OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Espagne Labs: inventer la démocratie du futur http://owni.fr/2011/06/06/espagne-labs-inventer-la-democratie-du-futur/ http://owni.fr/2011/06/06/espagne-labs-inventer-la-democratie-du-futur/#comments Mon, 06 Jun 2011 07:14:06 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=66317 Ne croyez pas que le mouvement espagnol s’étiole, bien au contraire ! Il entend passer à la vitesse supérieure, conscient de ses défauts et de ses qualités, et des décisions nécessaires à prendre pour avancer, sur le plan de l’organisation et de la logistique. La révolution, le changement, sont dans la rue et sur les places des quartiers. Mais c’est aussi sur les réseaux que se joue la partie la plus intéressante du mouvement, lancé par la manifestation du 15 mai dernier.

¡HackSol!

Dès la formation d’acampadasol et dans les jours qui suivent, les hackers de Madrid décident de prêter main forte au mouvement. Ils créent rapidement les outils de base qu’ils mettent à disposition de leurs compagnons comme les deux blogs Wordpress tomalaplaza et tomalosbarrios. Dans le bar du Patio de las Maravillas, rempli de lycéens bruyants, Dani raconte la naissance du collectif :

Le groupe Hacksol a surgi de lui-même de l’acampadasol. Nous nous sommes très vite rendus compte à l’ampleur du mouvement, qu’il y aurait une montagne de choses à gérer au niveau technologique.

Le patio est un centre social et culturel autogéré, dans le quartier de Malasaña, berceau de la movida espagnole. L’immeuble est désaffecté, tout en travaux inachevés. Certains étages sont vides, d’autres accueillent des services sociaux, des réunions de quartier ou d’association, des ateliers artistiques, des cours d’espagnol ou des projections de films. Hacksol réunit également des programmeurs, des graphistes et des étudiants dont une partie sont au chômage. Les hackers apportent au mouvement leur expertise technique, numérique, et gèrent les infrastructures web du mouvement, des serveurs aux listes de courrier.

Dani me présente à ses compañeros, Antonio et Charlie, hackers de leur état, dépassés par les évènements mais jamais à court d’idées et de ressources. Le nombre de participants sur le réseau monté par les hackers a quadruplé, les serveurs ont chauffé, et ils ont vite été débordés. L’extension du mouvement dans la rue en Espagne et à travers le monde, se reporte sur le web. La nécessité de transposer cette intelligence collective sur le réseau est devenue une priorité.

“Mettre l’intelligence collective sur le réseau”

Ils expliquent :

A partir de ces constatations, il a fallu repenser le réseau que nous avions construit dans l’urgence et créer de nouveaux outils.

Le blocage sur la levée du campement de l’assemblée de Sol les a également poussé à se poser la question de la prise de décision et du vote avec les commissions. La création d’une sous-commission de Hacksol, le groupe VOX, composé de programmeurs, de juristes spécialisés dans le droit sur Internet, de sociologues et de politologues ainsi que de toute personne souhaitant participer, sera chargée de penser et de développer les outils de la démocratie du futur et de changer et améliorer les processus de décision actuels. Pas simple mais passionnant, et entre les mains de tous les citoyens.

La particularité de notre génération de hackers à Madrid, est de s’être mêlés à la population depuis toujours. Nous ne sommes pas inaccessibles, au contraire ! Cela fait 15 ans que nous partageons nos connaissances avec les centres sociaux et associations culturelles de quartier, à travers le montage d’infrastructures web et d’ateliers de formation.

Antonio nous écoute parler en tapant sur son mini ordinateur couvert de stickers. Il dit qu’il croit au changement, mais pas à la révolution. “Les révolutions entraînent beaucoup de morts et aujourd’hui nous avons les outils pour agir pacifiquement et obtenir ces changements.” L’Espagne serait-elle le laboratoire numérique de la démocratie demain ? Dani embraye : “Nous nageons en pleine expérimentation, c’est la première fois que des millions de personnes dans un pays et dans le monde se réunissent autour d’une même cause, pour une démocratie réelle et participative, pour changer le système actuel.” Et Tonio d’ajouter, en souriant :

Hemos entrado en el Madrix

Adieu Facebook, Twitter et Google : hola les outils alternatifs

Antonio a beau avoir l’air nonchalant il ne cesse de s’activer sur son ordinateur. Dans les cartons, le développement d’outils web, sous licence libre et open source, bien sûr, pour relier toutes les assemblées entre elles, au niveau local et national, avec les plateformes comme tomalosbarrios, mais aussi au niveau mondial avec une plateforme dédiée, Take the Square. En cours de finalisation, un téléphone 100% voIP permettra de se connecter dans le monde entier, gratuitement et d’envoyer des sms en masse. Un Skype de la culture libre, dont la béta est déjà prête, et développé avec le logiciel Linux Asterisk qui permet d’installer des centrales téléphoniques. Des listes de discussion et des Pirate-pad pour remplacer respectivement les google ou yahoo groups/documents. Et surtout, un réseau social alternatif et citoyen qui permettra de passer au-dessus de Facebook et Twitter.

Les deux premiers seront utilisés pour la communication extérieure seulement, comme une vitrine. Mais le plus important, les discussions des assemblées, les prises de décisions, les groupes, les comptes rendus, passeront par un autre réseau social, non commercial, du nom de N-1 créé par et pour la communauté, par le réseau Lorea qu’OWNI avait rencontré au Hackerspace de Toulouse la semaine précédente. N-1 a été développé avec le moteur de réseaux sociaux Elgg avec dans l’idée d’avoir toujours ses propres plateformes et de contourner les réseaux sociaux commerciaux. Tout en continuant à les utiliser intelligemment… L’idée est bien de parvenir à une certaine autonomie technologique et que ces outils servent de base à d’autres assemblées dans le monde.

Madrid fourmille d’idées et l’Espagne de hackatons en série. Le premier commence cette semaine à Madrid avec des développeurs de Lorea venus prêter main forte à l’équipe madrilène. Un quatrième hacker, Luca, venu d’un hacklab italien et qui a passé quelque temps à Barcelone, compte s’installer à Madrid dès cet été, “au cœur de la révolution démocratique”.

Les hackers sortent de l’ombre

La nuit est tombée sur Madrid, le patio de las maravillas est rempli de monde. Il est temps de se diriger vers Sol, où les quatre hackers ont rendez-vous avec quatre personnes de l’acampadasol, de la commission communication, pour préparer la grande assemblée générale du lendemain soir. Une cinquantaine d’acampadas d’Espagne, et des acampadas internationales [#interacampadas]. Sur la place de la puerta del sol, toutes les tentes sont occupées et le petit groupe se repli sur une cafétéria à moitié vide, d’une rue adjacente. Les quatre filles et les quatre garçons discutent pendant plus de deux heures, et point par point, l’échange se fait entre les besoins concrets des assemblées de quartier et les propositions de Hacksol pour améliorer le système actuel. Pour la première fois demain, les hackers se présenteront officiellement à tout le monde et auront l’opportunité d’expliquer le fonctionnement et le but des outils mis en place sur Internet.

Le lendemain, après l’assemblée de quartier Los Austrias à la Latina, direction la Tabacalera, un autre centre culturel autogéré dans le quartier populaire de Lavapiès, au sud de la place Sol. Le bâtiment est imposant, la hauteur de mur sous plafond doit bien atteindre sept ou huit mètres, des bâches en plastique font office de rideau entre les différentes pièces. Ici une scène musicale, là un atelier de peintre, et dehors, des jongleurs, un potager, des installations d’artistes. Dans le hangar à côté, les acampadas sont en réunion depuis deux heures. 100 à 200 personnes se trouvent sur le site, donnant au lieu des airs de Demeure du Chaos.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

À la recherche de l’autonomie technologique, Hacksol entre en scène sur les coups de 19h00, dans la nave trapecio, un grand hangar qui sert de salle de réunion. Ils font œuvre de pédagogie, expliquent la nouvelle organisation et les buts recherchés : décentraliser le mouvement – Madrid ne sera plus le point de passage obligé – et se répartir la charge sur la gestion des infrastructures web.

Chaque ville devra se mettre en contact avec des programmateurs ou des hackers de confiance. La red tiene que ser libre, tiene que ser nuestra (le Net doit rester libre, il doit nous appartenir)

Sont également abordées les questions juridiques et financières. Qui va payer pour les serveurs ? Qui sera responsable de la base de données des utilisateurs du réseau N-1 auprès de la Commission gouvernementale de la protection de données ? Qui prendra la responsabilité juridique des contenus publiés sur le réseau ?

Vient le tour des questions, où chaque acampada de Séville, Malaga, Algeciras, Oviedo, Donosti – et d’autres villes encore – fait part de ses besoins, mentionne les outils qu’elles utilisent déjà et en propose d’autres. La question du design des sites par exemple, est abordée par plusieurs acampadas et très rapidement, la décision est prise de mettre en place une coordination nationale des graphistes et des webmasters, avec une liste de discussion sur le modèle de celle qui existe déjà pour les programmeurs. Le représentant d’Algeciras invite même Hacksol à faire des ateliers de formation au web sur la plage pendant que celui d’Asturie précise qu’ils ont développé une application de co-voiturage qui pourra être mise à disposition de tous. Un autre propose d’utiliser des plateformes de crowdsourcing pour financer les coûts technologiques. L’ambiance est à la fois studieuse et bon enfant. L’assemblée prendra fin sur les coups de 23h00.

Ils ont bien en tête que les infrastructures et outils qui sont développés maintenant doivent pouvoir servir à tous, en Espagne et dans le monde entier. Pour eux il est évident que le mouvement va s’étendre et que les places vont se coordonner entre elles. Et que le changement viendra.


Photos et vidéos, Ophelia Noor pour Owni /-)

Image de Une par Voces con Futura

Retrouvez notre dossier sur la démocratie réelle en Espagne.

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Au Tetalab Hacker Space Factory, le courant alternatif passe http://owni.fr/2011/05/29/au-tetalab-hacker-space-factory-le-courant-alternatif-passe/ http://owni.fr/2011/05/29/au-tetalab-hacker-space-factory-le-courant-alternatif-passe/#comments Sun, 29 May 2011 18:03:19 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=64882

Nous sommes revenues cramées du Tetalab, le festival du hackerspace toulousain. Pourtant, nous ne sommes restées que le samedi. Le réveil à 5 h 30 et la jolie chaleur qui régnait sous le hangar du collectif d’artistes Mix’Art Myrys qui accueillait l’événement n’étaient pas les principaux coupables: non, ce qui nous a exalté, happé, épuisé, c’est le bouillonnement politique qui émanait de cette seconde édition placée sous le signe du Do-It-Yourself (DIY).

Pas politique au sens partisan, mais au sens de : quelle société je veux ? Une société de consommation passive ou je gobe du produit tout prêt, d’un coup de carte bancaire ? Ou ne vaut-il mieux pas se réapproprier les outils de production, apprendre à fouiner dans les objets pour les adapter, les réparer, les récupérer ?

À l’heure où la révolution gronde dans la proche Espagne, lassée du «système», le THSF, le temps d’un atelier de soudure ou d’une conférence sur Arduino, la fameuse plate-forme électronique open source, apportait une solution aussi tangible que les objets conçus durant ce week-end à l’aide des imprimantes 3D.

Les conversations avec les  participants sont denses et vivifiantes, à l’image de leurs parcours. Des festivaliers qui dans l’ensemble n’ont rien de vieux nostalgiques du Larzac: on tourne plutôt autour de 35 ans de moyenne d’âge, et à voir les ados et les enfants galoper entre un vieux fauteuil et un robot tout droit sorti de Metropolis, il est permis de croire que le courant alternatif continuera de passer.

Pour rendre compte de cette effervescence, voici une série de portraits-rencontres expresses, comme autant de mini-révolutions incarnées. Une lecture qui rendra définitivement détestables nos appartements peuplés de meubles IKEA.

Jérôme, hackable-devices: vivre de la technique éthique

John et Jérôme

La boutique en ligne de hardware open source hackable-devices (HD) est un peu aux festivals hacker ce que Renault est aux salons auto: un incontournable. John, son fondateur, était déjà venu l’année dernière lors de la première édition du THSF. Il est maintenant secondé par Jérôme, coordinateur développement.

Comme John, qui a quitté son bourgeois et lénifiant métier d’opticien, Jérôme a un parcours atypique: après un passage dans le commerce équitable, il y a vingt ans, avant que la grande distribution ne mette le grappin dessus, il a fait un tour du côté de la technique «pure et dure, Windows certifiée». Aujourd’hui, il parvient enfin à faire la synthèse en faisant de la « techno éthique, écoresponsable ».

Petite entreprise, HD espère bien évangéliser au-delà du noyau dur des hackers, Jérôme s’active dans ce sens. Aux côtés du shop virtuel, HD est en train de développer une activité de consulting en B to B.Jérôme:

Nous nous rapprochons des industriels, des collectivités locales et d’un public élargi en général.

HD se dirige vers des collaborations avec des villes en Bretagne et en Île-de-France sur la décroissance énergétique, avec des outils de monitoring de compteurs électriques. Négawatts plutôt que mégawatts. HD s’est associé sur ce projet avec les jeunes Toulousains de SnootLab, L’Internet des objets, c’est-à-dire la connexion au Net des objets du quotidien, est aussi un axe important de travail. La rentrée de septembre devrait être active…

Atelier de soudure avec John

En écumant les events hackers, Jérôme cherche à mieux connaître la communauté hacker au sens large du terme. Dans l’optique du développement de sa boîte, les Fab Labs, ces usines miniatures proposant des machines-outils pilotées par ordinateurs, sont un terrain fertile. « Nous voulons passer du stade du prototype à celui de la création digitale », explique Jérôme.

En clair, permettre aux gens de fabriquer eux-mêmes les objets en leur fournissant un «patron numérique» open source, avec cette idée primordiale de redonner aux consommateurs passifs le contrôle de la production. Le processus de fabrication passe par un décloisonnement des métiers, artisans, designers, techos, il insiste sur le mixage des compétences.

Pour conclure le programme aussi chargé qu’exaltant de Jérôme, on rajoutera la création de boutiques réelles, associant magasins et ateliers. Faire plutôt que faire faire, encore et toujours. Le stand de Jérôme est d’ailleurs entouré de MakerBots, ces imprimantes 3D open source et d’ateliers de soudure. Lui-même s’y essaye, il n’avait pas mis la main au fil d’étain depuis sa scolarité…

On fait un parallèle, en mode Cassandre, avec le commerce équitable: le DIY ne va-t-il pas se faire rattraper par le système ? Jérôme souligne une différence essentielle : acheter une tablette de chocolat équitable n’engage à rien. C’est un geste de deux secondes. Le DIY est une pratique, un mode de vie au quotidien. Nettement plus difficile à récupérer.

Massimo Banzi : « Everything has to be hackable »

Massimo Banzi [en], co-créateur des circuits imprimés Arduino [en], a un background assez étrange, selon ses propres mots : « J’ai commencé par étudier l’ingénierie électronique, et j’ai travaillé dans le logiciel pendant plusieurs années à l’international. ». Rien ne le prédestinait à être enseignant mais la proposition d’un ami au début des années 2000 lui fait sauter le pas. C’est à l’Institut d’Interaction Design d’Ivrea en Italie que Massimo Banzi se frotte à l’enseignement et à la pédagogie, et c’est là que naît le projet Arduino, en collaboration avec quatre enseignants développeurs et une bonne centaine d’élèves cobayes qui ont indirectement contribué à sa création.

Le succès d’Arduino aujourd’hui tient beaucoup à ce fondement pédagogique. Tout est basé sur le «faire». La théorie est bannie, la pratique est reine. Explication de Massimo pendant sa conférence au THSF:

Nous voulons que les gens mettent les mains dans le camboui. Nous avons conçu les circuits Arduino avec l’idée qu’un enfant pourrait s’en emparer.

Autant que les hackerspaces, beaucoup d’écoles se servent de ces circuits pour monter des projets. L’éducation, un créneau dans lequel Massimo et ses collaborateurs ont décidé d’investir. Ils lancent le 18 juin une plateforme d’échanges pédagogiques multilingue destinée aux personnes qui utilisent les circuits Arduino pour enseigner. Objectif affiché : collecter le maximum de tutoriels écrits dans un langage pédagogique, éloigné de celui des ingénieurs. Et surtout, continuer à travailler avec des écoles dans le monde entier.

Un autre atout d’Arduino est son modèle open source et sa philosophie DIY. « Ce modèle est fondamental. C’est ce qui nous a permis d’évoluer et d’embaucher aujourd’hui trois personnes à temps plein et d’autres pour des missions. » Ces circuits sont clonés dans le monde entier, de l’Inde en passant par la Chine.

Mais, selon Massimo Banzi, le géant Google ne se gêne pas non plus pour reprendre leurs inventions, comme dans le cas du Mega ADK . Tout cela ne l’inquiète pas, lui qui croit aux vertus de l’émulation et de la créativité que seuls peuvent apporter les projets sous licences libres. Pendant la conférence, Massimo présente plusieurs projets non dénués d’humour, réalisés à partir d’Arduino, comme la « tweeter plant » qui vous envoie un tweet pour vous dire qu’elle a besoin d’être arrosée… Il donne en exemple la création d’un autre module dont 80 % est en open source et le reste sous format propriétaire :

Je suis confiant en la communauté des utilisateurs. Dans moins de trois ans, le module sera à 100% open source. À chaque fois que nous enlevons des pièces sous propriété intellectuelle, les gens deviennent plus créatifs. Tout doit être hackable.

Un discours qui n’est pas sans échos avec la récente intervention de John Perry Barlow à l’eG8 forum [en] à Paris.

Massimo nous confie que c’est la première fois qu’il est invité dans un festival de hackers, bien qu’il côtoie assez régulièrement cette communauté. Tom Igoe [en], l’un des co-fondateurs d’Arduino est un membre reconnu du hackerspace new-yorkais NYC Resistor [en]. Et ajoute-il, le sourire en coin, « je ne refuse jamais un voyage en France ». L’autre date importante pour Massimo en 2011 est l’Open Hardware Summit [en] qui se tiendra à New York le 16 septembre pour lancer la version 1.0 d’Arduino et dévoiler plusieurs projets en cours…

Emmanuelle Roux : hacker l’université

Emmanuelle Roux

À la rentrée, l’université de Cergy-Pontoise accueillera FacLab, un Fab lab qui servira d’outil pédagogique, dans le cadre d’un diplôme universitaire. Le nom résume bien la philosophie d’Emmanuelle Roux : changer le monde est à portée de mains, un discours qu’elle martèle à ses élèves, trop passifs selon elle. Comme Laurent Ricard, avec qui elle a porté le projet, cette femme qui se définit comme «sympathisante hacker» présente un profil atypique dans le milieu universitaire.

Côté pile, elle est entrepreneuse, à la tête des Clés du Net, une web agency vendéenne: un aboutissement logique quand on est tombée dans la bidouille informatique à dix ans. Côté face, elle est vacataire universitaire, en charge d’une licence développement web et web mobile à Cergy. Pas une chercheuse pur jus.

Cette passionné de l’Internet des objets a fait une heureuse rencontre voilà un an, sur les conseils de son entourage: Arduino. Elle cherchait alors à « sortir de l’écran, qui enferme ». Le lien est fait. Emmanuelle fait l”apprentissage de la plate-forme électronique, et, dès cette année, met en place un cours sur le sujet. Pas courant en France.

Elle se heurte au cloisonnement du milieu, peu habitué à la transdisciplinarité, qui lui rentre dans le choux. « J’avais besoin d’étain, il n’y en avait pas chez nous, j’ai dû aller en chercher à l’étage en dessous en robotique, je l’ai découvert à cette occasion, on n’aurait pas eu l’idée de nous mettre en relation…» Encore balbutiant, ce cours a déjà abouti de façon concrète: les élèves ont connecté un objet à un programme en Flash.

Preuve que le milieu universitaire n’est tout de même pas si fermé, «on est financé par une faculté, c’est bien qu’on a convaincu. J’ai eu de la chance de tomber sur la bonne personne qui nous a montré de bonnes personnes», avance-t-elle pour expliquer ce que l’on pourrait appeler un hack d’université.

Si Emmanuelle est venue THSF «pour le plaisir», ses MakerBots sous le bras, les discussions avec les acteurs du milieu lui permettent de repérer au passage des intervenants pour sa licence. «Ils sont là, sous le hangar» : loin des théoriciens, elle cherche des praticiens, aux marges du système actuel. «John, typiquement, ferait un intervenant intéressant.» De là à voir se multiplier ce type de projet… La France attend encore son Neil Gershenfeld, on est en retard, « bien sûr », conclut-elle dans un sourire.

Heureux qui comme Alexandre Girard a fait la connexion entre Paris et l’Espagne

Lorsqu’il a créé le Tetalab en 2009, Alexandre Girard, un jeune développeur web, voulait montrer qu’entre les hackerspaces parisiens et ceux d’Espagne, il existait aussi des fans de bidouille. La première édition avait été placée sous ce signe franco-espagnols. Deux ans après, la connexion est définitivement faite, comme en témoigne la présence notable d’Espagnols, dont Lord Epsilon et d’Alex, les fondateurs du réseau social alternatif LOREA (voir ci-dessous). Créer très vite un festival était une évidence: après être allé au PHSF, le festival du premier hackerspace français le Tetalab, le Tetalab a appliqué « le principe du copié/collé », explique-t-il. Soit des ateliers, des conférences, des concerts, des performances et de la tambouille maison.

Du bar où il officie, Alex voit défiler le monde, déjà plus que l’année dernière. On trouve bien sûr la vingtaine de membres du Tetalab, dont les hommes sont pour l’occasion reconnaissables à leurs moustaches dignes des joueurs de foot de feu la RDA, ce sera du feutre pour les filles. « Nous comptons pas mal de jeunes, dont des pères de famille, précise-t-il. Par exemple ce soir, le fils de Sylvain fera du vidéomapping sur la façade. Il y a aussi des geeks, venus en famille. » Les autres hackerspaces français ont aussi fait le déplacement : le tmp/lab leur a rendu la pareille, Alex Korber et Ursula sont ainsi venus avec leur usinette, et un début de fraiseuse numérique, faite maison, une sorte de IKEA-killer ; le jeune ElectroLab, etc ; et de l’autre côté des Pyrénées, donc, entre autres, Hacktivistas [es].

Le mètre quatre-vingt-dix affable, Alex représente bien cette nouvelle génération de hackers, qui ne rechigne pas à sortir de l’ombre pour échanger sur la philosophie qui anime le groupe. Qu’ils fassent autant de travaux en lien avec l’art illustre bien cette tendance : «on a envie de montrer ce type de projet». Mais de là à s’institutionnaliser, il y a un pas que ces pieds chaussés de Vibram Fivefingers n’est pas près de franchir.

Lorea: «Les réseaux sociaux doivent être libres et non commerciaux»

Face aux géants des réseaux sociaux Facebook et Twitter, le positionnement et la philosophie de Lord Epsilon et Alex, fondateurs de Lorea sont clairs : « Les réseaux sociaux et Internet, c’est nous : la société civile doit se les réapproprier. Le réseau social est un outil qui vient de la société civile. » Lorea[en] est un réseau social libre créé en Espagne en 2008 par une communauté de hackers dont Lord Epsilon, 1m90, habillé de noir et la tchatche facile, et Alexandra, dite Alex, petite blondinette à l’air sérieux. Sur la scène du Tétalab, nous sommes loin du discours langue de bois de Mark Zuckeberg à l’eG8.

Lorea est un outil non commercial, à l’opposé de Facebook, fait par et pour la communauté et dont le but n’est pas de faire de l’argent ou de collecter des données pour les revendre à des tiers.

Les réseaux sociaux commerciaux ne respectent pas la vie privée, leur fonctionnement est opaque, ils bénéficient d’une certaine impunité juridique et leur culture de « l’honnêteté » par opposition à l’utilisation des pseudos rappelle fortement 1984 d’Orwell, résument nos deux activistes espagnols.

Alex et Lord Epsilon militent depuis des années pour un web social libre, dans la veine de l’open source et du respect de la neutralité du réseau « Actuellement, il n’est pas possible d’échanger entre MySpace et Facebook », s’agace Alexa sur la scène du Tetalab. En effet, pour échanger avec sa communauté, ses amis ou sa famille, il faut se créer un profil sur chacune des plateformes de ces réseaux sociaux, commerciaux.

Epsilon s’enflamme : « Lorea signifie “fleur” en basque, et nous espérons construire un champ du savoir entre les communautés, comme les abeilles qui viennent butiner de fleurs en fleurs, pour le disséminer à travers les cultures et les réseaux. Métaphoriquement, nous sommes un rhizome. » Applaudissement dans la salle. Ils restent lucides et prudents, admettent jouer le jeu de Twitter ou Facebook en les utilisant à fond dans certains cas, comme récemment, pendant les événements de la #spanishrevolution. Cependant, il se passe d’autre chose, ailleurs sur le web, où la résistance s’organise contre les ennemis de la neutralité du Net. Le petit réseau social alternatif a gagné des dizaines de milliers d’adhérents depuis les manifestations du 15 mai en Espagne.

Lorea sera de tous les rassemblements de hackers cette année et participera au Federated Social Webforum [en] de Berlin début juin où le thème des réseaux sociaux libres sera débattu. Organisé par le consortium W3C, ce dernier a récemment ouvert un groupe de travail sur l’interconnexion entre les réseaux sociaux, à la grande satisfaction d’Alexa et de Lord Epsilon.

Photos : Ophelia Noor [cc-by-nc-sa–] /-)
Affiche en Une de Stéphane Jungers téléchargez-la !

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