à s’excuser.

Ainsi, il rappelait que le traité de 2008 reposait avant tout sur les excuses formulées par Berlusconi pour la colonisation de la Libye, de 1911 à 1942, (mise en scène dans le film américano-libyen Le lion du désert, interdit pendant des années en Italie).

Bunga bunga

Depuis de nombreuses années, les deux leaders entretenaient pourtant des rapports plus que cordiaux, intimes. Le Président du Conseil n’a-t-il pas loué l’été dernier, pour la deuxième année consécutive, les services de dizaines de jeunes hôtesses, payées 80 euros chacune, pour accueillir à Rome le dictateur libyen et l’écouter promouvoir l’Islam ? Et la jeune Karima El Marough, alias “Ruby”, dont les rapports tarifés avec le Cavaliere valent à ce dernier d’être poursuivi pour prostitution de mineure, n’a-t-elle pas déclaré :

Berlusconi m’a expliqué que le bunga bunga était un harem inspiré par son ami Kadhafi, avec des filles qui se déshabillent et lui donnent des “plaisirs physiques” ?

Plus officiellement, l’Italie était jusqu’à présent le premier partenaire commercial de la Libye, avec des échanges commerciaux estimés à 12 milliards d’euros l’an dernier. Le traité de 2008 l’engageait par ailleurs à dédommager son ancienne colonie à hauteur de 5 milliards de dollars en vingt ans. La Libye, pour sa part, détenait 2% d’ENI, détenu à 30% par l’Etat italien, et d’autres participations telles que : 7% de la première banque italienne, Unicredit, 2% de l’entreprise d’aéronautique et d’armement Finmeccanica, ou encore 7% de la Juventus de Turin.

Mieux : lorsque l’an dernier, la Libye a ouvert une compétition pour octroyer deux licences à des banques étrangères leur permettant d’exercer sur son territoire, une seule des six banques en lice a finalement été retenue : Unicredit. Mais ces échanges de bons procédés ne datent pas pour autant d’hier. Dans les années 1970, comme le rappelle le journaliste Alberto Toscano, Kadhafi avait déjà volé au secours de Fiat, qui connaissait alors une terrible crise sociale.

Point Godwin

D’un point de vue politique aussi, le Cavaliere est comparable à son compère du désert, dictateur avéré, longtemps redouté pour son rôle actif dans le terrorisme international. Silvio Berlusconi s’était déjà comparé lui-même au Duce Benito Mussolini, à l’occasion d’une conférence de l’OCDE à Paris en mai dernier. Et le grand écrivain italien Umberto Eco, interrogé sur les similitudes entre Silvio Berlusconi et Hosni Moubarak, ajoutait le 26 février dernier dans le Telegraph :

Intellectuellement parlant, une comparaison pourrait être faite avec Hitler, qui est aussi arrivé au pouvoir par des élections libres.

Les deux leaders contestés ont par ailleurs pour point commun une certaine propension à minimiser leur pouvoir. D’abord Berlusconi, en mai dernier : “En tant que premier ministre, je n’ai jamais eu le sentiment d’être au pouvoir.”

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Et Kadhafi, aujourd’hui : “Ce régime, c’est celui de la souveraineté du peuple. (…) Je ne suis qu’un symbole.” Autre similitude troublante : alors que l’un, non content de posséder la majorité des médias de son pays, se permettait récemment d’appeler en direct un animateur pour le prendre à partie, l’autre monopolise sans vergogne l’antenne de sa télévision nationale, pour y tenir des discours de plus de trois heures.

Choix stratégique

La différence évidente entre Berlusconi et le Colonel sanguinaire, Umberto Eco n’omet tout de même pas de la relever : “Berlusconi n’est pas un dictateur comme Moubarak ou Kadhafi, car il a remporté les élections avec le support d’une large majorité d’Italiens”, ajoutant que “c’est triste, mais c’est ainsi”. Dès lors, au lieu de s’enfoncer dans un impossible soutien à son ancien “ami”, Silvio Berlusconi a-t-il choisi d’alerter l’Union Européenne sur les enjeux humains de la crise libyenne. Son meilleur coup? Avoir été le premier, le 1er mars, à décider d’envoyer une mission humanitaire en Tunisie, pour aider les milliers de réfugiés venus de Libye.

Entre le dictateur “ami” et son peuple, le Président du Conseil a sans doute fait un choix plus stratégique que purement philanthrope. Lui-même risquant aujourd’hui quinze ans de prison, et ayant dû faire face à la colère de centaines de milliers d’Italiennes indignées par ses frasques sexuelles, il fait désormais savoir qu’il entend “aller en Afrique construire des hôpitaux” dès la fin de son mandat… Voici donc un “Divorce à l’italienne” beaucoup moins réjouissant que le film du même nom réalisé en 1961 par Pietro Germi, avec Marcello Mastroianni.

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Crédits photo: Flickr CC aenastudios, europeanspeopleparty

Retrouvez notre dossier ainsi que l’ensemble de nos articles sur la Libye.

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Ben Ali: les compromissions d’Orange en Tunisie http://owni.fr/2011/03/03/ben-ali-les-compromission-dorange-en-tunisie/ http://owni.fr/2011/03/03/ben-ali-les-compromission-dorange-en-tunisie/#comments Thu, 03 Mar 2011 17:30:07 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=49669 Le 3 mars, OWNI publiait des documents exclusifs sur les compromissions du Groupe Orange avec le régime de Zine el-Abidine Ben Ali. Retrouvez comment Orange a pu racheter la troisième licence de téléphonie fixe et mobile en Tunisie.

Selon des documents inédits obtenus par OWNI.fr, le groupe Orange s’est compromis dans un schéma de corruption du régime de Zine el-Abidine Ben Ali lors de l’attribution de la troisième licence de téléphonie fixe et mobile en Tunisie.

Officiellement, Stéphane Richard a toujours présenté l’implantation de l’entreprise en Tunisie dans les mêmes termes, ceux évoqués dans Challenges le 27 janvier 2011, en pleine révolution:

En Tunisie, Orange a investi 260 millions d’euros: la moitié pour le réseau et l’autre pour acheter la licence. Ces 130 millions ont bien été versés à l’Etat et pas à l’entourage de l’ex-président.

Des propos démentis par nos documents. Contrairement a ce que martèle son P-DG, l’entreprise française (dont l’Etat est actionnaire à hauteur de 26,7%) n’a pas versé 130 millions d’euros dans les caisses de l’Etat tunisien pour obtenir le précieux sésame. Comme le montrent les comptes rendus de conseils d’administration en notre possession, Orange a investi 95 millions d’euros en juillet 2009 dans Divona pour acquérir 49% de son capital. Divona est une petite société privée, dont la valeur repose sur l’identité de ses propriétaires, Marouane Mabrouk – aujourd’hui directeur d’Orange Tunisie – et sa femme, Cyrine Ben Ali, fille du dictateur déchu. A eux deux, ils constituent des intermédiaires indispensables pour pénétrer le secteur et décrocher la fameuse licence. Le décret 2009-2270 paru au Journal Officiel tunisien le 31 juillet 2009 le prouve, c’est le président Ben Ali en personne qui appose son paraphe pour attribuer le marché à l’entreprise co-gérée par sa fille et son gendre.

Divona, le véhicule

D’emblée, le montant de la licence s’avère étonnamment bas, alors même que l’investissement global devait porter sur plus de 500 millions d’euros, ce qu’Orange reconnait lui-même. A titre de comparaison, l’opérateur Tunisiana avait dû débourser 280 millions d’euros quelques mois plus tôt pour une licence 2G. Mais un autre détail interpelle. La chronologie des événements est éloquente. Le 26 juin, le consortium Orange/Divona rafle officiellement la mise. Pourtant, lorsque le décret est signé le 13 juillet à Tunis, il est attribué au seul Divona Télécom. Et pour cause. Les documents l’attestent, ce n’est que le 24 juillet que l’entreprise du clan Mabrouk multiplie par 26 ses actifs lors d’une assemblée générale extraordinaire, une semaine jour pour jour avant la parution du décret au Journal Officiel. D’une petite structure qui pèse 2,6 millions d’euros, elle devient un véhicule rutilant évalué à 128 millions (243.875.471 dinars). Le prix de la décision. Pour grandir, Divona utilise un modus operandi habile: elle émet des actions dont la prime unitaire s’élève à 1.823 dinars, soit près de 1.000 euros au bénéfice de ses actionnaires: Orange Participations et Investec.

Une fois le montage financier savamment élaboré, Orange décide d’injecter ses 95 millions d’euros, mentionnés dans son rapport d’activité 2009. Pour cette prise de participation qui offre 49% d’Orange Tunisie (alors encore Divona) à l’opérateur français, ce dernier se résout à payer une “survaleur” de 25 millions d’euros. En langage financier, c’est un “goodwill”, car l’acheteur sait qu’il paye plus que le prix estimé, soit parce qu’il profite des droits de propriété intellectuelle de la structure dont il fait l’acquisition, soit parce qu’il pense tirer un bénéfice d’exploitation qui justifie ce sacrifice.

Et Marouane Mabrouk dans tout ça? Si on retranche les 95 millions d’Orange des 137 de capitaux propres de la structure “Orange Tunisie” (dénommée officiellement en octobre 2009), il a légitimement du débourser environ 40 millions d’euros. Mais l’investissement est bénéfique: le voilà catapulté actionnaire majoritaire d’une société dont il détient environ la moitié des parts, près de 70 millions d’euros. Une source proche du dossier résume ainsi la transaction:

Orange a fait deux cadeaux à Mabrouk: environ 15% de capital, et le contrôle de la structure.

Le clan Mabrouk prépare la victoire

Tout remonte à l’automne 2008. A l’époque, Marouane Mabrouk est l’un des hommes d’affaires les plus en vue du pays, membre d’une famille très proche du pouvoir. Marié à Cyrine Ben Ali, la fille du président (elle est issue de son premier mariage), il possède des concessions automobiles et plusieurs enseignes de la grande distribution. Avec ses frères, il s’est solidement implanté dans le secteur bancaire et il voit dans les télécoms une belle opportunité. Au mois de novembre, anticipant un important appel d’offres, le couple décide de racheter à Monaco Télécom sa participation dans Divona, pour en faire le premier opérateur 100% tunisien. Cyrine devient présidente du conseil d’administration. La première pierre est posée.

Le 3 décembre 2008, dans un timing quasi-parfait, le gouvernement tunisien lance un appel d’offres international pour l’attribution d’une troisième licence 2G/3G. Déjà, certains s’inquiètent. “Dix jours plus tard, nous savions qui emporterait la mise”, explique un connaisseur du dossier. Qui? “Divona, et Orange”. Alors que les compétiteurs renoncent les uns après les autres – “le cahier des charges favorisait clairement certains opérateurs”, explique la même source – seuls deux consortiums restent en lice: Orange/Divona, et Turkcell.

Le leader du marché turc est épaulé par Princess, la holding de Mohamed Sakhr El Materi, un autre poids lourd de l’économie locale. Récemment éjecté de la partie à la faveur de la révolution, il est marié à Nesrine Ben Ali, fille de Leïla Trabelsi, la “régente de Carthage”, deuxième femme de Ben Ali. Aux yeux d’une source proche du dossier qui préfère garder l’anonymat, le modus operandi d’Orange et de son partenaire tunisien est simple: “ils s’alignent sur un prix qui se situe autour de 130 millions d’euros”.

Dans les semaines qui suivent, le clan Mabrouk prépare la victoire. Le 2 février, un décret – signé par Ben Ali en personne – fixe les conditions d’attribution de la licence. Le 5 mars, Investec, une entreprise entre les mains de Marouane Mabrouk et de sa femme, actionnaire à 100% de Divona, modifie ses statuts. Son gérant, Fethi Bhouri, démissionne, la SARL devient société anonyme, et le couple prend seul les commandes. Dans le procès-verbal du conseil d’administration du 3 avril, Investec explique les prévisions pour l’année:

Un business plan a été établi conjointement avec le cabinet Rothschild


Cliquer sur la visualisation pour l’agrandir

Cet accord, ventilé entre plusieurs sociétés (voir la visualisation ci-dessus), a été élaboré grâce au savoir-faire d’Hakim El Karoui, banquier d’affaires chez Rothschild et responsable des fusions/acquisitions en Afrique et sur le pourtour méditerranéen. Avant même la valorisation de Divona – et la subtilité réside ici – le schéma final est déjà connu: Marouane Mabrouk possède 51% des parts à travers Investec, la société actionnaire à 100% de Divona, et Orange détient 49%, récupérés par le biais d’un investissement d’Orange Participations, fililale de France Télécom.

En conséquence, un nouveau conseil d’administration est nommé:

- Trois dirigeants d’Orange
- La société Investec (représentée par Marouane Mabrouk)
- Hakim El Karoui

Déjà contesté après ses courriers adressés à Ben Ali à l’aube de sa fuite, le banquier d’affaires se retrouve une fois de plus dans l’oeil du cyclone. Joint par téléphone, il reconnaît être devenu administrateur de Divona, “mais a posteriori”. Pourtant, sa nomination est votée le 20 juillet, entre la signature du décret et sa publication au Journal Officiel. “Je n’ai pas d’actions, et Rothschild est intervenu à seul titre de conseil”, explique-t-il, en ajoutant qu’une fois sa mission accomplie, il était tout à faire libre d’entrer au conseil d’administration. “En conséquence, je fais le lien entre les deux actionnaires. Je n’ai rien à cacher”. Drôle de définition des conflits d’intérêts.

Vers la nationalisation?

Dès lors, tout devient limpide. Orange n’a pas payé “130 millions à l’Etat tunisien pour l’obtention d’une licence”, mais s’apprête à payer une somme considérable – les 95 millions – pour devenir actionnaire à 49% de la société qui a empoché la mise. On comprend alors mieux les inquiétudes de Marouane Mabrouk par rapport au risque de nationalisation qui guette son entreprise. Placé vendredi 15 février par le conseil des ministres sur la liste noire des proches de Ben Ali dont les biens doivent être confisqués, l’homme d’affaires pourrait tout perdre. De tous les côtés, les syndicats réclament la nationalisation de sa part dans l’entreprise. Dans ce deal global de 260 millions d’euros, il devait récupérer environ 26 millions d’euros. 10%, l’équivalent d’une commission dans les secteurs de l’armement et de l’énergie. En accordant cette faveur à Marouane Mabrouk, France Télécom est susceptible de violer la convention de Mérida sur la corruption, en vigueur depuis 2005.

L’actionnaire majoritaire – l’Etat français – reste pour sa part insaisissable. Contacté par OWNI, le Fonds stratégique d’investissement (FSI, 13,5% d’Orange), qui dispose d’un siège au conseil d’administration, renvoie vers l’Agence des participations dans l’Etat, qui nous oriente elle-même vers… France Télécom. Rien non plus à la Caisse des dépôts et consignations pourtant actionnaire à 51% du FSI. Au bout de la chaîne, au cabinet de Christine Lagarde, nos requêtes sont pour l’instant restées vaines.

Sollicité pour répondre à nos questions, Orange n’a pas souhaité s’exprimer. Tout juste peut-on rappeler que Didier Lombard, démissionnaire de la présidence de France Télécom, aurait été poussé vers la sortie lors d’un conseil d’administration le 23 février dernier. La raison? Il pourrait bien s’agir du dossier tunisien.

Document Orange-Tunisie OWNI


Enquête réalisée avec l’aide de Andréa Fradin, Sylvain Lapoix, et David Servenay
Visualisation par Elsa Secco et Marion Boucharlat

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Téléchargez I’image de Une par Marion Boucharlat /-)

Retrouvez les articles de la Une “le business des télécoms au Magrheb” :

Le bon filon des télécoms maghrébins
Lebara, opérateur low cost des quartiers populaires

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Patrick Ollier, le coureur de fonds libyens http://owni.fr/2011/02/23/patrick-ollier-libye-kadhafi-alliot-marie/ http://owni.fr/2011/02/23/patrick-ollier-libye-kadhafi-alliot-marie/#comments Wed, 23 Feb 2011 17:53:48 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=48129

Les Anglo-saxons savent mettre leur diplomatie au service de leurs entreprises. Nos fonctionnaires en sont loin.

Patrick Ollier – l’auteur de cette phrase – pourrait faire figure de transfuge dans la diplomatie rêvée par Nicolas Sarkozy, celle qui refuse les corps repliés sur eux-mêmes. Président de la commission des affaires économiques depuis 2002, le compagnon de Michèle Alliot-Marie est l’infatigable “Monsieur Libye” du gouvernement français. En une décennie, celui que Mouammar Kadhafi appelle “[son] frère” a joué les missi dominici entre Paris et Tripoli, visitant en privé le Guide de la révolution pour appuyer les entreprises françaises.

Mis en cause dans le sombre épisode tunisien impliquant MAM, POM (le petit surnom dont une partie de la presse l’a affublé) se fait discret depuis que la Libye s’est embrasée. Il y a quelques jours, Libération est revenu sur les carnets du général Rondot, le conseiller au renseignement et aux opérations spéciales (CROS) du ministère de la Défense impliqué dans l’affaire Clearstream. Dès 2004, le maître espion évoque la “compromission de POL [son autre diminutif, ndlr] et y adosse quelques démocraties régionales: “Irak, Libye, Syrie”. En creux, certaines sources suggèrent qu’un ancien de la DGSE, reconverti dans la sécurité de Thales, “serait à l’origine d’une campagne anti POL-MAM”.

L’ami encombrant

Aujourd’hui, sa relation quasi-intime avec le régime du “Guide” semble en gêner certains, jusque dans les rangs de l’UMP, y compris les plus proches. Nommé ministre des relations avec le Parlement en novembre 2010, il a dû abandonner son fauteuil de président du groupe d’étude à vocation internationale (GEVI) sur la Libye, un groupe d’amitié à l’intitulé moins enthousiaste, créé à son initiative. Vacant depuis plus de trois mois, le poste n’attirerait pas beaucoup de volontaires, et l’UMP ne se presse pas pour désigner un successeur potentiel. De nombreux membres présidant déjà d’autres groupes du même type (Jean Roatta pour le Maroc, Olivier Dassault pour les Émirats arabes unis), la liste des candidats se réduit, et l’exhumation des déclarations fracassantes de POM pourrait prolonger le statu quo.

Le 12 décembre 2007, deux jours après que le colonel Kadhafi a planté sa tente dans les jardins de l’Hôtel de Marigny, Patrick Ollier, qui était sous le grand chapiteau, vient plaider la cause de son ami sur Europe 1. En quinze minutes d’entretien, alors que même Jean-Pierre Elkabbach commence à montrer les dents, il évoque le dossier des infirmières bulgares, dont la libération est intervenue en juillet de la même année.

Il y a “beaucoup travaillé”, mais nie en bloc toute compensation en nature, et notamment en armes, et plus précisément en missiles Milan. A ses yeux, il n’y a “pas de prime, seulement une normalisation”. En tout, il concède s’être rendu une dizaine de fois sous la tente de Syrte entre 2003 et 2007, mais reste évasif sur son rôle. “Je ne suis pas qualifié pour parler des contrats”, soutient-il, en regrettant que la France ait été “trop timide vis-à-vis de la Libye”. “Les mentalités changent, les dictateurs sautent, la démocratie revient”, énonce-t-il en guise de conclusion, sans réaliser la prémonition.

Pour parcourir la Jamahiriya, Patrick Ollier peut déjà compter sur un avion d’Aziz Miled (l’homme d’affaires voyagiste). En 2002, comme le confirme à OWNI une source proche des milieux économiques locaux, l’homme d’affaires tunisien a mis un appareil  à disposition de Libyan Airlines, pour relier Tripoli, Benghazi et Syrte, équipage francophone compris (MàJ du 24 février: selon Mediapart, Miled se serait récemment essayé au transport de mercenaires vers la Libye). Le 6 mars 2003, Ollier s’entretient personnellement avec Kadhafi sur la coopération euro-méditerranéenne. Les 24 et 25 novembre 2004, lors de la visite officielle de Jacques Chirac en Libye, il joue les éclaireurs pour les entreprises d’armement qui veulent profiter de la levée de l’embargo. “Il est très actif sur ces dossiers”, confesse l’ancien cadre d’un poids lourd du secteur.

Quand Alliot-Marie était à la Défense [entre 2002 et 2007, ndlr], elle s’appuyait énormément sur lui pour préparer le terrain. Il fournissait des recommandations et prenait beaucoup de notes.

Nucléaire civil et contrats d’armement

Dans ces conditions, c’est “l’Africain” qu’apprécie tant Kadhafi qui élabore le voyage de MAM les 4 et 5 février 2005. La raison? Les militaires libyens passent en revue leurs équipements militaires, envisagent de nouveaux achats, et la France ne veut pas louper le coche, alors même que le Secrétaire d’État adjoint américain William Burns a pris un coup d’avance en mars 2004. Sur place, la ministre de la Défense est accompagnée de feu André Laronde, archéologue et fondateur de l’association France-Libye… dont Patrick Ollier est le vice-président.

En janvier 2006, il s’invite encore dans la petite délégation française emmenée par Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères de l’époque. De tous les entretiens, y compris ceux tenus en comité réduit, il consigne le moindre élément. Trois mois plus tard, il annonce lui-même un protocole d’accord franco-libyen dans le domaine du nucléaire civil. (le régime ayant renoncé à son programme de production d’armes de destruction massive, les autorités françaises l’auraient subitement trouvé fréquentable) “Tripoli veut retrouver sa place dans le concert des nations”, fait-il alors savoir, dans un vocable qui n’est pas sans rappeler celui d’Edmond Jouve, éminent spécialiste de la vie politique libyenne et directeur de thèse d’Aïcha, la fille de Mouammar Kadhafi. Soucieux de ne pas se mettre en danger tout seul, Ollier insiste sur un accord “négocié d’État à État”, mais ne nie pas les dividendes que pourraient en tirer Areva à court terme. Il portera le projet jusqu’à sa signature, en 2008.

La Commission interministérielle française d’étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG) étudie un dossier pour la vente d’hélicoptères Tigre en juillet 2006? Patrick Ollier est encore de la partie. “MAM a personnellement porté l’affaire, mais elle avait déjà été longuement briefée par son compagnon”, confie une source proche du dossier.

Le 23 octobre 2010, à quelques jours de son entrée au gouvernement, l’endurant “go-between” était encore à Tripoli pour signer une déclaration d’intention relative à un partenariat stratégique dans les domaines du nucléaire, de la formation et de la santé. POM est aujourd’hui un homme fragilisé. Ce mercredi 23 février, quelques heures après le discours erratique et halluciné de son ami colonel, le coureur de steeple a ralenti la cadence: il s’est discrètement éclipsé du Conseil des ministres.

* Contacté par OWNI.fr, le cabinet de Patrick Ollier n’a pas souhaité donner suite à notre requête. “On ne va pas faire comme au ministère des Affaires étrangères”, m’a-t-on expliqué.

Image de Une par Marion Boucharlat @Owni /-)

Retrouvez les autres articles de notre dossier sur la Libye :

Un fidèle de Kadhafi a-t-il aider Sarkozy à initier la révolte libyenne ? par Sylvain Lapoix

L’ex-patron de la DST en Libye par Guillaume Dasquié

Crédits photo: Flickr CC elitatt, Abode of Chaos

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