OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Une huile de schiste en campagne pour Borloo http://owni.fr/2011/06/06/huiles-de-schiste-en-campagne-pour-borloo-2012-balkany-toreador/ http://owni.fr/2011/06/06/huiles-de-schiste-en-campagne-pour-borloo-2012-balkany-toreador/#comments Mon, 06 Jun 2011 12:12:16 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=66421 Frédéric Salat-Baroux, probable directeur de campagne de Jean-Louis Borloo pour 2012, travaille en réalité pour l’un des principaux promoteurs des hydrocarbures de schiste, la société Toréador.

Dans le cadre de la présidentielle, le nom de cet avocat de 47 ans est depuis quelques jours cité comme futur directeur de campagne de la caution écologiste de la droite, Jean-Louis Borloo. Une promotion confirmée par le JDD de ce week-end.

Marié à Claude Chirac depuis 2011, Frédéric Salat-Baroux a débuté sa carrière au Conseil d’État avant de rejoindre l’Élysée en 2002, sous la présidence de Jacques Chirac et au poste de secrétaire général.

En 2007, il embrasse la carrière d’avocat en rejoignant le prestigieux cabinet d’avocats d’affaires Weil, Gotshal & Manges. Or, dans le cadre de ses activités d’avocat, Salat-Baroux défend depuis avril 2011 les intérêts de la société administrée par Julien Balkany, Toréador, qui mène en Île-de-France une exploration de grande ampleur pour les huiles de schiste.

Comme le montre le document ci-dessous (voir page 2), Frédéric Salat-Baroux défendait ainsi Toréador devant le tribunal administratif de Melun, dans un recours pour lui permettre de poursuivre la prospection.

Dans le cas présent, Salat-Baroux attaquait une décision du Conseil général de Seine-et-Marne qui interdisait à Toréador (au nom de la protection de l’environnement et de l’eau) l’exploration pour les huiles de schiste sur son territoire. Le 16 mai, le juge des référés accordait finalement gain de cause à Toréador qui pourra continuer à perforer le plateau de la Brie contre l’avis des collectivités territoriales et des associations locales.

Comme le révélait la Lettre A du 15 avril dernier, de nombreuses sociétés impliquées dans la recherche de gaz et huiles de schiste ont commencé à affuter leur arsenal juridique contre les décisions administratives qui pourraient menacer leurs coûteuses opérations.

Avouant une proximité « idéologique et personnelle » avec le président du parti radical, Frédéric Salat-Barroux attend dans la semaine le rendu d’une deuxième ordonnance dans une affaire plaidée au nom de Toréador. « La transition écologique et énergétique est une question primordiale », lançait l’ex-ministre dans Le Parisien Dimanche du 5 mai.

Avec un défenseur des huiles de schiste comme directeur de campagne, après avoir signé lui-même les permis d’exploration pour ces ressources, Jean-Louis Borloo aura besoin de plus qu’un Grenelle pour faire passer la pilule aux électeurs écologistes.


Photo FlickR CC wiebkehere.

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Huiles de schiste: voyage au pays de l’or noir, à 60kms de Paris http://owni.fr/2011/02/25/huile-de-schiste-voyage-au-pays-de-lor-noir-a-60kms-de-paris-gaz-de-schiste-balkany-petrole/ http://owni.fr/2011/02/25/huile-de-schiste-voyage-au-pays-de-lor-noir-a-60kms-de-paris-gaz-de-schiste-balkany-petrole/#comments Fri, 25 Feb 2011 15:55:41 +0000 Sylvain Lapoix (texte) et Romain Saillet (son) http://owni.fr/?p=48462 A Paris, on n’a pas de pétrole. En tout cas pas à moins de 60 kilomètres de Notre-Dame. Il faut partir à l’Est, dépasser Meaux et La-Ferté-sous-Jouarre, ignorer les hameaux emmitouflés de forêt le long de la D204, continuer après le chapelet de vieilles fermes de La Butheil en direction de Rebai et ralentir pour regarder attentivement à droite quatre talus entourés de piquets de bois.

C’est là que Toréador, société pétrolière propriété du fonds d’investissement du frère de Patrick Balkany, espère faire fortune en tirant du pétrole des couches de schiste sous le plateau de la Brie. Et, jusqu’ici, le ministère n’a rien fait pour freiner ses ambitions. Surtout pas prévenir les habitants du coin !

Pour qu’ils l’apprennent il aura fallu beaucoup de chance et un débat national lancé par la révélation de l’exploration massive dans le Sud de la France en vue de l’extraction de gaz de schiste. Depuis quelques jours cependant, les mouvements de camions se sont calmés en Seine-et-Marne : histoire de désamorcer une polémique explosive en période de campagne pour les élections cantonales, Nathalie Kosciusko-Morizet a demandé l’arrêt des opérations dans toute la France jusqu’au 15 avril. Une simple pause. A la mairie de Doue, sur le territoire de laquelle Toréador a installé une de ses trois plates-formes du département (pour celles qui sont connues), une lettre de la préfecture est parvenue à la mi-février annonçant l’arrivée de véhicules et la reprise des travaux pour le lendemain de la fin du « moratoire » décrété par la ministre. Rien d’inhabituel dans ce petit coin de Seine-et-Marne où toutes les étapes de la procédure ont été soigneusement dissimulées aux habitants et aux élus.

Les ordres « venus d’en haut »

En septembre, alors que des représentants de l’Association de défense de l’environnement et du patrimoine à Doue participaient aux débats sur le Grenelle II, Jean-Louis Borloo signait l’arrêté ministériel autorisant Toréador à prospecter : en vertu du « permis de Château Thierry », la société se voit attribuer une zone de 779 km à cheval entre Aisne, Seine-et-Marne et Marne sur avis du ministère et des préfectures. Au niveau local, ce n’est que par un courrier envoyé à la mairie de Doue début août 2010 qu’on est informé de l’arrivée des bulldozers à l’automne.

Face aux demandes d’information du maire, la préfecture fait la sourde oreille et se réclame des « ordres d’en haut ». Début septembre, un dossier parvient à la mairie : le détail des opérations qui vont débuter dans les mois à venir, signé Toréador. Seul oubli : l’annexe 3, qui décrit la technique de fracturation hydraulique, jugée non pertinente dans un dossier décrivant l’exploration. Pas si inapproprié que ça en fait puisque le code minier définit les permis exclusifs de recherche (PER-H pour « hydrocarbures ») comme autorisant l’extraction et même la commercialisation des produits extraits.

C'est en allant déjeuner dans un restaurant de Doue que deux militants apprennent l'existence d'une deuxième plate-forme de recherche pétrolière.

Réunis dans un restaurant de Doue pour préparer une réunion sur la question, Caroline Pinet et Pierre Doerler, militants associatifs proches d’Europe écologie, sont interrompus dans leur discussion par le patron : « il avait eu à déjeuner des employés de Toréador qu’il avait remarqué car ils parlaient presque tous anglais, se souvient Pierre Doerler. Celui qui parlait français lui a expliqué qu’une plate-forme était en train de se monter sur le territoire de la commune de Jouarre. Nous avons pris notre voiture pour vérifier et trouvé les engins de chantier entrain de préparer la plate-forme. »

Quand l’équipe d’OWNI s’est rendue sur la plate-forme de Jouarre jeudi 16 février, les bulldozers avaient déserté, laissant en plan un champ boueux d’un hectare entouré de talus sur trois côtés au milieu duquel trônait un piquet de bois et une tige métallique bleue. Garé le long de la route, un employé de la Direction départementale de l’équipement et un groupe de salariés de Toréador nous ont aimablement salué avant de s’en aller. « Le maire de Jouarre était venu sur le chantier demander l’arrêt des opérations, » nous explique-t-on à la mairie. Mais la vraie décision est venue « d’en haut ». « Conformément à la demande de la ministre, les travaux ont été suspendus, nous répond-on en préfecture. Nous ne nous prononçons pas sur le sujet : nous ne faisons que relayer les communiqués du ministère sur la question. »

Tout ce qu'il restait des travaux sur le site de Jouarre au moment de notre visite sur le terrain.

Et les réponses de la ministre sont parfois pleines de surprise.

Fracturation dans un château d’eau de l’Île-de-France

C’est justement en lisant une annexe au courrier de la ministre demandant l’arrêt des explorations que les militants locaux découvrent mention d’un arrêté préfectoral du 12 février 2009. L’arrêté autorise la société Vermillion, propriétaire de l’ancien puits de pétrole d’ESSO de Champotran (à une quinzaine de kilomètres au Sud de Doue), à injecter dans le sol 220 000 mètres cubes d’eau par an jusqu’en 2010 puis 145 000 mètres cubes ensuite. « Les quantités d’eau ne laissaient pas de doute possible : ils comptaient procéder à des fracturations hydrauliques dans d’anciens puits de pétrole », en a vite conclu Caroline Pinet. Les puits « classiques » n’allant pas au delà de 800 mètres de profondeur, il suffit en effet pour atteindre la couche de schiste de continuer le forage et de le couder jusqu’à la roche mère avant de la fracturer pour récupérer les hydrocarbures.

Or, la source citée n’est pas n’importe quelle nappe phréatique : courant sous le tiers de la Seine-et-Marne, la « nappe de Champigny » pourvoit, selon la régie publique Eau de Paris, aux besoins en eau potable de 10% des Parisiens et de nombreuses communes de la Petite et de la Grande couronne, soit au bas mots quelques centaines de milliers de personnes. Une lourde tâche pour une source qui, depuis plusieurs années, est perpétuellement en « seuil de crise renforcé », le plus haut niveau d’alerte sécheresse qui oblige les habitants à des limitations de pompages industriels et agricoles, des restrictions de consommation, etc. En ponctionnant dans ce réservoir, les projets de forage puisent dans une oasis au bord de la désertification, l’exposant par ailleurs du fait de la méthode de fracturation hydraulique à des fuites de polluants (antibactériens, anticorrosif, etc.) mélangés aux liquides injectés dans le sol.

Un « triangle des Bermudes » politique

Au fin fond du Languedoc ou dans les gorges de l’Ardèche, l’absence de personnalité politique d’envergure nationale en dehors de José Bové a longtemps expliqué le silence entourant le dossier. Mais dans ce bout de Seine-et-Marne, les cadres de l’UMP sont en surnombre : le patron de l’UMP, Jean-François Copé, est député-maire de Meaux (6è circonscription), tandis que son successeur à la présidence du groupe parlementaire, Christian Jacob, est représentant de la quatrième circonscription de Seine-et-Marne à l’Assemblée. Un duo complété par la présence dans la 5è circonscription de Seine-et-Marne de Franck Riester, responsable notamment de la campagne européenne du parti présidentiel. « C’est le triangle des Bermudes de la politique cet endroit », résume Marie-François Lepetit, candidate pour le Front de gauche dans le canton de Rebai où se trouve la ville de Doue.

Face à elle, Anne Chain-Larché (fille de l’ancien président du Conseil général de Seine-et-Marne, Jacques Larché) représente la majorité, avec pour principal soutien Christian Jacob. Interrogée lors du lancement de sa campagne sur l’exploration pétrolière dans le canton, la candidate a déclaré avoir appris l’affaire « dans les journaux », suivi par son collègue député. En tant que rapporteur du Grenelle de l’environnement, Christian Jacob aurait-il été tenu à l’écart des discussions du ministère avec des compagnies pétrolières ? La réponse sera probablement donnée au lendemain des élections cantonales.

En attendant, les associations guettent : surgit dans la brume, la tour de forage de la plate-forme de Doue a disparu du jour au lendemain. N’en reste qu’un tronçon de tube et un préfabriqué pour lui tenir compagnie et abriter un agent de sécurité à plein temps qui reçoit « de temps en temps » la visite des salariés de Toréador. Écartés du processus de décision, les mairies tentent d’agir, bien que privée, comme tous les élus régionaux ou généraux, du moindre pouvoir de décision sur l’avancée des prospections. « Des salariés de la préfecture se sont déjà plaints de ne pas avoir été mis dans la boucle », confie-t-on au conseil général. C’est à peine si les territoires vont en profiter, « moins de 10 centimes par baril », estime-t-on à Doue : le sol appartient à l’État et seuls les agriculteurs ayant signés des concessions toucheront des bénéfices directs de ces projets.

Pendant ce temps là, Julien Balkany étale dans la presse ses ambitions : auparavant dispersé, Toréador a recentré toutes les activités en France et se vante de « relocaliser ». Ses objectifs pour le bassin parisien ont de quoi faire rêver les pompes à essence : 4,5 millions de tonne de brut par an.

L’Arabie Saoudite, on vous dit.

Photo : Sylvain Lapoix. Iconographie : Marion Boucharlat

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Gaz de schiste : le trésor empoisonné du sous-sol français http://owni.fr/2010/12/07/gaz-de-schistes-le-tresor-empoisonne-du-sous-sol-francais/ http://owni.fr/2010/12/07/gaz-de-schistes-le-tresor-empoisonne-du-sous-sol-francais/#comments Tue, 07 Dec 2010 07:55:32 +0000 Sylvain Lapoix, Ophelia Noor et Pierre Ropert http://owni.fr/?p=37359 Dans le nord du Texas le gisement de Barnett Shale a éveillé une nouvelle ruée vers l’or gris. Chaque mois des milliards de m3 de gaz sont extraits des couches profondes de roches de schistes sous la ville de Fort Worth. Des torrents de gaz drainés par des milliers de camions. Une activité qui, ajoutée aux rejets des raffineries, pollue plus que le tout le trafic automobile de cette ville de 725 000 habitants selon un rapport réalisé par le professeur Al Armendariz en janvier 2009, nouvel administrateur de l’EPA (Agence de protection de l’environnement américaine). Ce précieux gaz, certains des habitants de Fort Worth l’ont retrouvé jusqu’à la sortie de leur robinet. Leur eau même contient des traces de produits chimiques injectés dans les puits de gaz, selon des analyses indépendantes menées par le documentariste américain Josh Fox. Nouvel arrivant dans cet Eldorado énergétique, Total a acquis début 2010, 25 % du plus gros exploitant de la Barnett Shale, Chesapeake, pour un montant de 600 millions d’euros et prévoit d’investir 1 milliard supplémentaire pour de nouveaux puits. Sans compter les engagements financiers que le groupe pétrolier prévoit en France.

Depuis le début du printemps le géant pétrolier français et le Texan Schuepbach sont libres d’explorer 9672 km² dans le Sud de la France, un terrain de prospection grand comme la Gironde. Signés par Jean-Louis Borloo, trois permis exclusifs de recherche (Permis de Montélimar ; Permis de Nant, Permis de Villeneuve de Berg)) dessinent un gigantesque V de Montelimar au Nord de Montpellier, remontant à l’Ouest le long du parc naturel des Cévennes. Pour obtenir deux des trois permis, l’Américain a cependant du rassurer les autorités françaises en s’alliant à GDF : “S’il y a un problème, ils sont juste là”, nous dit Charles Lamiraux, géologue à la direction générale de l’énergie et du climat (ministère de l’écologie) et en charge du dossier, en pointant la tour du gazier français depuis son bureau dans l’Arche de La Défense. Encore novices dans l’exploitation des gaz de schistes, les groupes français ne peuvent se passer de partenaires américains, les seuls à maîtriser la technique clef d’extraction de ces nouvelles ressources.

Avant, pour les gaziers, la vie était facile : un forage vertical de quelques centaines de mètres jusqu’à une poche, et le gaz remontait tout seul à la surface. Avec l’explosion de la demande, ces gaz dits conventionnels sont de plus en plus difficiles à trouver. Cette raréfaction a poussé les exploitants à creuser toujours plus loin et toujours plus profond… jusqu’à plus de 2000 mètres pour récupérer des micropoches de gaz emprisonnées dans un mille feuilles de roches de schiste. Or, ces nouveaux gisements représentent une manne considérable, présente dans le sous-sol d’un bout à l’autre de la planète selon le rapport du géant italien de l’énergie E.ON : des milliers de milliards de mètres cubes de gaz en Europe, sept fois plus en Amérique du Nord et plus encore en Asie et en Australie… De quoi flamber encore pendant quelques décennies sans besoin d’énergies renouvelables. Tout ça grâce à la technique révolutionnaire de fracturation hydraulique mise au point par le géant de l’armement texan, Halliburton. Un procédé efficace mais brutal.

A 2500 m de profondeur, c’est un petit tremblement de terre : pour réunir les micropoches en une unique poche de gaz, un explosif est détonné pour créer des brèches. Elles sont ensuite fracturées à l’aide d’un mélange d’eau, de sable et de produits chimiques propulsé à très haute pression (600 bars) qui fait remonter le gaz à la surface avec une partie de ce “liquide de fracturation”. Chacun de ces “fracks” nécessite de 7 à 15 000 mètres cube d’eau (soit 7 à 15 millions de litres), un puits pouvant être fracturé jusqu’à 14 fois.

Selon la couche de schiste, un puits peut donner accès à des quantités de gaz très variables, précise Aurèle Parriaux, docteur en géologie de l’ingénieur à l’université polytechnique de Lausanne. Pour être sûr de rentabiliser un champ il faut une forte densité de forage.

Dans le Garfield County (Colorado), le désert s’est hérissé de puits de gaz de schiste tous les 200 mètres.

Chacun des points blanc sur la carte est un puits d'extraction de gaz de schiste

Pour chaque “frack”, deux cents allers retours de camions sont nécessaires au transport des matériaux de chantier, de l’eau, puis du gaz. De quoi transformer n’importe quelle nationale en autoroute. Sans compter les rejets de CO2 des raffineries, le bruit généré par le site et la transformation du paysage environnant.

Loin des ambitions affichées par le Grenelle de l’environnement, la fracturation hydraulique va à l’encontre de nombreux engagements pris par le ministre de l’écologie Jean Louis Borloo, qui a signé l’attribution des permis de recherche. Parmi les objectifs de ce Grenelle, améliorer la gestion des émissions de gaz à effet de serre grâce à la réduction de la circulation automobile, protéger les sources d’eau potables et les zones d’écosystèmes sensibles.

Si l’exploitation devait commencer dans les frontières définies par les permis, ce serait plus d’un paragraphe du Grenelle de l’environnement qui serait piétiné.  Pour ce qui est des quantités d’eau à mobiliser, le choix de la région, frappée de sécheresse endémique depuis plusieurs années (notamment en Drôme et en Ardèche), est loin de satisfaire au principe de préservation des ressources en eau énoncé à l’article 27 du Grenelle :

Le second objectif dans ce domaine est de garantir l’approvisionnement durable en eau de bonne qualité propre à satisfaire les besoins essentiels des citoyens. A ce titre, l’Etat promeut des actions visant à limiter les prélèvements et les consommations d’eau. Il participe, en s’appuyant sur les acteurs compétents, à la diffusion des connaissances scientifiques et des techniques visant à une meilleure maîtrise des prélèvements et des consommations finales d’eau pour l’ensemble des usages domestiques, agricoles, industriels et de production énergétique.

Le risque est clairement identifié comme on nous le confie au ministère de l’Ecologie : “le problème de l’approvisionnement en eau nécessaire à l’exploitation des gaz de schiste se posera à un moment ou à un autre.”

Dans le document de référence remis aux autorités, Total et Schuepbach assurent prendre toutes les précautions nécessaires pour minimiser l’impact des recherches de gaz de schiste sur l’environnement. Malgré la cimentation des puits, les bourbiers avec films plastiques et autres sécurités mises en place pour empêcher la contamination, la notice d’impact précise la nécessité de réaliser au préalable une étude hydrogéologique, le forage pouvant traverser des nappes phréatiques. Le risque, comme l’ont expérimenté les riverains de la Barnett Shale au Texas, c’est la contamination des eaux souterraines par les polluants inclus dans le liquide de fracturation. Séverin Pistre, chercheur en hydrogéologie au laboratoire hydrosciences de Montpellier, souligne la fragilité des sources dans la région :

il y a beaucoup de problèmes de protection des captages d’eau du fait des aquifères karstiques qui peuvent réagir de façon très violente aux polluants. Selon l’endroit où le fluide pénètre la nappe phréatique, sa vitesse de propagation peut aller de 1 à 1000. Dans certain cas, il peut ainsi parcourir des centaines de mètres par jour dans les sous-sols.

Mais Total a tout prévu : en cas de nuisances, la notice d’impact donne aux habitants “la possibilité d’introduire un dossier auprès du Mécénat Total pour des actions patrimoniales ou culturelles”. L’honneur est sauf !

La priorité reste néanmoins à l’investissement : pour obtenir les permis, Total s’est engagée à dépenser 37 800 000 euros sur cinq ans pour sa zone d’exploration. Schuepbach quant à elle, a promis d’investir sur trois ans 1 722 750 euros pour les 4414 km² du permis de Nant et 39 933 700 pour le permis de Villeneuve de Berg et ses 931 km², soit 14319€ par km² et par an.

L’investissement dépend du degré de certitude que les entreprises ont de trouver des gisements de gaz, précise Charles Lamiraux. En Ardèche, des forages anciens permettent d’affirmer qu’il y a des réserves profondes que nous ne pouvions pas exploiter jusqu’ici. Peut-être même du pétrole.

Une éventualité qui pourrait expliquer certains investissements de dernière minute : Total E&P, abandonnée sur le permis de Montélimar par Devon Energy, n’a pas hésité à racheter la filiale française du groupe (non sans avoir obtenu l’aval du ministère de l’Ecologie). La rumeur veut que Chesapeake, basée à Oklahoma City, devienne le nouveau partenaire technique du pétrolier français. La même entreprise dans laquelle Total a pris en janvier dernier une participation de 25%.

Même si aucun  des acteurs n’avoue encore d’ambition d’exploitation réelle, les investissements mis en place laissent entrevoir une stratégie à long terme.

Pour l’instant nous en sommes à une phase d’analyse de données par nos géologues, explique-t-on chez Total. Si les résultats de la phase de prospection de cinq ans sont positifs, il faut en général quatre ans de plus pour mettre en place l’extraction d’hydrocarbures. Cependant, pour les gaz de schiste, le forage des puits peut être très rapide et extensif.

Le PDG de Total lui-même Christophe de Margerie n’a pas caché que lorsqu’il prenait pied sur les gisements texans cela “permettra à Total de développer son expertise dans les hydrocarbures non conventionnels pour poursuivre d’autres opportunités au niveau mondial.”

Si des géants comme Exxon Mobil n’hésitent pas à acheter pour 41 milliards de dollars un exploitant régional de la Marcellus Shale, le marché reste aujourd’hui dans une phase spéculative.

La situation dans les gaz de schiste aujourd’hui est assez comparable à celle de la bulle internet : actuellement, le gaz naturel se vend autour de 4$ le Gjoule mais coûte à peu près 6$ le Gjoule à produire, explique Normand Mousseau, titulaire de la chaire de recherche du Canada en physique numérique de matériaux complexes et auteur du livre “La révolution des gaz de schistes”.

Des petites compagnies texanes ou albertaines se positionnent pour se faire racheter par des acteurs majeurs du secteur : le pétrole est de plus en plus difficile à trouver et le gaz pèse de plus en plus lourd dans les comptes d’exploitation.Bien plus que les bilans financiers d’une poignée de magnats du pétrole, c’est peut-être l’indépendance énergétique de nombreux pays qui se joue ici. Ces gisements non conventionnels remettent en cause la suprématie gazière de la Russie et des pays du Golfe et pourraient redessiner la carte du monde des hydrocarbures. Quitte à faire courir des risques environnementaux aux habitants, dépassant de loin les bénéfices énergétiques de l’exploitation des gaz de schiste.

Carte réalisée par Marion Boucharlat pour Owni

Photos FlickR CC Travis S. ; Rich Anderson ; Jeromy.

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Un apéro avec Jean-Louis Borloo? http://owni.fr/2009/12/02/sommet-de-copenhague-un-apero-avec-jean-louis-borloo/ http://owni.fr/2009/12/02/sommet-de-copenhague-un-apero-avec-jean-louis-borloo/#comments Wed, 02 Dec 2009 09:52:19 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=5890 Lnouvelle-image-1e 7 décembre débutera la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP15), qui rassemblera 192 pays à Copenhague. Conséquences du réchauffement, énergies renouvelables, gaz à effets de serre, nouveaux modes de production et de déplacement, économies d’énergie, nouvelles habitudes, développement “vert” et surtout… ambitions et décisions, tous ces sujets sont très attendus.

Qu’on se rassure, la planète va très bien, merci pour elle, elle est là depuis un moment et y sera bien après l’extinction de l’espèce. La vie était là bien avant homo sapiens aussi, elle lui survivra sous une forme ou une autre. En revanche, c’est l’homme qui est directement concerné par le climat : la montée des eaux et les dérèglements climatiques risquent de modifier nos modes de vies, l’accès aux ressources et les flux de population à une vitesse jamais connue jusqu’ici.

Jean-Louis Borloo, Ministre de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, a annoncé récemment un plan ambitieux baptisé “Justice-climat“, particulièrement engageant pour les pays industrialisés : il s’agit de réduire leurs émissions de gaz à effets de serre dans une fourchette comprise entre 25% et 40% d’ici 2020, et de les diviser par quatre à l’horizon 2050. D’autres mesures figurent dans ce « paquet », comme la création d’une Organisation Mondiale de l’Environnement et la taxation des transactions financières à 0,01% pour financer le plan (recettes estimées : environ 30 milliards de dollars par an).

Pourquoi “justice” ? Parce que selon le Ministre d’État, les pays pauvres et côtiers ou insulaires seront sans doute les premiers touchés par le réchauffement climatique, et ils paieront ainsi pour tous les autres. Ce plan est made in Hexagone mais aurait le soutien de nombreux pays d’Afrique.

Pour savoir si cette brique aura du succès au pays des Legos, quelques jours après sa réélection à la tête du seul parti centenaire de France, Jean-Louis Borloo a souhaité rassembler quelques personnes pour discuter de son plan et prendre le pouls. Sabotage des négociations internationales, idéalisme, ou bien urgence et pragmatisme, j’aurai l’occasion d’en discuter de vive voix ce soir.

Visiteurs de la soucoupe, votre participation est la bienvenue en commentaire de ce billet ! Je tâcherai de relayer ces questions ou remarques ce soir.

Pour ceux qui gazouillent, sur Twitter en reply ou direct message aussi. Le hashtag de ce soir sera #COP15FR.

Et bien sûr, un compte-rendu à suivre prochainement.

(Nota : trolls, merci bien de retourner à vos si belles forêts et montagnes.)

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