OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Déchiffrer l’insécurité http://owni.fr/2012/02/10/115-milliards-de-peurs/ http://owni.fr/2012/02/10/115-milliards-de-peurs/#comments Thu, 09 Feb 2012 23:02:59 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=97918

De l’UMP au Front national, le chiffre circule depuis près de deux ans dans les discours. Et il a la dent dure. Le crime et la délinquance coûteraient chaque année 115 milliards d’euros. Soit 5,3% du PIB, la somme des valeurs produites par la France en un an. Au point que Marine Le Pen intègre ce coût dans le chiffrage de son programme présidentiel :

Le rapport Bichot avait chiffré en 2009 le coût de l’insécurité à 115 milliards d’euros par an.

C’est donc d’un obscur “rapport Bichot” que Marine Le Pen tire le principal argument chiffré pour sa politique sécuritaire. Du nom de Jacques Bichot, que Le Figaro présente comme un professeur émérite de l’université Lyon III, et dont ledit rapport a été publié par l’Institut pour la justice (IPJ), un think tank sécuritaire dont l’UMP ne renie pas les idées.

Préjudice diffus

Publié en avril 2010, le rapport de Jacques Bichot intitulé Le coût du crime et de la délinquance” [PDF] prend en fait un peu plus de précautions que Marine Le Pen – mais dans les formes seulement. Dès l’introduction, l’auteur précise qu’il s’est livré à “une évaluation prudente” du coût de la délinquance, mesuré entre juillet 2008 et juin 2009. Sans concéder cependant que ses calculs agrègent les données les plus fantaisistes, avec des données se rapportant à des crimes et à des délits bien réels.

Ainsi, l’auteur entreprend (p.24) de quantifier financièrement le sentiment d’insécurité créé par les crimes et les délits chez les 50 millions d’adultes Français.

Il faut enfin évaluer les externalités – notamment le sentiment d’insécurité engendré par les homicides. Celui-ci peut varier selon les périodes, et selon la médiatisation des faits. S’il se produit des attentats terroristes meurtriers, la crainte peut augmenter sensiblement. Dans la situation actuelle, l’estimation sera modeste : on peut faire l’hypothèse qu’en moyenne chacun des 50 millions d’adultes donnerait bien dix euros par an si cela permettait de réduire fortement le nombre des homicides. Soit 500 millions d’euros pour le préjudice diffus d’insécurité.

Et un tel sentiment d’insécurité engendre de menues dépenses. Dans les fameux 115 milliards d’euros sont ainsi compris les frais privés de sécurité. Qui atteignent tout de même les 2 milliards d’euros. Une estimation qui comprend par exemple l’achat d’un chien (ou d’un système d’alarme) car “beaucoup de ménages comptent en partie sur leur chien pour les protéger contre les visites importunes”. Ami des bêtes, Jacques Bichot explore toutes les pistes et cherche à se montrer pondéré. Exemple dans les dépenses liées aux atteintes à l’environnement, plutôt gonflées, il soustrait une “infraction d’utilité publique” constituée par le braconnage des sangliers :

“S’agissant du sanglier, cet animal inflige de graves nuisances aux humains sur les jardins desquels il jette son dévolu : lorsque cette espèce prolifique se multiplie sans que l’administration relève les quotas de prises comme cela serait son devoir, ceux qui expédient, fut-ce illégalement, quelques sangliers dans nos assiettes, protègent en fait l’environnement”

La délinquance informatique n’échappe pas non plus à son expertise. D’après lui, les ménages dépenseraient ainsi 4,1 milliards d’euros par an pour se prémunir de “messages spams non infectés”. Qu’il intègre au coût de l’insécurité en France. La démonstration est sans appel :

“Le spam non infecté (…) se traduit par un grand gaspillage de temps – et la perte de messages utiles confondus avec les indésirables. Une demi-heure perdue par semaine, 50 semaines par an, cela fait 25 heures par internaute, soit environ 250 euros de préjudice direct.”

En y ajoutant pêle-mêle une estimation de la production marchande et non-marchande qui aurait pu être réalisée par la victime d’un meurtre, si elle n’avait été trucidée, et l’addition atteint vite des sommets.

Cependant, l’ensemble du travail profite d’un vernis de crédibilité, déposé lorsque l’auteur évalue les conséquences financières de crimes bien réels. Jacques Bichot consacre ainsi de longs développements au coût des viols perpétrés chaque année en France (p.25). Il affirme :

Mettre un équivalent monétaire sur un viol est évidemment une gageure. Basons-nous sur le « tarif » appliqué aux blessés hospitalisés des accidents de la route : les séquelles ne sont certainement pas moindres dans le cas d’un viol, blessure dont la cicatrisation est particulièrement difficile, sinon impossible, et qui s’accompagne dans certains cas de la peur de représailles exercées par le criminel dénoncé à la Justice. Sur cette base on obtient :
134 000 euros x 15 000 = 2 010 millions d’euros

Deux milliards d’euros par an pour ”une estimation prudente de 15 000 viols”, puisque Jacques Bichot additionne les viols sur mineurs, les viols sur majeurs. Mais surtout les viols pour lesquels les victimes n’ont pas porté plainte – et qui ne sont donc pas estimables puisqu’ils ne figurent dans aucune base de données ministérielle (bien que leur réalité ne soit pas contestable, il semble difficile de les inclure dans un tel exercice statistique). S’agissant des conséquences, il propose de chiffrer le coût du “sentiment d’insécurité sexuelle” :

“Le sentiment d’insécurité est évidemment très différent selon que l’on est homme ou femme, jeune ou vieux – encore que les viols de personnes âgées ne soient pas tellement rares ; selon que l’on habite à tel ou tel endroit et que l’on effectue tel ou tel trajet pour se rendre à l’école ou au travail ; selon que l’on a tel ou tel entourage à l’école, au travail, à la maison de repos ou de retraite. (…) Les Français donneraient probablement plus pour éradiquer la menace sexuelle que la menace vitale – disons deux fois plus, ce qui fait monter à 1 milliard d’euros le coût de l’insécurité sexuelle.”

Lobbying de la peur

Le rapport Bichot a donc été diffusé par l’IPJ, une “association fondée par des citoyens soucieux de lutter contre les dysfonctionnements de la justice pénale”, comme l’indique sa page de présentation. Comme le remarquait le site Slate.fr en novembre dernier, l’IPJ a usé d’un lobbying intensif en matière de “durcissement des peines de prison et de lutte contre la récidive”, au point d’être reçu par le ministre de la Justice suite à “l’affaire Laetitia”, à Pornic, en mai 2011.

Plus largement, l’IPJ a acquis une “légitimité auprès des élus de droite”. Parmi lesquels Nicolas Dupont-Aignant, candidat à l’élection présidentielle du parti Debout la république, Eric Ciotti, conseiller sécurité de Nicolas Sarkozy, ou encore des membres du Front national.

Jacques Bichot, lui, dans un livre intitulé Les enjeux 2012 de A à Z, Abécédaire de l’anti-crise (éd. AFSP/L’Harmattan), à paraître le 11 février prochain, publie une défense en bonne et due forme du parti d’extrême droite :

“Cette formation politique [le Front national, NDLR], dont le Président a recueilli entre 10 % et 17 % des voix aux quatre dernières élections présidentielles, fait l’objet d’un fort ostracisme de la part de ceux qui se disent « républicains ». (…) Si d’aventure, sur un sujet particulier, quelqu’un a des positions assez voisines de celles du Front national, il doit au minimum, pour rester « politiquement correct », expliquer que cela ne signifie en aucune manière qu’il soit sympathisant de cette organisation, et en dénoncer le caractère fascisant.”

Ancien Président de Familles de France, Jacques Bichot est également une “personnalité amie” de l’Association pour la fondation de service politique, qui vise à défendre la “parole des chrétiens dans les grands débats de société”. Il y côtoie notamment des députés du Mouvement pour la France, le parti souverainiste dirigé par Philippe de Villiers. Loin de cacher ses amitiés pour les thèses monarchistes, Jacques Bichot accorda d’ailleurs une interview au journal de l’Action française le 13 juillet 1993.

Lors d’un discours sur l’insécurité aux dernières Journées d’été du Front national, Marine Le Pen louait la “récente étude de Jacques Bichot, économiste et professeur émérite à Lyon III”. L’aura des 115 milliards d’euros n’aura pas fait mouche qu’au parti frontiste cependant. Son coût de la délinquance a servi d’amorce à la mission parlementaire sur la prévention de la délinquance publiée en décembre 2010. Et rédigée par Jacques-Alain Bénisti, député UMP du Val-de-Marne, à la demande du Premier ministre François Fillon.


Illustration et couverture par Loguy pour OWNI

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Alain Bauer ou le paradoxe sécuritaire http://owni.fr/2011/10/31/alain-bauer-ou-le-paradoxe-securitaire/ http://owni.fr/2011/10/31/alain-bauer-ou-le-paradoxe-securitaire/#comments Mon, 31 Oct 2011 11:11:05 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=84902 Alain Bauer, figure incontournable des politiques sécuritaires de ces 15 dernières années, critique aujourd’hui, à mots couverts, l’instrumentalisation politicienne qui en est faite. Comme en témoigne le Livre blanc sur la sécurité publique qu’il a remis à Claude Guéant la semaine passée. A défaut de savoir si ses avis sont entendus, force est de constater son impuissance, les ministères de l’Intérieur successifs n’ayant de cesse de faire le contraire de ce qu’il dit, ou de refuser de l’écouter.

Nommé président de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), en 2003, lorsque Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur, puis président de la Commission sur le contrôle des fichiers de police, puis de la Commission nationale de la vidéosurveillance, Alain Bauer est considéré comme le Mr sécurité de Nicolas Sarkozy. Après avoir contribué au virage sécuritaire du parti socialiste, au sein duquel il a longtemps oeuvré.

Homme de réseau issu du parti socialiste, “antistalinien primaire” et ancien Grand Maître du Grand Orient de France, Alain Bauer a commencé à travailler sur la police alors que Michel Rocard était premier ministre. Il a ensuite été recruté par la Science Application International Corporation (Saic), “machine de guerre privée et secrète du Pentagone et de la CIA” spécialisée, notamment, dans les technologies de sécurité. En 1994, il créé son propre cabinet privé de conseil en sécurité, AB Associates.

A qui profite le chiffre ?

Interrogé par OWNI sur la politique du chiffre, décriée depuis des années, Alain Bauer est des plus clairs : “la politique du chiffre n’a aucun intérêt : ce qui compte c’est la performance et le résultat. L’objectif n’est pas de faire des croix, et je ne considère pas que les fumeurs de shit valent un assassin“.

N’importe qui peut faire dire n’importe quoi aux chiffres“, avait ainsi expliqué à TF1 Alain Bauer qui, en tant que président de l’ONDRP, dont le coeur de métier est précisément le recueil et l’analyse statistiques des données policières, sait de quoi il parle :

Politiciens et journalistes sont complices d’un processus de simplification qui conduit à de la désinformation. Ils adorent n’avoir qu’un chiffre à communiquer, qui monte ou qui baisse. Le problème est qu’un vol de chewing-gum, qui vaut “1″ en statistique, n’est pas égal à un homicide qui, pourtant, vaut également “1″.

Alain Bauer expliquait ainsi qu’”en matière de délinquance, il existe trois catégories d’infractions, et trois seulement : les atteintes aux biens (vol de voiture, de téléphone etc…), les atteintes aux personnes ( vol avec agression, coups, viol, homicide…) et les escroqueries économiques et financières (chèque volé, vol de carte de crédit…) (qui) ne peuvent pas se cumuler” :

Donc, le principe de délinquance générale, même s’il est systématiquement utilisé, n’a jamais rien voulu dire. La gauche a eu le malheur de connaître une forte progression et même le plus haut taux historique jamais enregistré en matière de criminalité, en 2001, avec 4,1 millions de crimes et délits. Ensuite ce chiffre est redescendu, mais ce chiffre global n’a aucune signification réelle. En revanche, on peut dire que pour les atteintes aux personnes, gauche ou droite, le résultat est marqué par une forte progression des violences.

En janvier dernier, Brice Hortefeux n’en était pas moins venu présenter sur TF1 le bilan chiffré de la lutte contre l’insécurité, graphique statistique à l’appui, montrant une hausse de 17,8% de la “délinquance globale” de 1996 à 2002, suivi d’une baisse de 16,2% depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au poste de ministère de l’Intérieur :

Or, et comme OWNI l’avait alors démontré, dans le même temps, les violences physiques avaient, elles, explosé de 90% depuis 1996 (voir Plus la délinquance baisse, plus la violence augmente)…

Vidéosurveillance : mais où sont passées les caméras ?

En 2001, “sur la base d’un échantillon“, explique-t-il aujourd’hui, Alain Bauer avait estimé que les 3/4 des caméras de vidéosurveillance n’avaient pas été déclarées, et qu’elles étaient donc hors la loi :

On estime à 150 000 le nombre de systèmes installés dans des lieux ouverts au public, mais seuls 40 000 ont été déclarés. Tous les autres sont donc illégaux. Quant aux systèmes nouveaux, 10 % – sur environ 30 000 – ont fait l’objet d’une déclaration.

Président de la Commission nationale de la vidéosurveillance depuis 2007, Alain Bauer se dit incapable de chiffrer le nombre de caméras en France, “même au doigt mouillé, parce qu’on n’est pas obligé de toutes les déclarer“.

Celles qui ont été déclarées, par contre, ont explosé : depuis 1995, 674 000 caméras ont été validées par les commissions préfectorales chargées de vérifier leur licéité, soit une augmentation de près de 200% par rapport au chiffre avancé par Michèle Alliot-Marie en 2007, lorsqu’elle s’était fixée comme objectif de tripler le nombre de caméras sur la voie publique d’ici 2009 :

On évalue à 340 000 les caméras autorisées dans le cadre de la loi de 1995, dont seulement 20 000 sur la voie publique (et) j’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de l’exprimer, je veux tripler en deux ans le nombre de caméras sur la voie publique, afin de passer de 20 000 à 60 000.

L’objectif, martelé depuis par Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux et Claude Guéant, a été sévèrement relativisé lorsque la Cour des comptes, en juillet dernier, a révélé que les chiffres que lui ont confié les responsables de la police et de la gendarmerie faisaient état de seulement 10 000 caméras, pour un budget de 600 millions d’euros par an. Contacté par OWNI, le ministère de l’Intérieur, lui, martèle le chiffre de 35 000, tout en refusant de nous en donner la comptabilité, chiffrée, se bornant à renvoyer aux propos tenus par Claude Guéant dans la presse.

Alain Bauer, lui, attend 2012 avec impatience : “les autorisations accordées aux caméras avant 2007 seront toutes soumises à renouvèlement, on aura donc une idée précise du stock“. L’estimation du nombre de caméras est d’autant plus importante qu’elle permettra aussi, et au-delà du seul chiffre, de mesurer leur efficacité.

Or, Alain Bauer ne cache plus ses réserves à ce sujet, au point de critiquer ouvertement ceux qui pensent que, comme par magie, l’installation de caméras permettrait de résoudre tous les problèmes, comme il l’avait déclaré l’an passé sur France Inter :

Bruno Duvic : Alain Bauer, est-ce qu’on a précisément mesuré quand les caméras de vidéosurveillance étaient efficaces et quand elles l’étaient moins ?

Alain Bauer : Oui oui, on a de très nombreuses études sur la vidéoprotection, essentiellement anglo-saxonnes, qui montrent que dans les espaces fermés et clairement identifiés c’est très efficace, mais que plus c’est ouvert et moins on sait à quoi servent les caméras, moins c’est efficace, pour une raison simple, c’est qu’elles descendent rarement des poteaux avec leurs petits bras musclés pour arrêter les voleurs : la caméra c’est un outil, pas une solution en tant que tel…

Alain Bauer explique aujourd’hui à OWNI qu’il plaide ainsi depuis des années pour qu’une étude indépendante mesure scientifiquement l’efficacité de la vidéosurveillance, et qu’elle soit menée par des chercheurs et universitaires, y compris critiques envers cette technologie, à l’instar de Tanguy Le Goff ou d’Eric Heilmann. En 2009, ces derniers, en réponse au ministère de l’Intérieur qui venait de publier un rapport censé prouver l’efficacité de la vidéosurveillance en matière de prévention de la délinquance, avaient rétorqué, a contrario, que “rien ne permet de conclure à l’efficacité de la vidéosurveillance pour lutter contre la délinquance” (voir Vidéosurveillance : un rapport qui ne prouve rien). Etrangement, le projet d’étude scientifique et indépendante d’Alain Bauer aurait rencontré “peu d’enthousiasme” au ministère…

Les erreurs dans les fichiers de police ? Un “problème d’informaticiens”

C’est peu dire que les problèmes posés par les fichiers policiers soulèvent eux aussi “peu d’enthousiasme” place Beauvau. Président de la commission sur le contrôle des fichiers de police, Alain Bauer connaît là aussi bien le sujet. En 2006, il avait ainsi dénombré 34 fichiers policiers en 2006, et 45 en 2008. En 2009, les députés Delphine Batho (PS) et Jacques-Alain Bénisti (UMP), mandatés par l’Assemblée suite au scandale du fichier Edvige, en avaient de leur côté dénombré 58, dont un quart ne disposant d’aucune base légale. En mai 2011, OWNI en répertoriait pour sa part 70, dont 44 créés depuis que Nicolas Sarkozy est arrivé place Beauvau, en 2002.

Interrogé par OWNI cette explosion du nombre de fichiers, qu’il est censé contrôler, Alain Bauer explique que “la mission du Groupe de contrôle des fichiers était précisément de révéler notamment ceux qui existaient sans déclaration, puis de faire en sorte que les projets soient tous déclarés” :

Une partie de cette “inflation” est d’abord une révélation. Pour ma part, je suis favorable a une législation par type de fichiers comme je l’ai indiqué à la commission des lois de l’Assemblée nationale.

Cette mesure, consistant à débattre, au Parlement, de la création de tout nouveau fichier policier, figurait également en bonne place des 57 propositions formulées par Batho et Bénisti, dont la proposition de loi, bien que faisant l’objet d’un rare consensus parlementaire, et adoptée à l’unanimité par la commission des lois de l’Assemblée, a copieusement été enterrée sur ordre du gouvernement.

L’autre grand sujet d’inquiétude concernant ces fichiers est le nombre d’erreurs qui y figurent : en 2008, la CNIL avait ainsi constaté un taux d’erreur de 83% dans les fichiers STIC qu’elle avait été amenée à contrôler, tout en estimant que plus d’un million de personnes, blanchies par la Justice, étaient toujours fichées comme “défavorablement connues des services de police” dans ce fichier répertoriant plus de 5 millions de “suspects“, et plus de 28 millions de victimes.

La Justice n’envoie que 10% des mises à jour, mais ça changera avec le logiciel en 2012“, rétorque Alain Bauer, qui renvoie à la fusion programmée du STIC et de JUDEX (son équivalent, au sein de la gendarmerie), prévue pour 2012, au sein d’un Traitement des procédures judiciaires (TPJ) censé, notamment, moderniser le logiciel de rédaction de procédure développé voici une quinzaine d’année, et doté d’une interface type MS-DOS quelque peu dépassée.

L’objectif sera (aussi) d’avoir une équipe pour gérer le stock“, et donc les milliers, voire millions d’erreurs encore présentes dans les fichiers policiers, reconnaît Alain Bauer, un tantinet fataliste : “nous on recommande, mais c’est le ministère qui décide” . Et puis, “c’est un problème d’informaticiens“…

Photo d’Alain Bauer CC Thesupermat.

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Une politique du chiffre sans texte http://owni.fr/2011/10/05/fillon-a-abroge-la-culture-du-chiffre-de-sarkozy-oupas/ http://owni.fr/2011/10/05/fillon-a-abroge-la-culture-du-chiffre-de-sarkozy-oupas/#comments Wed, 05 Oct 2011 17:45:32 +0000 Romain Renier http://owni.fr/?p=82363

L’instruction, signée par Nicolas Sarkozy en 2006, et révélée ce mercredi par OWNI, instaurant une “culture de la performance” dans la police nationale, et donc à l’origine de la politique du chiffre, a été abrogée, en mai 2009, par… François Fillon.

En décembre 2008, le Premier ministre de Nicolas Sarkozy signait un effet un décret, dont l’entrée en vigueur était fixée au 1er mai 2009, et qui disposait que toute circulaire ou instruction signée avant cette date et non publiée sur le site internet circulaires.gouv.fr serait automatiquement abrogée :

Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné n’est pas applicable. (…) Les circulaires et instructions déjà signées sont réputées abrogées si elles ne sont pas reprises sur le site.

Or, l’“instruction relative à l’exercice de l’autorité hiérarchique”, qui instaure la “culture de la performance” au sein de la police nationale, n’avait jamais été rendue publique jusqu’à ce matin. Elle a donc automatiquement été abrogée.

Des policiers coincés entre le marteau et l’enclume

Serge Slama, maître de conférences en droit public à l’Université Evry-Val d’Essone, avait annoncé sur son blog Combats pour les droits de l’Homme la mort de nombreuses circulaires. Une information confirmée, le 23 février dernier, par le Conseil d’Etat.

Est-ce à dire qu’un policier peut aller à l’encontre d’un ordre découlant de l’instruction de Nicolas Sarkozy ? Loin de là, tempère Serge Slama : “l’abrogation de cette circulaire ne change pas grand-chose à l’application qui en est faite“.

Le policier peut toujours contester la valeur juridique de la circulaire, mais pas l’ordre de son supérieur, quand bien même il découlerait de l’“instruction relative à l’exercice de l’autorité hiérarchique” qui a donc été abrogée, explique l’universitaire : “le policier est pris entre une circulaire devenue inapplicable et l’obligation de respecter l’ordre de son chef de service en vertu du principe hiérarchique“.

Le principe hiérarchique, gravé dans le marbre par l’article 28 de la loi portant droits et obligations des fonctionnaires du 13 juillet 1983, dite Loi Le Pors, impose en effet aux fonctionnaires d’appliquer à la lettre tout ordre émanant de son supérieur :

Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.

Le fonctionnaire de police a certes le droit de désobéir, mais uniquement si l’ordre qui lui est donné enfreint la loi et porte atteinte à l’intérêt général, et non à celui d’un simple individu. “Un cas de figure très rare“, selon Serge Slama.

Le policier réfractaire qui ne satisfait pas à ces conditions s’expose donc à une sanction pour faute disciplinaire. De même, le brigadier-chef qui doit passer ces jours-ci en conseil de discipline pour avoir insulté une collègue qui l’obligeait à oeuvrer en marge de la légalité afin de respecter la politique du chiffre, ne pourrait s’en prévaloir. Le constat est clair, le texte n’est plus, mais l’esprit, lui perdure.


Illustrations : Marion Boucharlat pour OWNI /-)

Retrouvez le dossier complet :

La note à l’origine de la politique du chiffre
La politique du chiffre se calcule
Plus la délinquance baisse, plus la violence augmente

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La note à l’origine de la politique du chiffre http://owni.fr/2011/10/05/note-sarkozy-police-politique-chiffre/ http://owni.fr/2011/10/05/note-sarkozy-police-politique-chiffre/#comments Wed, 05 Oct 2011 08:19:15 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=82148 Critiquée depuis des années, la politique du chiffre mise en place par Nicolas Sarkozy lorsqu’il était au ministère de l’Intérieur sera au coeur de la campagne présidentielle. Elle prend en réalité son origine dans un texte cadre, rédigé en 2006, signé de sa main, et qui conditionne aujourd’hui encore tout l’appareil sécuritaire français. La semaine passée, OWNI publiait ainsi des documents internes révélant, au coupable près, les objectifs chiffrés récemment assignés aux policiers de Coulommiers.

En août, Jean-Jacques Urvoas, chargé de la sécurité au parti socialiste, publiait une circulaire de la directrice des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice qui indiquait à ses services qu’ils n’étaient pas obligés de faire du zèle pour inciter les victimes de la délinquance à déposer plainte. Pour mieux atteindre les objectifs chiffrés.

Naissance d’une culture de la performance

Cette politique du chiffre a donc été formalisée le 28 juillet 2006, dans une “instruction relative à l’exercice de l’autorité hiérarchique” signée par Nicolas Sarkozy. Un document longtemps ignoré, dont Le Monde évoquait hier l’existence pour la première fois et qu’OWNI publie en intégralité – voir le document au bas de cet article.

Sous couvert d’”actualiser les règles fondamentales de l’organisation des relations hiérarchiques dans la police nationale“, elle visait à prendre en compte deux “données nouvelles” apparues depuis la précédente circulaire, datant de 1997 :

  • la réforme des corps et carrières, que le syndicat Alliance Police Nationale se vantait d’avoir initiée, et qui visait notamment à renforcer les “capacités managériales” et “moderniser la gestion des ressources humaines
  • L’instauration d’une culture de la performance (c’est le ministère qui passe certains mots en gras, NDLR) avec la mise en place d’un management par objectifs et l’évaluation des résultats“.

Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, rappelle tout d’abord que “l’exercice de l’autorité hiérarchique est un acte de responsabilité individuelle (qui) comporte naturellement une contrepartie : le chef doit toujours assumer l’entière responsabilité des ordres donnés” :

Le supérieur hiérarchique doit, en toutes circonstances, avoir un comportement exemplaire afin d’obtenir l’adhésion sans réserve de ses subordonnés. Cette exemplarité renforce sa crédibilité et la reconnaissance de son autorité.

Chaque policier, à chaque niveau hiérarchique, est également investi d’un devoir de vigilance citoyenne sans faille dans le domaine déontologique.

Or, et comme l’atteste l’enregistrement clandestin effectué par un brigadier-chef convoqué par son commandant pour avoir dénoncé la politique du chiffre, de nombreux policiers, poussés en cela par leur hiérarchie, sont contraints à “faire n’importe quoi, raconter des conneries au magistrat” et flirter avec la loi, voire même s’en affranchir, afin de respecter les objectifs chiffrés de résultat :

Le commandant : Mais je suis désolé ! Avec ce système pervers des IRAS, on ne peut pas faire autrement ! On ne peut pas ! Si, de temps en temps, vous ne mettez pas un pied à côté (de la loi, NLDR), vous ne faites aucune affaire, ou quasiment aucune.

Le brigadier-chef : Moi, si je peux sortir un papier, voilà, ordre du commandant M., ou du capitaine M., ou de madame B. ou de Brice Hortefeux (à l’époque ministre de l’intérieur – NDLR) ou de qui vous voulez, moi y a aucun problème : moi, on m’a dit, moi, je fais.

Le commandant : Vous savez bien que moi, je ne ferai jamais un ordre écrit comme ça, vous savez bien que la directrice départementale ne fera jamais un ordre écrit comme ça et que le ministre jamais ! Le ministre, quand il y a quelque chose qui ne va pas : “Ah, attention, je suis le garant du bon fonctionnement des institutions, donc ce fonctionnaire a péché, il doit payer”. Et voilà, comment ça se passe.

La performance, “au coeur de la stratégie de la police”

Ces propos résonnent singulièrement avec l’instruction signée Nicolas Sarkozy, qui définit l’”exercice de l’autorité hiérarchique” comme “un acte de management au service de la performance” :

La recherche de la performance est désormais au coeur de la stratégie de la police nationale.

Pour l’autorité hiérarchique responsable d’un service, le pilotage de la performance repose désormais sur une conception stratégique de ses missions (c’est toujours le ministère qui souligne, NDLR).

Dès lors, l’exercice de l’autorité “s’appuie sur une politique déterminée et cohérente de recherche de la performance (…) sous-tendue par une logique de contrôle interne de qualité des processus reposant sur une évaluation et un suivi permanent de l’activité au moyen des outils propres à chaque direction“, allant du Système de traitement des infractions constatées (STIC, qui fiche 5 millions de suspects et 28 millions de victimes, et dont la CNIL n’a de cesse de dénoncer le taux – 83% – d’erreurs) au système GEOPOL de gestion des horaires de la police en passant par la Main courante informatisée (MCI) ou encore l’Application de gestion optimisée des résultats et de l’activité des services (AGORA), “dont la finalité est la constitution d’un registre de courrier judiciaire et la production de statistiques“, “etc…

La “recherche de la performance” passe également par le contrôle de gestion, “indispensable pour évaluer en permanence l’adéquation entre les objectifs fixés et les moyens mis en oeuvre, les confronter aux résultats obtenus, et procéder aux ajustements indispensables“, ainsi que par l’”évaluation individuelle“, qui conditionne “l’avancement, les primes et les témoignages de satisfaction” accordés aux agents “dont le mérite est reconnu“.

“Placer le facteur humain au centre de la réflexion”

Clairement inspirée des techniques de management et de gestion des ressources humaines, l’instruction relative à l’exercice de l’autorité hiérarchique avance également qu’il convient de procéder à une “gestion participative” reposant sur trois piliers : “mobilisation, adhésion, responsabilisation“, de “fixer des objectifs clairs et réalistes à l’issue d’un dialogue au sein du service“, afin de “donner aux agents un sens à leur action en les mobilisant autour d’un projet” :

En plaçant le facteur humain au centre de la réflexion, le management moderne facilite l’épanouissement de chacun dans son travail et permet ainsi d’obtenir une plus grande efficacité individuelle et collective.

A toutes fins utiles, Nicolas Sarkozy rappelle également que “la recherche de la performance doit se réaliser dans le cadre fixé par les règles de droit et du code de déontologie qui régissent le fonctionnement de la police nationale“, et qu’elle se doit de repecter “rigueur et loyauté dans les actes de procédure” :

Dans cette démarche de qualité du service public, le recueil des attentes de la population, l’accueil, l’écoute et la protection des victimes et des témoins sont une priorité de chaque échelon hiérarchique, et de chacun des agents qui doivent utiliser tous les instruments mobilisables pour la plus grande efficacité.

Or, c’est précisément parce que la politique du chiffre l’amenait à mentir sur des actes de procédure, à refuser d’enregistrer des plaintes, à l’empêcher d’aller au contact de victimes avérées, pour aller traquer des suspects potentiels en multipliant les IRAS, que le brigadier-chef va passer en conseil de discipline…

En conclusion, l’instruction relative à l’exercice de l’autorité hiérarchique, qui permit l’”instauration d’une culture de la performance” au sein de la police nationale, avance qu’”une police moderne ne peut remplir ses missions et répondre aux attentes de la population sans un engagement total de sa hiérarchie et une culture de l’exigence” :

La première richesse de la police nationale est dans les femmes et les hommes qui la composent. Le premier devoir de tous ses responsables est de savoir en tirer le meilleur.

En poussant certains de leurs subordonnés à flirter avec l’illégalité, voire à s’affranchir de la loi, pour respecter les quotas et objectifs chiffrés qui leur sont assignés, le ministre de l’Intérieur, les hauts fonctionnaires et gradés sont précisément en train de détruire cette “richesse“.


Illustration CC Flickr tonton copt (cc by nc sa), pelegrino (cc by nc sa), clairity (cc by)

Illustration de Une Marion Boucharlat

Retrouvez le dossier complet :

La politique du chiffre se calcule
Plus la délinquance baisse, plus la violence augmente
Fillon a abrogé la culture du chiffre de Sarkozy #oupas

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http://owni.fr/2011/10/05/note-sarkozy-police-politique-chiffre/feed/ 9
Chiffres en folie: le coût des cyberattaques http://owni.fr/2011/07/11/chiffres-en-folie-le-cout-des-cyberattaques/ http://owni.fr/2011/07/11/chiffres-en-folie-le-cout-des-cyberattaques/#comments Mon, 11 Jul 2011 06:11:28 +0000 Alexandre Delaigue (Econoclaste) http://owni.fr/?p=73270 On a récemment attiré mon attention sur cet article du Figaro, dont l’auteur essaie d’évaluer le coût des cyberattaques. Le désarroi de l’auteur de l’article est visible : ayant cherché diverses sources d’information, il a bien du mal à relever la moindre cohérence. Un chiffre, surtout, sort du lot : selon une étude commandée par McAfee, en 2008, les cyberattaques auraient coûté environ 1.000 milliards de dollars à l’économie mondiale, soit 1.64% du PIB mondial (admirez la précision des deux chiffres après la virgule).

Un chiffre comme celui-ci, aussi rond qu’énorme (aujourd’hui, c’est à partir de plusieurs centaines de milliards de dollars qu’un problème devient important : ça n’arrange pas les affaires du Dr Evil) suscite les soupçons. Il est totalement incohérent avec les autres évaluations données dans l’article : si les cyberattaques coûtent 560 millions de dollars en 2009 aux USA, comment atteindre les 1000 milliards de dollars dans le monde en 2008?

J’avais montré, il y a quelques temps, que le coût mondial de la contrefaçon était estimé d’une manière absurde, avec un chiffre totalement faux qui subsistait obstinément dans toutes les évaluations, avec untel qui cite le chiffre en faisant référence à machin, lequel le tient de bidule, qui le tient lui-même d’untel. Ce chiffre de 1.000 milliards de dollars pour le coût des cyberattaques est en train de suivre le même processus. L’article indique ainsi que le chiffre a été cité lors d’un forum des Nations Unies sur la cybersécurité [pdf], qui fait référence à des données d’Europol, qui elle-même fait référence… à l’étude de McAfee. C’est comme cela qu’un chiffre finit par “faire autorité”, pour reprendre les mots de l’auteur. Mais comment ce chiffre a-t-il été déterminé ?

Montant totalement inventé

Je suis donc allé voir cette fameuse étude commanditée par McAfee en 2008, sur le coût du cybercrime. Vous pouvez aller consulter le rapport ici [en, pdf]. Et surprise : le chiffre de 1.000 milliards de dollars n’y figure nulle part. Ce chiffre a été en fait cité pour la première fois par le président de McAfee, au forum de Davos [en]. Il déclare que le rapport “montre que le coût du cybercrime est de 1.000 milliards de dollars par an, ou plus”. Alors que jamais le rapport n’évoque ce chiffre !

Le premier surpris par ce chiffre est d’ailleurs… un contributeur du rapport [en] qui se demande d’où il peut venir. Une façon d’expliquer comment ce chiffre peut être tiré du rapport est la suivante [en] : ce rapport a été établi à partir d’entretiens auprès de 1.000 cadres dirigeants d’entreprises (environ 500 entreprises interrogées), qui estiment en moyenne avoir perdu 4.6 millions de dollars de propriété intellectuelle en moyenne au cours de l’année 2008. On peut alors peut-être supposer que les 1.000 milliards sont établis en considérant que cet échantillon est représentatif (ce qui est parfaitement absurde) et en l’appliquant à l’économie mondiale. Mais impossible d’en être certain : jamais la moindre méthodologie n’est indiquée, nulle part. Ce chiffre est donc totalement inventé, et légitimé en citant un rapport qui n’y fait jamais allusion.

Et ça ne l’empêche pas d’être cité comme “faisant autorité”, repris par toutes sortes d’organismes. Certains même, voulant sans doute avoir l’air sérieux, affirment que “le vrai chiffre doit être plus élevé” parce que l’évaluation date de 2008… On attend impatiemment les calculs qui montreront triomphalement qu’étant donné que le cybercrime “coûtait 1.000 milliards de dollars en 2008″ et que la croissance économique a depuis été de tant, il faut réévaluer ce chiffre à 2.000 milliards… Ne riez pas, ça sera certainement fait.

On pourrait se demander pourquoi un chiffre aussi bidon se retrouve cité et repris partout, au point de “faire autorité”. Le facteur principal est bien connu : citer des nombres est en soi un argument d’autorité. La phrase “la criminalité a augmenté depuis l’année dernière” a beaucoup moins de poids que “la criminalité a augmenté de 4.5% depuis l’année dernière”. Je viens d’inventer ce chiffre : pourtant, convenez que la seconde phrase a l’air beaucoup plus crédible. Elle donne l’impression que je sais de quoi je parle, qu’une mesure a été effectuée, alors que mon chiffre n’a strictement aucune signification.

Le grand problème global

On pourrait certainement faire le même genre de décryptage avec la déclaration de L. Wauquiez, selon lequel un internaute sur 30 a perdu de l’argent à cause d’un pirate informatique en Europe au cours des 12 derniers mois. Comme toujours dans ces cas-là, le chiffre est repris et cité, sans la moindre façon de savoir d’où il est sorti (l’article cite encore d’autres chiffres sur le revenu issu des cyberattaques, bien évidemment, toujours aussi invérifiables). On constate aussi que la “guerre au cybercrime” consiste surtout à mélanger des choses qui n’ont rien à voir les unes avec les autres, pour faire de questions différentes un grand problème global exigeant des solutions (et des ressources) importantes.

Le but n’est pas de dire que les cyberattaques n’ont aucune importance, ni aucun coût, qu’il ne faut pas y prêter attention. Simplement de rappeler que les coûts, en la matière, sont très difficiles à évaluer. Et que ceux qui multiplient les chiffres sans signification le font soit comme argument commercial (comme le fait McAfee) soit pour légitimer leur action et mettre en œuvre le théâtre sécuritaire [en] (comme les politiques ou administrations qui multiplient la citation de ce genre de chiffres pour montrer que le gouvernement travaille).

Hystérie collective

Il s’agit simplement de rappeler que l’exagération des menaces, à l’aide de chiffres sans signification, finit par avoir des conséquences lourdes. Si je me fais voler 100 euros, le vrai coût social de ce vol n’est pas 100 euros qui ont simplement été transférés d’une personne à une autre : il vient parce que je vais changer de comportement, consacrer plus de ressources à ma protection au lieu de les consacrer à des usages plus utiles. Si un pirate informatique obtient mon numéro de carte bancaire, c’est énervant, mais pas dramatique (il suffit de changer la carte prématurément). Si un hacker révèle les caractéristiques du prochain iPad et sa date de sortie, conduisant de nombreux acheteurs potentiels à attendre ce nouveau modèle plutôt que d’acheter l’existant, cela représente évidemment un préjudice pour Apple, mais plutôt un avantage pour les consommateurs. Si des hackers avaient vraiment réussi à obtenir les documents de Bercy consacrés au G20, ils auraient surtout constaté et révélé la vacuité de la chose. Pour les États-Unis, le coût du 11 septembre n’est pas tant le coût direct (morts, destructions) que l’ensemble des mesures qui ont été prises en réaction (deux guerres, sécurité des aéroports, morts sur les routes de gens qui ont renoncé à prendre l’avion, etc).

Le coût principal de la criminalité tend à survenir lorsqu’on décide d’y accorder trop d’importance, en négligeant la résilience sociale, et en y consacrant des ressources qui auraient été bien plus utiles ailleurs. Multiplier les évaluations fantaisistes et alarmistes du coût des cyberattaques remplace la question raisonnable : “quelles ressources, qui pourraient être utilisées à autre chose, faut-il consacrer à ce problème ?” par une hystérie collective dans laquelle jamais rien ne sera suffisant pour calmer les inquiétudes, parce que la sécurité absolue ne saurait être atteinte. Cette hystérie en enrichit quelques-uns, au détriment de l’ensemble.

Article initialement publié sur Econoclaste

Crédits photo: Flickr CC kmichiels, Curtis Gregory Perry, bartb_pt

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Zoomer ou dézoomer? Les enjeux politiques des données ouvertes http://owni.fr/2011/02/21/zoomer-ou-dezoomer-les-enjeux-politiques-des-donnees-ouvertes/ http://owni.fr/2011/02/21/zoomer-ou-dezoomer-les-enjeux-politiques-des-donnees-ouvertes/#comments Mon, 21 Feb 2011 16:41:01 +0000 dominique cardon http://owni.fr/?p=47820 Dominique Cardon, sociologue au Laboratoire des usages d’Orange Labs, est l’auteur de “La démocratie Internet” (Seuil/République des idées).

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Le mouvement qui s’est constitué autour des “données ouvertes” et du “journalisme de données” ouvre un nouveau terrain au dialogue, déjà ancien, entre journalisme et sciences sociales. La promotion du journalisme de données ne cesse en effet de vouloir faire du journaliste un chercheur en sciences sociales, doublé d’un informaticien et d’un infographiste. Certes, la révolution de l’information numérique, ses potentialités interactives, la multiplication des grandes bases de données, la participation du public et les nouveaux outils de visualisation créent un contexte tout à fait nouveau. Mais les chercheurs en sciences sociales reconnaîtront facilement leur travail quotidien dans certaines des promesses du journalisme de données : se coller devant des kilomètres de stats, de verbatim et d’archives [dire "données"] pour les interpréter [dire "narrativiser"] en produisant des corrélations parlantes [dire "storytelling"].

On ne peut que se réjouir de cette proximité, même si, faut-il le rappeler, le journalisme ne se résume pas à ce travail de mise en perspective documentaire et qu’il doit sa noblesse au rapport privilégié qu’il entretient avec l’événement en train de se faire – rôle dans lequel les sciences sociales ont toujours montré une inaptitude quasi constitutive. Les audaces créatives de l’opendata et du datajournalism aideront peut-être également les chercheurs à bousculer leur conservatisme, par exemple en partageant leurs données d’enquête (à l’instar de la récente banque de données qualitatives), en expérimentant des dispositifs participatifs de recueils d’information (à l’instar de l’enquête sociogeek sur la pudeur et l’impudeur en ligne ou du dispositif participatif de simulation de réforme fiscale) ou en inventant de nouvelles solutions graphiques pour représenter des informations complexes (à l’instar des recherches de la communauté Infovis).

Mais je voudrais tirer parti de ce nouveau terrain d’échange pour adresser au journalisme de données une question issue de l’expérience ancienne des sciences sociales dans l’usage critique des statistiques. S’il est assez discourtois de reprocher au jeune et ambitieux programme de l’open data sa croyance un peu naïve dans la “donnée brute”, il est, en revanche, plus important de porter attention aux effets moraux et politique des opérations critiques qui peuvent être menées dans l’espace public à partir des informations statistiques. Les riches débats qui entourent les données publiques et l’impératif de transparence ont l’intérêt de nous aider à mettre en perspective de nombreuses questions sur la place de la critique dans des sociétés de moins en moins opaques.

Secrets des coulisses, secrets des chiffres

Depuis Robert Ezra Park et l’Ecole de Chicago, la connivence (et les disputes) entre les métiers de journaliste et de sociologue n’est plus à montrer et a déjà fait l’objet de mille et une discussions. Un des liens qui rapprochent le journalisme et les sciences sociales est le travail critique de dévoilement des réalités cachées. Les proximités entre enquêteurs des deux rives se sont construites à travers le partage de techniques d’investigation permettant d’accéder à des faits dissimulés, recouverts par des discours d’autorité, des illusions plus ou moins bien fondés et d’innombrables stratégies de dissimulation. Aussi n’est-il pas étonnant que ce soit du côté du journalisme d’enquête que les relations entre sciences sociales et journalisme aient été les plus fructueuses. Sociologues et journalistes d’investigation se sont d’ailleurs souvent retrouvés pour dénoncer ensemble (par exemple chez Acrimed) le “journalisme de connivence”, relayant sans distance les discours officiels et racontant sans mise en perspective les petits faits de l’actualité.

Dans cette pratique partagée de la révélation, il faut cependant distinguer deux techniques de dévoilement différentes : la publication des secrets logés dans les coulisses du pouvoir et celle des “vérités” cachées dans les chiffres des statistiques. Pour l’essentiel, les articulations entre journalisme et sciences sociales se sont faites autour des secrets arrachés aux coulisses du pouvoir et à l’intimité des puissants. Le dévoilement d’un écart entre la scène et les coulisses, l’officiel et l’officieux, même s’il a pris des formes différentes dans le monde du journalisme et dans celui des sciences sociales, partage une même visée : révéler au public des liens, des pratiques, des relations qui ne sont pas visibles de tous. Les sociologues dévoilent des systèmes d’intérêts, des réseaux de proximité, des héritages historiques qui rendent plus complexes, moins attendus et plus solides l’explication des faits sociaux. Le journalisme d’investigation écoute dans les coulisses, récupère des documents cachés ou reçoit des confessions anonymes pour révéler les motifs et les logiques qui président aux événements que d’autres décrivent naïvement en prenant les propos des acteurs pour argent comptant. A sa manière, WikiLeaks s’inscrit dans cette longue tradition de la révélation des secrets de coulisses. Sa principale nouveauté est d’“amateuriser” les sources de secrets. Désormais, ce ne sont plus seulement les puissants choyés par les journalistes d’investigation (avocats, juges d’instruction, responsables en position de dissidence institutionnelle) qui livrent des informations de coulisse, mais aussi des acteurs de rang subalterne ayant accès aux bases de données numérisées de leur institution qui les font “fuiter” vers le grand public – tout au moins lorsque les professionnels de l’information ne servent pas de filtre comme ce fut le cas avec les câbles de la diplomatie américaine.

Mais il est une autre forme de dévoilement, longuement travaillée par les sciences humaines, et consistant à révéler des “vérités” cachées dans les chiffres. En s’appuyant sur les solides instruments de mesure mis en place par les institutions publiques, en produisant des méthodologies de recueil de données rigoureuses, le travail statistique des sciences humaines cherche à faire apparaître des corrélations et des faits de structure susceptibles d’éclairer nos sociétés sur ses mécanismes de fonctionnement ; mécanismes parfois méconnus et, plus souvent, niés. Ce que les chiffrent révèlent alors, ce sont des inégalités de distribution, des déplacements de répartition, des corrélations entre variables hétérogènes (par exemple, entre la réussite scolaire des enfants et l’origine sociale des parents). Parfois, les journalistes s’emparent des statistiques de l’INSEE pour traiter toute sorte de sujet : les inégalités entre hommes et femmes, la distribution des revenus, ou l’accès différencié aux équipements culturels. Certes, la vulgarisation du travail statistique mené dans les laboratoires de sciences humaines n’a pas attendu la révolution numérique. Mais, la relation des sciences sociales et du journalisme n’a pas connu auparavant le même degré d’intimité. Les rôles étaient en effet jusqu’à il y a peu clairement séparés. Le chercheur était considéré comme une source comme les autres montrant au journaliste ses tableaux et en proposant un commentaire vulgarisé afin de faciliter le travail des infographistes. Il était rare que les statisticiens appartiennent pleinement aux rédactions, comme le montrent Eric Dagiral et Sylvain Parasie dans une recherche à paraître retraçant l’histoire des premières pratiques américaines du journalisme de données à Chicago.

Les données complètes contre l’échantillon représentatif

L’accès public à des masses de données brutes, numérisées et normalisées, bouleverse ce partage des rôles et invite à réfléchir sur la nature des opérations critiques qu’il est désormais possible de conduire dans l’espace public à partir de données statistiques partagées par tous. La démocratisation de l’accès aux données et de l’interprétation statistique vient bousculer les habitudes des professionnels des grands nombres. Traditionnellement, les usages de la statistique promus par les sciences sociales révèlent des structures et effacent les individus. Ces derniers n’existent qu’à travers les catégories sur lesquelles s’appuie le raisonnement interprétatif du sociologue, du démographe ou de l’historien. Mais les personnes intéressent beaucoup moins que le système qui les fait agir en raison de certaines de leurs propriétés catégorielles : un tableau croisant des variables rend possible une critique systémique, ce que ne peut faire une simple liste d’individus statistiques.

Ce mode d’interprétation s’appuie sur (au moins) deux piliers. En premier lieu, il ne peut se déployer qu’à l’intérieur d’un consensus sur les catégories conventionnelles décrivant les propriétés des individus statistiques. Une partie du rôle politique de l’institution statistique est de produire un répertoire catégoriel suffisamment stable et appropriable pour que la société parvienne à se décrire selon ce système d’équivalence. Cette stabilité catégorielle, même si elle est arbitraire, permet de débattre, de confronter des arguments, de mesurer des effets et de critiquer l’ordre social. En second lieu, les techniques d’échantillonnage qui permettent de considérer qu’une partie des données vaut pour le tout, sont souvent privilégiées au dépens des bases supposément “complètes” de données – à tel point qu’il est fréquent de “redresser” les données dites “complètes”, ou “brutes”, afin de corriger les biais d’enregistrement inhérents aux procédures de recueils des données. Il n’est pas nécessaire de disposer d’une base de données granulaire des populations pour tenir un discours critique sur la société.

Or, en privilégiant les individus sur les structures, le mouvement des données ouvertes et celui du journalisme de données ne portent guère intérêt à ces deux piliers de l’interprétation statistique. Ils s’orientent même parfois dans une direction opposée. Hétérogènes, diverses, locales, produites à d’autres fins, les catégories de certaines des données “libérées” sont rarement interrogées et recodées dans un système conventionnel permettant de garantir la cohérence des interprétations qu’en feront ses usagers. Par exemple, rendues publiques, les catégories indigènes du travail policier ou hospitalier, seront interprétées dans un contexte tout autre. Ce déplacement peut entraîner bien des malentendus pour tout ceux qui ne sont pas familiers de l’usage finalisé et contextuel de ces catégories par les professionnels qui les manipulent.

Par ailleurs, le mouvement des données ouvertes refuse les techniques d’échantillonnages au profit d’une visée d’exhaustivité complète et de granularité la plus fine possible des données. Peu importe que la base de données soit représentative du phénomène qu’elle enregistre, il est préférable qu’elle soit la plus complète possible, “brute”. L’exigence de complétude et de granularité que porte le mouvement des données ouvertes est nourrie par une revendication de transparence à l’égard des institutions productrices de données, lesquelles cachent parfois dans leurs tiroirs des secrets de fabrication, des techniques de redressement et des opérations de recodage. Elle se renforce de l’ambition de rendre les données au public en lui facilitant une entrée “individuelle” dans les bases d’information. Mais ce faisant, on se préoccupe moins de composer des agrégats représentatifs susceptibles de porter des critiques systémiques dans l’espace public. En perdant le lien avec l’idée de représentativité, la préférence accordée aux données complètes et “brutes” sur les données échantillonnées entrave le chemin permettant de “remonter” de l’individu vers la structure.

La circulation du local au global

Or l’enjeu démocratique du journalisme de données et des données ouvertes est de savoir comment circuler sur le chemin du local au global avec les nouveaux outils dynamiques de visualisation. Faut-il regarder les individus ou les structures, zoomer ou dézoomer ? Sur quel type de données, et à propos de quel type d’acteur, doit-on favoriser cette circulation des interprétations ? A toute fin de simplification, distinguons les bases de données qui concernent les activités des puissants et celles qui enregistrent des activités sociales de tous. Dans le premier cas, les données portent sur ceux qui font l’actualité, dans le second, elles enregistrent la place de l’utilisateur à l’intérieur de la société.

Les expériences parmi les plus réussies de données ouvertes proposent de zoomer/dézoomer les activités des puissants. En visualisant le travail parlementaire de chaque député (nosdéputés.fr) ou en cartographiant la composition chimique des produits industriels (sourcemap), l’opération de dévoilement critique est circonscrite à l’espace des puissants, hommes politiques ou industriels, qui sont redevables d’une surveillance citoyenne vigilante. L’effet de comparaison entre le comportement d’individus singuliers et celui de l’ensemble de leur catégorie permet des évaluations, des mises en équivalence et des notations qui exercent un effet critique incontestable. Ces critiques peuvent, par ailleurs, aisément prendre appui sur des attentes partagées et publiques relatives à ce que devrait être le comportement des hommes politiques ou des industriels. A bien des égards, ces dispositifs de traitement des données publiques nourrissent et renforcent les formes de l’enquête d’investigation en rendant beaucoup plus ouvert et démocratique le contrôle des citoyens sur les coulisses du pouvoir. Dans le même esprit, beaucoup d’autres expériences journalistiques mettent en lumière des données permettant une lecture enrichie des événements : liste des clients de Madoff, données complètes et cartographiés des soldats américains morts en Irak, comparaison graphique des réductions d’effectifs des municipalités travaillistes ou conservatristes, pour ne prendre que des exemples des très innovants Visualisation Lab du New York Times et Datablog du Guardian.

SourceMap

Nosdéputés.fr

Mais une partie de la “demande sociale” qui revendique un accès plus ouvert aux données publiques formule aussi d’autres attentes à l’égard des statistiques. En reconstituant l’histoire et les différents promoteurs du mouvement des données ouvertes, Valérie Peugeot a montré que celui-ci épousait les intérêts de multiples acteurs économiques, dont les médias ne sont qu’une infime partie, pour développer des services pratiques dirigés vers les utilisateurs. Le premier réflexe de tout utilisateur de Google Earth est de partir du globe terrestre pour zoomer sur son propre lieu d’habitation. Le public voudrait “se” voir sur la carte, se comparer dans le tableau, se situer au sein de son quartier. C’est l’individu qui est alors le point d’entrée de toute navigation dans la base de données. Il “customise” la vue qu’il va construire pour établir des comparaisons, des croisements, des corrélations entre les séries de données qui lui seront accessibles. En cela le discours des données ouvertes emprunte tous les ressorts rhétoriques des dynamiques d’individualisation du web social pour imaginer un utilisateur qui cherche et dessine sa propre histoire à l’intérieur de bases de données “agnostiques”.

Lorsque la circulation dans les données ne se fait pas dans le monde des puissants, mais dans celui de tout un chacun, cette entrée individuelle dans les chiffres se place moins dans l’horizon de la critique sociale, de la connaissance ou de la découverte que dans celui des intérêts personnels de l’utilisateur. Il n’est pas indifférent à ce titre que les expériences les plus significatives d’ouverture de données statistiques individuelles soient les cartes des crimes, des revenus, des appartements, ou relatives à la santé, la pollution ou encore des métriques mesurant l’efficacité des administrations pour équiper, surveiller ou nettoyer. Il est aussi significatif que, parmi les différents artefacts de visualisation, la carte du territoire se soit substituée à la liste pour favoriser une entrée individuelle dans les données, tout en préservant (relativement) les informations nominatives. La carte zoomable/dézoomable est devenue le principal instrument de navigation des services cherchant à donner des informations pratiques aux lecteurs. L’utilisateur n’est plus confronté à des informations sur d’autres que lui, mais, se trouvant lui-même dans les données, simple point sur la carte, il interprète le monde depuis la position qui lui est réservée par les chiffres. Et parfois,  lorsqu’il dézoome, il ne voit pas des catégories mais de gros nuages formés des points de ses semblables.

Crise des catégories, crise de la critique

C’est parce que les catégories qui nous servaient à décrire et à “faire tenir” la société connaissent un affaiblissement que nous faisons désormais reposer une grande part de la critique sociale sur la dénonciation des agissements individuels. Lorsque les catégories (socioprofessionnelles, d’activités, de statut, etc.)  ne permettent plus aux individus d’identifier la société dans laquelle ils vivent, il est beaucoup plus difficile de mobiliser des théories de la justice pour exercer une critique politique de la répartition des pouvoirs et des ressources entre groupes sociaux, territoires et conditions de vie. Le reproche qu’adresse de façon implicite le mouvement des données ouvertes aux pratiques habituelles des statisticiens est de produire des tableaux de la société si désincarnés qu’ils n’attirent plus l’attention du public. En revanche, représentées et questionnées autrement, ces données peuvent “parler” au public si l’on accepte qu’elles parlent d’abord de chacun à chacun. En cela se manifeste bien l’individualisation du rapport à la société et la mise en crise des explications catégorielles et systémiques.

La personnalisation de la critique pose des problèmes spécifiques quand elle s’applique au monde des puissants. La question de savoir s’il faut rendre public les comportements des individus en les désignant nominativement (politique dite du “Naming, blaming, claiming”) ou porter seulement intérêt au système qui les fait agir ainsi a longtemps constitué un nœud de la polémique entre journalistes et sociologues. La pratique de l’anonymisation dans les sciences sociales, appliquée même aux puissants, constitue un garde-fou pour préserver la critique systémique de la dénonciation ad hominem. Dans un livre récent sur la corruption et le favoritisme des élites, Pierre Lascoumes et ses collègues ont systématiquement masqué les noms des élus dont ils détaillent pourtant les agissements par le menu. Mais cette pratique s’est quelque peu érodée dans les travaux de sciences sociales au bénéfice d’une lecture de plus en plus nominative des faits et gestes des puissants. S’il lui est parfois reproché de favoriser les théories du complot et d’individualiser les responsabilités des gouvernants, cette critique personnalisée du pouvoir est aujourd’hui au cœur d’initiatives parmi les plus originales en sciences sociales pour rendre compte de la complexité des réseaux d’acteurs qui façonnent les institutions, les politiques publiques ou les décisions politiques, ainsi qu’en témoigne les cartographies de controverses initiées par Bruno Latour à Sciences Po.

Mais quelle forme prend l’usage critique des statistiques lorsqu’il s’exerce à un niveau local dans l’environnement personnel des individus ? Mon quartier est-il protégé des criminels ? La valeur immobilière de ma rue est-elle en train de croître ? Le service de nettoyage de ma mairie est-il efficace ? Les écoles de mon quartier ont-elles un bon taux de réussite ? Vues sous cet angle personnalisé, les données guident vers une lecture individualisée et consumériste dans laquelle ce ne sont plus les puissants qui sont soumis au regard citoyen, mais les fonctionnaires, les acteurs locaux, les voisins et les proches. En navigant dans les données en caméra subjective, la dénonciation reste locale et s’occupe principalement de responsabiliser les acteurs du bas de l’échelle. Sorte de Naming and blaming de voisinage, l’interprétation ne cherche pas à remonter la chaîne des causes vers les effets structurels, les politiques publiques ou les décisionnaires. Elle reste prisonnière des intérêts des individus et de leur capacité à faire des choix personnels en fonction des variables sur lesquelles ils ont un pouvoir d’action. A l’instar des classements des services éducatifs ou de santé, la publication des données ouvertes renforce alors les inégalités entre ceux qui disposant des bonnes informations sur leur cadre de vie ont aussi le pouvoir d’agir sur ces variables et ceux qui accédant aux bonnes informations n’ont aucun moyen d’échapper à leur sort.

Le site de cartographie des crimes de la police britannique demande à l’utilisateur d’entrer dans la base de données en tapant son code postal.

Soyez sympa, dézoomez

Se dessine ainsi deux horizons possibles de l’ouverture élargie des données : portant sur les puissants, elle permet aux citoyens d’exercer une vigilance documentée, précise et ciblée sur les figures publiques ; s’appliquant à tout le monde, elle encourage tout un chacun à optimiser ses décisions personnelles dans une logique de choix rationnel. Les données ouvertes et le journalisme de données enfantent deux projets politiques apparemment opposés : la démocratisation de la démocratie représentative et le renforcement des logiques de concurrence entre individus. Sans doute ces deux projets ne sont-ils pas si contradictoires. Ils témoignent tous deux d’un rapport personnalisé aux représentants comme à ses propres intérêts. Mais il n’est pas du ressort des promoteurs des données ouvertes et du journalisme de données de choisir entre ces deux directions, puisque c’est aux utilisateurs qu’il est confié le soin d’interpréter les données dans un sens ou dans un autre. Cependant le choix des bases de données rendues publiques, la manière dont elles sont mises à disposition et les propositions d’interfaces et de navigation qui sont faites ne sont pas sans conséquences politiques.

Parmi ces différents arbitrages, un des plus importants est de préserver le lien entre le zoom (l’entrée subjective dans les données) et le dézoom (la statistique catégorielle). A trop vouloir zoomer ne risque-t-on pas de perdre le bénéfice critique de la vue d’ensemble ? Le zoom permet aux individus de se voir, mais ne leur permet plus de critiquer s’il n’est pas associé à un travail de catégorisation ou à une visualisation des chaînes d’interdépendance entre les différents acteurs. L’enjeu démocratique auquel le mouvement des données ouvertes est confronté est donc de préserver le lien entre le local et le global, de conserver les liens qui font tenir ensemble les actions de chacun au système.

Un certain nombre de visualisations de données encourage cette articulation. Un outil du New York Times permet par exemple aux utilisateurs de comparer leur situation professionnelle avec celle de ceux de leur catégorie d’âge, de diplôme, de race, de sexe, etc. qui sont au chômage. L’utilisateur peut ainsi faire un aller-retour entre sa position personnelle et celle de sa catégorie. Un outil britannique développé sur Facebook, UK Crime Statistics Quizz, demande aux utilisateurs de répondre à un questionnaire sur leur propre perception du risque d’insécurité dans leur vie personnelle, avant de leur permettre de visualiser les informations statistiques mesurant la « réalité » des actes d’incivilité dans leur quartier. Ce détour permet aux utilisateurs de se détacher de leur représentation spontanée de l’insécurité en la confrontant à une vue statistique globale des actes d’incivilités. Le dispositif permet ainsi de « dégonfler » les effets de grossissement suscité par la peur. Ce genre d’outils présente l’intérêt de baliser un chemin entre les individus et des catégories de description de la société. Il évite ainsi la logique consumériste d’une mise en concurrence des individus.

Apprendre à se dézoomer soi-même est un trait sociologique de nombreuses pratiques du web aujourd’hui. Cette mise à distance nourrit de façon théâtrale la mise en scène de soi sur les plateformes relationnelles. Elle invite les internautes au recul réflexif, afin qu’ils évaluent les informations personnelles qu’ils publient ou qu’ils gardent pour eux. Elle les pousse à se mettre à la place des points de vue opposés au leur pour trouver des compromis dans les espaces de production coopérative de contenu comme Wikipedia. Cet apprentissage du dézoomage devrait aussi nourrir la manière de s’approprier l’information statistique du journalisme de données : se retrouver soi-même dans les chiffres pour mieux comprendre comment nous faisons société.

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Crédits photo: Flickr xJasonRogersx,

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La délinquance n’a pas diminué: la vérité sur les statistiques http://owni.fr/2011/01/25/la-delinquance-na-pas-diminue-la-verite-sur-les-statistiques/ http://owni.fr/2011/01/25/la-delinquance-na-pas-diminue-la-verite-sur-les-statistiques/#comments Tue, 25 Jan 2011 13:22:18 +0000 Jean-François Herdhuin http://owni.fr/?p=43793 Jean-François Herdhuin, fonctionnaire de police français, contrôleur général, puis inspecteur général de la police nationale, nous livre son expérience au sein de la police, et revient sur les chiffres de la délinquance.

La présentation des chiffres de la délinquance pour 2010 m’a inspiré les réflexions suivantes : à l’oral du concours de commissaires de police le jury m’avait demandé de commenter cette citation de Churchill :

Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées.

Je suis persuadé que les examinateurs ne pensaient pas aux statistiques de la délinquance. C’est ainsi que j’ai très prudemment évité ce sujet. Pour ne pas susciter des interrogations j’ai replacé la question dans le domaine économique. Et pour aller au devant de ce que l’on attendait de moi, j’ai ajouté que nous avions besoin d’instruments de mesure pour guider notre action, même si ceux ci ne pouvaient être parfaits. J’ai donc évité de contrarier le jury.

“On ne parlait déjà que de chiffres”

Depuis 2002 le thème de l’insécurité étant parmi les premières préoccupations des français, les statistiques de la délinquance font l’objet de toutes les attentions.

A la tête de directions départementales de la sécurité publique pendant de longues années, j’avais aussi la responsabilité de l’élaboration des statistiques de la délinquance. En 2002 les responsables de la sécurité publique et de la gendarmerie ont été réunis à l’occasion ce que nous appelions une « grande messe ». Le discours du nouveau ministre de l’intérieur était mobilisateur, approuvé par la très grande majorité des auditeurs. A l’époque, j’ai regretté que les responsables du gouvernement précédent n’aient pas réussi, comme Nicolas Sarkozy, à créer cet élan de responsabilisation, voire d’optimisme chez les commissaires de police et dans la police en général.

Le Ministre de l’intérieur avait mis en place un système d’évaluation des performances, que nous appelions le « sarkomètre ». J’ai été convoqué à cette réunion d’évaluation pour une augmentation de 3% de la délinquance sur un seul mois. La réunion était présidée par le Ministre de l’Intérieur lui-même assisté de Claude Guéant et de Michel Gaudin, Directeur Général de la police Nationale. Quelqu’un m’avait prévenu, « si tu as ton nom en face, tu vas prendre ». Je ne suis pas sûr que cela soit vrai. Dès en entrant dans la salle, j’ai vérifié notre position, c’était sur la gauche du ministre, près d’un conseiller technique que j’appréciais beaucoup, il avait été mon directeur.

J’accompagnais mon Préfet, nous étions une douzaine de départements concernés. Pour nous, la Seine-Maritime, cela s’est plutôt bien passé, je n’en dirai pas autant pour certains préfets. J’étais gêné de voir ces grands serviteurs de l’Etat traités de la sorte devant nous, leurs subordonnés. Je me souviens de l’un d’entre eux qui, rouge de colère s’exclamait courageusement, « Mais nous avons travaillé Monsieur le Ministre ! » On ne parlait déjà que de chiffres. C’était avant notre tour, je me suis dit que si cela tournait mal, il valait mieux tenir tête. J’étais prêt, mais il m’a semblé que notre ministre était pressé de quitter la réunion.

La fabrique des statistiques

On me pardonnera la présentation un peu technique de l’élaboration des statistiques. Il s’agit de révéler les effets de cette pression sur les résultats et les chiffres de la délinquance. Cela peut varier en fonction des instructions qui sont données au plan départemental et aussi de pratiques locales plus ou moins répandues.

La manière la plus grossière, quoique très répandue de réduire la délinquance, est le refus de la prise de plainte. Cette attitude peut être due à l’insuffisance de la formation des personnels dédiés à l’accueil et aussi à l’affluence de plaignants. Des efforts ont toutefois été accomplis pour mieux accueillir le public avec des pratiques de testing de l’Inspection Générale de la Police Nationale.

L’utilisation abusive de la main courante, permet de masquer un nombre très important d’infractions. On enregistre dans la main courante sous l’appellation de« différents » voire même de « crimes et délits » des faits de toutes natures et de gravité parfois très importante.

Parmi les pratiques les plus productives de « bons résultats », il y a la possibilité de requalifier des délits en contraventions qui ne sont pas prises en compte dans l’état statistique. Il s’agit notamment des dégradations de biens privés ou publics. Les tentatives de cambriolages peuvent être enregistrées comme de simples dégradations contraventionnelles. Il en est de même pour des coups et blessures volontaires qui peuvent être convertis en violences légères afin d’être comptabilisées dans les contraventions de 5e classe. On oubliera souvent de mentionner les circonstances aggravantes de l’infraction pour ne pas la classer en délit. Il s’agit par exemple de la commission de l’infraction en réunion, ou encore des injures qui peuvent être en réalité des menaces sous conditions. On peut aussi omettre la présence d’une arme blanche ou d’une arme par destination. Pour éviter une plainte on peut encore « convertir » des violences familiales en simples différents, malgré la gravité des faits.

Au sujet de l’enregistrement et la transmission des statistiques, l’Office National de la Délinquance et des Réponses Pénales a découvert récemment une pratique qui date de 2002. C’est la prise en compte retardée de procédures pour assurer une bonne présentation aux médias en fin d’année. Les commissariats étaient invités à arrêter l’enregistrement, dans l’état « 4001 », de certaines procédures, celles qui font du chiffre, comme les dégradations, les atteintes aux biens. Ce ralentissement pouvait être ordonné depuis l’administration centrale, plusieurs jours avant. Ordre était parfois donné d’arrêter toute intégration un jour entier avant la fin du mois. La prise en compte des weekends, des jours fériés était déterminante pour espérer l’arrêt de l’enregistrement sans instruction particulière. La communication des chiffres est désormais mensuelle, pour atténuer les effets de l’impact médiatique de toute évolution à la hausse. Lorsque la communication était semestrielle et annuelle, en cas de résultats médiocres, la pratique de l’enregistrement retardé était systématique. Il est intéressant à cet égard d’observer les statistiques du mois qui suit la communication de celles-ci. Mais comme il faut bien procéder à l’enregistrement des procédures, il fallait procéder à des corrections les mois suivants par une utilisation appropriée de la main courante.

La délinquance est-elle vraiment en baisse?

L’observation objective des chiffres qui nous sont fournis permet de faire douter sérieusement du bilan qui nous est aujourd’hui présenté

Selon les résultats qui viennent d’être communiqués et le rapport de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), les atteintes aux biens sont en diminution constante depuis 2004. On passe d’environ 2,7 millions d’atteintes aux biens en 2005 à 2,2 millions en 2010 soit une baisse de 17,1%. Il y aurait donc dans cette rubrique une diminution de 500 000 faits constatés.

Pour ce qui concerne les atteintes aux personnes entre 2005 et 2010 on enregistre une augmentation de 13,6%, (+57 998 faits constatés) avec 467 000 violences ou menaces constatées en 2010.

Pour ce qui est des escroqueries et des infractions économiques et financières l’ONDRP indique qu’elle n’est pas en mesure de « commenter les chiffres récents » car il y a une « rupture statistique (sic) dans le mode d’enregistrement des plaintes » en 2009. Il s’agit principalement des fraudes avec les cartes bancaires. Pour résumer on considère que ce sont les banques qui sont victimes de ce type de délit et non plus les détenteurs de ces moyens de paiement. Toutefois dans le bilan global de la délinquance cette catégorie d’infractions figure à la baisse avec -4,3% soit 16 072 faits constatés en moins avec 357 000 infractions. Comme l’indique les statistiques de l’ONDRP, si les règles d’enregistrement n’avaient pas évolué en 2009, elles auraient légèrement augmenté.

On peut aussi souligner la baisse des IRAS (infractions révélées par l’activité des services) ; il s’agit par exemple de l’usage de stupéfiants, du port d’arme, du recel. Pour ces faits il n’y a pas de plainte car tout dépend de l’initiative des services de police ; depuis 2009 ce chiffre est en baisse non négligeable, d’environ 3,3 % chaque année. Il est vrai qu’il avait augmenté les années précédentes.

Quel est l’impact de l’utilisation des mains courantes ?

La main courante informatisée, permet de recenser l’intégralité des mains courantes, elle a été mise en place progressivement et ce n’est qu’en 2008 que l’on peut établir une estimation presque exhaustive des mains courantes.

En 2010 le total des mains courantes établies s’élève à 1 046 151 contre 1 063 158 en 2009 soit une baisse plutôt modérée de 1,6 %.

En examinant par groupes les nomenclatures principales, les chiffres se présentent de la manière suivante :

En 2010 273 058 crimes et délits figurent dans les mains courantes, soit une baisse de 2%.

- 518 056 différends de toute nature ont été enregistrés par mains courantes, soit une baisse de 2,1%.

- et 123 503 faits de nuisances ou de troubles à l’ordre public, soit une baisse de 0,9%.

Nous n’avons retenu que les nomenclatures portant sur les chiffres les plus importants.

On peut constater que cette évolution à la baisse n’est pas aussi importante que celle présentée vendredi 21janvier 2011.

Il est important d’observer l’évolution du nombre de mains-courantes depuis 2008, puisque nous ne disposons pas de données exploitables pour les années antérieures.

A titre d’exemple la comparaison 2008-2009 fait apparaître une augmentation de 10% en matière de crimes et délits avec 278 484 signalements. Les différents de toutes natures ont augmenté de 3,4% avec 528 983 faits. Pour la même année le total des mains courantes s’établit à 1 063 158 soit une augmentation de 5,6% par rapport à l’année précédente.

L’Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales avance le chiffre de 805 341 mains courantes en 2005 et de 1 O46 151 en 2010, toutes affaires confondues, soit une augmentation de 30%. L’activité des services de police a-t elle été supérieure aux années précédentes ? Les victimes ont-elles signalé plus de faits fantaisistes dans les commissariats ? Ou bien le système a-t-il recensé plus de mains-courante que les années précédentes.

En se reportant aux commentaires de l’ONDRP. on verra que son président prend beaucoup de précautions pour indiquer que les statistiques de la délinquance sont issues de l’état 4001 et qu’ils ne peuvent être le reflet de la réalité du phénomène criminel. Dans ces mêmes commentaires, qui sont répétés sur plusieurs années, il espère que les enquêtes de « victimation » viendront compléter l’étude statistique. Or les enquêtes effectuées ne démontrent pas qu’il y ait une baisse sensible de la délinquance. A l’exception de certaines atteintes aux biens (vol automobile, par exemple).

Que faut-il en conclure ?

Contrairement aux affirmations du gouvernement la délinquance n’a pas baissé durant les huit dernières années. Au mieux cette délinquance a stagné, et elle a même augmenté dans les rubriques les plus sensibles.

Comme le disait William Ewart Gladstone, qui a inspiré Churchill,

les statistiques sont (vraiment) la forme la plus élaborée du mensonge.

Sources : Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales. Se reporter également à partir de ce lien aux rapports annuels des années précédentes.

Voir aussi : Jean-Paul Grémy, « Les “défaillances de la mémoire” dans les enquêtes de victimation » Bulletin de méthodologie sociologique, 94 | 2007, [En ligne], Mis en ligne le 01 avril 2010. URL : http://bms.revues.org/index464.html. Consulté le 23 janvier 2011.

Mon blog : http://Jeanfrancoisherdhuin.blog.lemonde.fr

Article initialement publié sur Police et banlieue

Crédits Photos CC FlickR: zigazou76, ILRI, Martin Leroy, zigazou76

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La com’ rituelle du ministre de l’Intérieur http://owni.fr/2011/01/25/la-com%e2%80%99-rituelle-du-ministre-de-l%e2%80%99interieur/ http://owni.fr/2011/01/25/la-com%e2%80%99-rituelle-du-ministre-de-l%e2%80%99interieur/#comments Tue, 25 Jan 2011 11:09:09 +0000 Laurent Mucchielli http://owni.fr/?p=43800 Comme chaque année, le ministre de l’Intérieur fait sa com’ en annonçant au mois de janvier les prétendus « chiffres de la délinquance » de l’année écoulée. Le quotidien pro-gouvernemental Le Figaro en a eu la primeur, l’interview du ministre étant reprise sur le site officiel du ministère.

Bien entendu, les choses sont globalement positives, il ne saurait en être autrement. Depuis 2002 tout va mieux, tandis qu’avant c’était naturellement la catastrophe. En 2010, on constate des progrès qui sont entièrement dus aux décisions prises par le ministre. Et s’il reste des problèmes, soyons rassurés : le ministre a déjà pris les décisions qui s’imposaient pour 2011. On n’est pas loin d’Alice au pays des merveilles. Les choses sont cependant un peu plus compliquées.

Les statistiques de police ne sont pas les « chiffres de la délinquance »

Il faut d’abord marteler ce rappel fondamental : les statistiques de la gendarmerie et de la police ne sont pas « les chiffres de la délinquance ». Elles sont le résultat de l’enregistrement des procès-verbaux dressés par ces fonctionnaires, ce qui ne représente qu’une petite partie de la délinquance. Tout ce que les policiers et les gendarmes n’ont pas su, ou bien ont su mais n’ont pas « procéduralisé », n’est pas compté. Si les victimes n’ont pas porté plainte ou que leur plainte n’a pas fait l’objet d’un procès-verbal en bonne et due forme (on les a débouté, on a fait une simple « main courante »), la délinquance n’existe pas officiellement. En outre, les contraventions (même les plus graves, de 5ème classe) ne sont pas comptées, ni les délits routiers, ni la plupart des infractions au droit du travail, au droit de l’environnement, au droit fiscal, etc.

Non, décidément, il ne s’agit pas d’un baromètre fiable et représentatif de l’évolution de la délinquance. D’autant que les policiers et les gendarmes subissent depuis 2002 une pression inédite pour produire les « bons chiffres », et qu’il existe toute une série de techniques pour y parvenir. Face à des plaintes concernant des problèmes parfois réellement bénins (dispute familiale, bagarre de cour de récréation, échauffourée entre automobilistes, vol de pot de fleurs, carreau cassé, etc.), ils peuvent décider d’agir de façon informelle ou bien verbaliser et donc faire monter la statistique. Face à des plaintes en série concernant le même auteur, ils peuvent parfois faire autant de dossiers qu’il y a de plaignants ou bien les regrouper.

C’est par exemple ce qui s’est produit cette année concernant des infractions économiques et financières. La baisse des escroqueries et abus de confiance est liée au fait que ce sont de moins en moins les particuliers qui portent plainte et de plus en plus les banques, ce qui permet de regrouper une multitude de victimes dans une même affaire.

Bref : il n’est pas sérieux de continuer à croire ou faire semblant de croire que cette statistique nous informe sur l’état et l’évolution réels de la délinquance. Pour aller plus loin en ce sens, il faut en réalité se tourner vers les enquêtes (scientifiques) en population générale.

Au vu de cette statistique, il n’y a pas vraiment de quoi se vanter

Mais pour en rester ici à cette statistique de police et de gendarmerie sur l’année 2010, un examen attentif des chiffres devrait imposer un commentaire bien plus modeste au ministre. Certes, le total appelé « la délinquance » baisse d’environ 2 %. Mais quel sens a un tel chiffre ? On a mis dans le même sac les meurtres, les viols, les vols de scooters et de nains de jardin, les escroqueries, les « usages de stupéfiants » (joints fumés), les « infractions à la législation sur les étrangers », les pensions alimentaires non versées, les défauts de permis de chasse ou de pêche… (il y a 107 genres d’infraction dans la statistique de police, le 107ème étant « autres » !), on a secoué le tout et il en est ressorti « le chiffre de la délinquance ». Cela n’a strictement aucun sens.

En réalité, ce total dénué de sens baisse parce que ce qui l’a fait principalement augmenter pendant des décennies recule au contraire depuis le milieu des années 1990 : ce sont les vols de ou dans les voitures et les vols de deux roues. Et les ministres de l’Intérieur successifs n’y sont pour rien, ce sont davantage les systèmes antivols qui en sont responsables. La baisse est du reste confirmée par les enquêtes. Ensuite, cette baisse globale est due aux destructions-dégradations, ce qui n’est pas confirmé par les enquêtes et résulte sans doute en partie de quelques « ruses » dans le comptage, notamment celui des voitures brûlées comme on l’a récemment discuté à propos des incendies de la nuit du 31 décembre.

Mais ces deux baisses masquent des augmentations bien plus gênantes pour le ministre, en particulier celle des cambriolages et celle des vols commis sur la voie publique avec ou sans violence. Des délinquances qui touchent également la vie quotidienne des Français.

Quant aux violences interpersonnelles, elles continuent leur hausse apparente, mais il faut appliquer la même rigueur de raisonnement et dire que le ministre n’en est pas davantage responsable. Cette hausse est régulière depuis maintenant plusieurs décennies. Et les recherches montrent qu’elle résulte principalement non pas d’une transformation des comportements mais d’une plus forte dénonciation de comportements classiques tels que les violences conjugales et les bagarres entre jeunes.

Enfin, il n’y n’a pas non plus de quoi se réjouir de la baisse continue des délinquances économiques et financières ces dernières années. Elle ne signifie sans doute pas que ces infractions sont en voie de disparition dans la société française, mais bien plutôt que les services de police et de gendarmerie ont de moins en moins de temps à consacrer à ces délits plus compliqués et impliquant souvent des délinquants appartenant à des milieux plus aisés.

Non, décidément, le monde merveilleux d’Alice demeure une fiction.

Article initialement publié sur Mediapart

Illustrations CC Flickr: not françois, sjsharktank

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