OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Bactéries du futur [2/3] http://owni.fr/2012/03/23/bacteries-du-futur-partie-2/ http://owni.fr/2012/03/23/bacteries-du-futur-partie-2/#comments Fri, 23 Mar 2012 16:45:24 +0000 Marion Wagner http://owni.fr/?p=103012

[Suite de notre enquête sur la biologie de synthèse. Retrouvez ici la première partie]


C’est un de ces autres mondes qu’explore la start-up Global Bioenergies, installée au sein du Génopole, le premier complexe de recherche en génétique français, à Evry, au sud de Paris.

Biologie industrielle

Ici la biologie de synthèse est appliquée, on l’appelle biologie industrielle.

Marc Delcourt, co-fondateur, avec Philippe Marlière, de la jeune entreprise, est assis à son bureau.

Bactéries du futur [1/3]

Bactéries du futur [1/3]

Dans leurs éprouvettes, des chercheurs préparent la biologie et la génétique de demain. Des "biologistes-ingénieurs" qui ...

Après la porte d’entrée, posée sur une table, une statuette translucide rappelle l’entrée en bourse récente de Global Bioenergies. “Un succès”. La start-up a pu lever des fonds pour financer sa recherche, tournée vers “la création de procédés industriels qui visent à convertir des ressources végétales en production énergétique”. C’est-à-dire produire à partir du sucre, par voie biologique, une des plus grandes molécules de la pétrochimie, l’isobutène. Extraite du pétrole elle est utilisée pour faire du carburant, des plastiques, des textiles, des pneus…


“A l’heure actuelle aucun micro-organisme ne produit naturellement cette molécule, c’est notre défi. Nous avons crée de toutes pièces une voie métabolique qui permet de convertir le sucre en isobutène lorsqu’elle est implantée dans des micro-organismes. C’est une des façons de faire de la biologie de synthèse. Nous n’avons pas crée une bactérie entière mais une voie métabolique qui a une action et une utilité industrielle.”

Dans le laboratoire distribué par le couloir, Macha Anissimova, biochimiste en blouse blanche, fait la démonstration. Elle ouvre un congélateur, attrape un tube de plastique haut de deux centimètres. ” Il contient plusieurs milliers d’exemplaires d’un même gène, et cela ne pèse que quelques nanogrammes. On les solubilise en les mélangeant dans de l’eau, on peut alors les introduire dans un micro-organisme dont on a rendu la membrane perméable. Et pour faire proliférer les micro-organismes on les fait fermenter au chaud, les bactéries poussent entre 30 et 37°. On fait ça tous les jours.”

Après les agitateurs, qui mélangent mécaniquement, à rythme constant et par dizaines les tubes à essai, le fermenteur. “Là nous sommes à la frontière entre recherche et développement”. A l’intérieur de la cuve en verre d’un litre, les bactéries évoluent en milieu nutritif, une solution sucrée. Le processus biologique à l’œuvre reste absolument invisible à l’œil nu : cinq grammes de ces micro-organismes devraient permettre de produire 30 grammes d’isobutène, transformables en autant d’essence.

La chercheuse ajoute :

En général, on a les premiers indices que les manipulations fonctionnent au bout d’un an. Mais c’est un organisme vivant, on n’est jamais à l’abri des surprises.

Elle a assisté à la création de Global Bioénergies et glisse dans un sourire “on est partis de rien, maintenant c’est une société cotée en bourse, c’est un rêve scientifique”.

Brevetabilité

L’entreprise emploie une vingtaine de chercheurs, la moyenne d’âge est jeune, et l’avenir plein de promesse.

Le PDG reprend : “Le procédé marche en laboratoire et à faible niveau. Nous travaillons à l’augmentation de son rendement. L’idée est de créer une usine pilote puis des usines de taille industrielle. Nous aimerions aussi répliquer ce succès à d’autres molécules de l’industrie pétrolière.

L’idée est de pouvoir convertir des ressources agricoles, le sucre, l’amidon de canne et de betterave, de maïs, de blé, de seigle, de riz puis les déchets agricoles, les déchets forestiers, et de nouvelles plantes qui sont au centre de cette nouvelle agriculture à vocation énergétique qui se met en place”.

Un œil tourné vers la boîte de réception de sa messagerie électronique il ajoute : “Les premiers tests à l’échelle industrielle devraient être menés avant 2014. Nous n’allons pas nous limiter à la France, nous considérons que notre marché est mondial. Nos principaux concurrents sont aux États-Unis. Ils ont beaucoup de moyens et il y a une course pour déposer les brevets”.

Mais brevets, progrès de la technique et de la science, et découvertes d’autres mondes possibles ne convainquent pas tout le monde, loin de là. En s’emparant du vivant, qu’elle entend améliorer, la biologie de synthèse dérange. Quid d’éventuelles disséminations, qui a la charge de ces constructions chimériques, à qui appartiennent-elles ?

Revient en tête la session de questions-réponses ouverte à la fin de l’audition organisée à l’Assemblée nationale.

Thomas Heams, jeune chercheur et enseignant en génomique fonctionnelle, redingote gris pâle et lunettes larges à monture noire avait inauguré :

Je pose la question aux industriels, sans diabolisation aucune, évidemment : comment vous intéressez-vous à la question de la privatisation de l’effet de certains gènes dans vos constructions de synthèse ?

Le jeune PDG de Global Bioenegies, Marc Delcourt, avait répondu sans ambages : ” Les brevets qui sont déposés ne revendiquent pas le gène lui-même, mais son utilisation dans un certain cadre, donc on ne prive personne d’en faire autre chose. La question de savoir s’il est légitime de réserver un monopole temporaire -de 20 ans, ce qui est un temps très court au niveau industriel- pour permettre l’éclosion de ces innovations me semble assez peu adaptée. Dans notre cas il y a une construction technologique extrêmement aboutie et une innovation qui rentre très clairement dans les canons de la brevetabilité”.

graines de riz


Michel Vivant, professeur de droit à Sciences-Po, où il dirige la spécialité propriété intellectuelle du master de droit économique confirme, un peu gêné : “Dans le cas de la biologie de synthèse, puisqu’on bidouille dans une séquence, le critère de l’invention est respecté. Techniquement, il est possible de la breveter”.

Il précise :

“un brevet c’est donnant-donnant, l’inventeur reçoit un monopole économique qui lui assure un retour sur investissement en contrepartie d’une invention pour la société.”

L’invention, pour être brevetable, doit remplir un certain nombre de conditions : la première, être une invention (sic), et non une découverte. La découverte d’un gène à lui seul n’est donc pas brevetable. Elle doit aussi être nouvelle, susceptible d’application industrielle et non contraire à l’ordre public. Un génome de synthèse est en fait un cas d’école, parfaite illustration d’une invention brevetable.

Le juriste ajoute “Le droit ne brevète pas sur la base d’un jugement de valeur, finalement c’est une question de citoyen, et pas spécialement de juriste. La question devient beaucoup plus politique, mais au vrai sens du terme : que souhaite-t-on ? Est-ce que l’on veut qu’il y ait une constitution de propriété sur de telles inventions?”.


Retrouvez la dernière partie de cet article.


Illustrations sous licences creative commons par IRRI-images, Zhouxuan, Danmachold

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Propriété intellectuelle mutante http://owni.fr/2011/10/24/acta-propriete-intellectuelle-mutante-union-europeenne-parlement-lobby-etats-unis/ http://owni.fr/2011/10/24/acta-propriete-intellectuelle-mutante-union-europeenne-parlement-lobby-etats-unis/#comments Mon, 24 Oct 2011 16:30:58 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=83939

Cela fait quelques années que l’ombre du traité Anti-conterfeinting trade agreement (plus connu sous le nom d’Acta) plane sur la réglementation internationale de la propriété intellectuelle. Touchant tant la santé que la culture, et menaçant au passage certaines libertés publiques, les négociations entourant ce texte ont longtemps été frappées du sceau du secret. A l’heure où certains pays ont signé l’accord, retour sur une chronologie mouvementée.

L’Acta ruse

Comme le montre notre chronologie, cela fait quelques années que les négociations ont discrètement été entamées. Sous l’égide d’un certain nombre de lobbyistes. Les télégrammes diplomatiques révélés par WikiLeaks et analysés par la Quadrature du Net, prouvent que le concept même de l’Acta a été pour la première fois évoqué par Stan McCoy, le négociateur en chef chargé de l’application des mesures liées à la propriété intellectuelle. Depuis, c’est Kira Alavarez qui négocie l’Acta pour le compte des États-Unis. Sa biographie sur le site de réseautage professionnel Linkedin est édifiante : lobbyiste pour Time Warner, elle a fait ses armes dans l’industrie pharmaceutique. Un profil idéal pour porter la voix des ayants droit.

Au début du processus de négociation, certains documents préparatoires auxquels le Parlement européen n’avait pas eu accès ont atterris entre les mains du lobbyiste Steven Metalitz. Ce juriste suivait le dossier pour l’International Intellectual Property Alliance (IIPA) et travaillait à Washington pour le compte de quelques importants acteurs de l’industrie du divertissement: laMotion Picture Association of America (MPAA), la Business Software Alliance (BSA) ou encore la Recording Industry Association of America (RIAA).

Côté français, la transparence concernant les négociateurs n’est pas de mise. Le ministère de l’Economie et des Finances semble être à la manœuvre, par le biais de la Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique (DGTPE), comme le révélaient nos confrères de Numerama en février 2010.

Comme nous l’expliquait la semaine dernière Marietje Schaake:

[Le traité] a été négocié en secret avec les principaux acteurs du monde industriel mis autour de la table. Les parlements ont été largement contournés, ainsi que le processus démocratique.

Ce n’est aujourd’hui plus le cas, les parlementaires européens et associations ayant réussi à rendre les négociations publiques. L’occasion pour le Parlement de faire valoir ses droits dans le jeu institutionnel européen qui l’oppose à la Commission et au Conseil de l’Union européenne.

Au cœur de la machinerie européenne

Certains parlementaires comptent bien faire d’Acta l’un des combats de leur mandature. A l’instar de la députée Sandrine Bélierqui faisait récemment référence à plusieurs études mettant en relief les contradictions du traité à l’égard de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ou de la Charte européenne des droits fondamentaux (CEDF).

La qualification de l’accord commercial en “accord mixte” exige le vote du Parlement européen pour être ratifié. Un membre de l’équipe du Conseil européen tente de nous éclairer. Si la Commission européenne a le droit d’initiative, c’est au Conseil européen qu’il revient de prendre la décision de signer l’accord. Et, depuis la ratification du traité de Lisbonne, le Parlement Européen doit également donner son consentement, avant un retour devant le Conseil pour enfin le conclure. De plus, il est nécessaire que chacun des parlements nationaux donne son accord.

Aux États-Unis, on ne s’embarrasse pas : l’accord est considéré comme un “Sole executive agreement“, qui ne nécessite pas la validation du Parlement. La procédure est ainsi simplifiée, ce qui permet de faire passer plus facilement l’un des points d’achoppement de l’Acta : la mise en place de mesures répressives, notamment en s’appuyant sur les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), encouragés à collaborer avec les sociétés de gestion de droits de propriété intellectuelle. Une version augmentée de la Hadopi, avec filtrage et censure à la clef.

Le Parlement européen et les Parlements nationaux ont jusqu’au 1er mai 2013 pour s’opposer à la signature de l’Acta. Un seul non suffirait à arrêter tout le processus de ratification.

L’année 2012 s’annonce chargée pour les lobbyistes.


Merci à Nicolas Patte et Julien Goetz (aka Paule d’Atha) ainsi qu’à Romain Renier pour leur aide dans la réalisation de la timeline.



Image de Une par Geoffrey Dorne

Crédits photos CC FlickR par Lucas Braga

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Aux utilisateurs les idées, aux entreprises les produits http://owni.fr/2010/11/22/aux-utilisateurs-les-idees-aux-entreprises-les-produits-innovation-brevets/ http://owni.fr/2010/11/22/aux-utilisateurs-les-idees-aux-entreprises-les-produits-innovation-brevets/#comments Mon, 22 Nov 2010 07:30:44 +0000 Hubert Guillaud http://owni.fr/?p=36387 Eric von Hippel, l’auteur de Democratizing Innovation vient d’ouvrir la saison 2010/2011 des déjeuners du Berkman Center, une séance de discussion ouverte (retransmise en ligne) à laquelle participent le plus souvent les meilleurs esprits de cette institution. Ethan Zuckermann était présent et a synthétisé sur son excellent blog la présentation de von Hippel dont nous allons, sur ses pas, tenter de vous rendre compte.

Les utilisateurs, premiers sur l’innovation

Selon von Hippel, il y a 2 à 3 fois plus d’innovation de la part des consommateurs qu’il n’y en a dans l’industrie.

Cette affirmation contredit la façon dont nous pensons traditionnellement l’innovation que les fabricants sont sensés dominer et pourrait remettre en question le système de la propriété intellectuelle, qui tend à protéger les fabricants plutôt que les utilisateurs.
Lors de l’émergence d’un marché, il existe très peu d’utilisateurs, ce qui donne peu de raisons d’innover au fabricant, mais beaucoup aux utilisateurs. Quand le docteur John Heysham Gibbon, l’inventeur du coeur et du poumon artificiels approche des fabricants, ceux-ci ont plutôt tendance à se moquer de lui. Pendant 20 ans, Gibbon, un médecin plus qu’un inventeur, étudie et documente les processus nécessaires pour parvenir à produire un coeur et un poumon artificiels. Dans l’intervalle, le marché est arrivé à échéance et il a été possible de faire correspondre les découvertes de Gibbon à des procédés de fabrication rentables pour la fabrication de ces systèmes.

Dans de nombreux domaines, l’utilisateur est souvent l’innovateur, avance von Hippel. Dans le domaine des instruments scientifiques par exemple, 77% de l’innovation provient des utilisateurs finaux. Un rapport de force dont les fabricants eux-mêmes ne sont pas conscients. Pourquoi ? Parce que les innovations proposées par les utilisateurs ne ressemblent pas à des produits fabriqués. Le premier système entièrement automatisé de radio-immunologie ressemble à un méli-mélo de machines en réseaux bricolés pour répondre aux besoins d’un service de cardiologie. En tant que produit, il sera proposé sous forme d’un système intégré unique – et le fabricant vous dira sûrement qu’il a inventé le produit.

De la transformation de l’idée en produit

“L’innovation par les utilisateurs est peut-être une idée, mais pas un produit”

Von Hippel raconte ainsi l’histoire de Terry Fisher, directeur de la faculté du Berkman Center, passionné d’escalade qui ajouta une lanière à son piolet suite à une mauvaise expérience en montagne. Fisher n’a pas été crédité pour cette innovation que l’on trouve désormais sur chaque piolet. Autre exemple : l’irrigation à pivot central qui façonne les paysages agricoles de tout l’ouest des Etats-Unis. C’est un modèle d’irrigation qui est beaucoup plus efficace que la mise en place de canaux ou de tuyaux… La production agricole est centrée autour d’un puits et un tuyau roulant irrigue de manière circulaire le champ. Cette technique a été imaginée par des agriculteurs et est maintenant largement utilisée de par le monde. Pourtant, si vous demandez aux sociétés qui fabriquent ces systèmes qui les a inventés, elles vous diront que c’est leur création. Si vous leur montrez une photo de ces premiers systèmes, elles vous diront : “mais vous auriez dû voir leurs soudures !”

Carliss Baldwin et Eric von Hippel ont proposé l’année dernière un modèle qui aide à expliquer comment les espaces sont plus ou moins ouverts à l’innovation par l’utilisateur. Ce modèle tient compte du coût des communications et des coûts de conception qui influent sur l’innovation. Les individus ne peuvent pas se permettre d’innovation si le coût de conception est trop élevé : l’exemple de l’inventeur du coeur et du poumon artificiel est ainsi un exemple limite. A l’inverse, si le coût de communication est très faible, et si vous êtes en mesure de modulariser le problème auquel vous êtes confrontés, vous pouvez permettre aux utilisateurs d’élargir leur capacité d’innovation, comme ce fut le cas avec Linux. Si les coûts de communication ou de conception sont élevés, il est plus simple de faire ces projets dans le cadre d’une entreprise.

Mais “nous sommes à une époque passionnante, où il peut être plus efficace de faire des projets modulaires avec des groupes d’individus qu’avec des entreprises”, estime von Hippel.

2,9 millions d’innovateurs en Grande-Bretagne

measuringuserinnovationinuknestaCette année, von Hippel et ses collaborateurs ont publiés une étude pour le Nesta sur la population britannique en regardant justement ce phénomène de l’innovation par les utilisateurs. Ils ont demandé aux gens s’ils avaient créé ou modifié un produit durant les trois dernières années pour le rendre “plus adaptés à leurs besoins”. 1,4 % des sondés ont répondu avoir créé un produit. 4,2 % ont rapporté avoir modifié un produit et 0,6 % affirment avoir fait les deux. Ce qui fait dire à von Hippel que la population britannique (qui compte 58 millions habitants) possède 2,9 millions d’innovateurs, qui ont créé des produits simples, nouveaux, pour répondre à leurs besoins quotidiens.

Ces réalisations sont très variées rapporte l’étude : elles vont de la customisation de voiture (tunning) à l’adaptation de leurs instruments de sports ou de leurs outils de bricolage et jardinage à leurs pratiques (comme la création de tournevis à angle-droit). On y trouve également des articles complexes : des inventeurs de logiciels pour ranger leurs collections, des gens qui construisent leurs ordinateurs, des jouets ou des objets pour répondre à des besoins spécifiques comme comme cette boite d’alimentation automatique pour chien construit pour répondre au diabète de l’animal en lui fournissant une alimentation précise et régulière.

Ces innovations vont d’intervention du quotidien (installation de crochets pour abaisser les branches des arbres et en cueillir les fruits), jusqu’à de la conception avancée (bidouillage d’une machine à laver pour créer un cycle d’essorage)… L’investissement moyen dans ces innovations était de 120 euros et 2,8 jours (mais la médiane elle n’était que de 6 euros et 2 jours).

Alors que la plupart des innovateurs travaillent par eux-mêmes, l’étude souligne que certaines communautés d’intérêts travaillent différemment, en privilégiant la collaboration. Dans la communauté de ceux qui pratiquent le kayak en eau vive par exemple, les utilisateurs sont responsables de plus de 73 % de l’innovation du matériel et de 100 % de l’infrastructure (cartographie des zones de pratiques).

Innover, dévoiler, échanger, contourner

Non seulement les utilisateurs innovent, mais le plus souvent ils dévoilent librement leurs innovations. Ces innovations parlent à d’autres utilisateurs et c’est ainsi que se constituent des communautés d’utilisateurs. Celles-ci grandissent et parfois donnent lieu à des créations d’entreprises. Finalement, une fois que les débouchés sont possibles, les fabricants font leur entrée sur le marché, résume von Hippel. Les utilisateurs collaboratifs peuvent souvent prendre le dessus sur les producteurs, car ils sont plus nombreux et parce que l’espace d’innovation est ouvert, ce qui rend très facile l’adoption de ces innovations.

Von Hippel termine son exposé par une observation de la puissance ou de la limite de la propriété intellectuelle. Une étude (.pdf) sur 148 PME néerlandaises a montré que celles-ci étaient assez susceptibles de faire breveter leurs innovations internes et de ne pas les partager, alors que les individus qui travaillent dans des espaces similaires font l’inverse : ils n’ont pas l’habitude de recourir à une protection intellectuelle et au contraire, ont plutôt tendance à partager les processus qu’ils mettent au point. Un constat qui souligne bien la différence de comportement entre individus et entreprises.

Au cours de la discussion qui a suivi la présentation, von Hippel rappelle une anecdote.

Aux premiers jours de l’internet, les voyageurs avaient tendance à démonter leurs téléphones dans les hôtels où ils passaient pour relier leurs ordinateurs aux premiers serveurs. Les hôtels ont réagi en mettant des vis inviolables sur leurs téléphones. Alors, les voyageurs ont commencé à se munir de tournis spéciaux… Puis les hôtels ont enfermé les téléphones dans des boîtes, etc.

Cette escalade de barrière à l’encontre des utilisateurs fait dire à von Hippel que certaines entreprises n’aiment pas l’innovation des utilisateurs, alors qu’elles devraient plutôt inspirer à ouvrir de nouvelles opportunités de marché, de services. Selon lui, il est assez étrange que nous attendions des fabricants qu’ils innovent : nous devrions plutôt attendre d’eux qu’ils fabriquent de manières efficaces et qu’ils sachent mieux se tourner vers leurs utilisateurs pour concevoir des innovations à leurs produits et services.

Dans la discussion, Terry Fisher, qui s’intéresse à ces questions, suggère d’une manière provocatrice que ces constats ne nécessitent pas de réforme de la propriété intellectuelle, puisque les utilisateurs qui innovent n’y ont pas recours. Selon lui, nous devrions plutôt trouver des façons pour s’assurer que les utilisateurs soient crédités de leurs innovations plutôt qu’ils en soient dédommagés.

>>>Article initialement publié sur Internet Actu.net sous le titreEric von Hippel : il y a 2 à 3 fois plus d’innovations de la part des consommateurs qu’il n’y en a dans l’industrie”

>>Crédits photo sur Flickr en licence Creative Commons : Xurxo Martínez opensourceway ; Rafal Kiermacz

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La plateforme Web http://owni.fr/2010/10/06/la-plateforme-web/ http://owni.fr/2010/10/06/la-plateforme-web/#comments Wed, 06 Oct 2010 13:05:28 +0000 Karl Dubost http://owni.fr/?p=30558

I have found that, having started this set of notes in 1990 in the (for me) novel medium of hypertext, it has been difficult to tear free of it: my attempts to lend hierachical or serial order have been doomed to failure. Further, as ideas and these web pages have evolved, it has been important for me to be able to reorganize my thoughts, grab a new leaf, shake the tree and regard it as the root. So the reader needs to be aware of this, that each page may be an attempt to put across a given concept serially, but if you are looking for an order of concepts and subconcepts, you have as much hope as you would with words in the dictionary.

Berners-Lee, Tim,
Design Issues, Preface

Le Web public n’a que 17 ans. C’est peu si on le compare au cinéma (technique des images animées) ou au livre (technique des textes imprimés). Mais il existe déjà une mythologie à son propos portée autant par ses détracteurs que par ses passionnés. Chaque personne y ajoute son brin d’histoire, d’approximation ainsi que de prédictions. Cet article va donc me servir de document de référence pour le futur. Il ne se veut pas polémique.

Une définition du Web

Le Web est défini dans le document d’Architecture du Web (version originale) traduit en français par Frédéric Laurent

Le World Wide Web (WWW ou plus simplement le Web) est un espace d’informations composé d’éléments caractérisés par identifiants globaux, nommés des identifiants de ressource uniforme [ndt. Uniform Resource Identifier](URI).

Ce paragraphe de l’introduction est très important. Le Web repose sur des « choses » qui sont identifiées par des « URIs. »

L’introduction se poursuit et définit « les trois bases architecturales du web »

Les interactions sont définies par un protocole. Les protocoles sont nombreux. Notez que le document d’architecture Web utilise dans tous les exemples HTTP, mais le document ne limite pas les interactions au protocole HTTP. FTP, SMTP, etc. sont d’autres protocoles utilisables.

Les formats correspondent à la représentation des données identifiées (URI) d’une ressource. Le document d’architecture du web est clair. Il « ne contraint pas les fournisseurs de contenu sur la nature des formats qu’ils peuvent employer. » C’est à dire tout comme HTTP n’est pas le seul protocole utilisable, HTML n’est pas le seul format. Pensez par exemple à Atom, SVG, RDF, etc.

Conclusion : la pièce essentielle de l’architecture du Web est l’URI. Cependant il est très courant d’utiliser HTTP pour les interactions et HTML pour les formats.

Les mythologies

La mort du Web

On ne compte plus les funérailles du Web. Non pas que cela n’arrivera pas un jour, mais que les annonces se veulent toutes sensationnelles et très précoces. J’ai écrit un article sur la signification de l’Open Web. L’article récent de Wired dont beaucoup de gens parle est idiot, lire le contre-article de Rob Beschizza ainsi que cette vidéo hilarante Wired Magazine is dead.

Le Web et les applications propriétaires

Plusieurs fois, j’ai lu sur les applications propriétaires étant l’antidote du Web. C’est complètement orthogonal. Les applications propriétaires ont toujours été là. Il y a de nombreux serveurs qui fonctionnent sous la technologie serveur (propriétaire) de Microsoft. Pourtant le Web est toujours utilisable. Les applications mobile dans les tentatives de jardin clos de Apple et autres ne sont que des applications qui font partie de l’écosystème. Certaines utilisent le Web, d’autres non. Rappelez-vous… utilisez le Web c’est utiliser les URIs, un protocole d’interactions et des formats. Les applications Web mobiles qui utilisent des URIs sont en interactions avec un serveur. Il est tout à fait possible de recréer les mêmes interactions sur son desktop ou sur son serveur en jouant avec l’API du service.

Le Web et les brevets

Le danger des développements propriétaires ne se trouvent pas au niveau logiciel mais bien au niveau des formats, protocoles, etc. C’est à dire des couches élémentaires de la technologie. Les brevets sont une véritable menace pour le Web, pas les « environnements clos » et les « applications propriétaires. » Un autre danger est le monopole d’entreprise. Lorsqu’une entreprise devient trop grosse et maîtrise la majorité des interactions, il y a danger d’influence. Cependant la jeune histoire du Web nous montre que le phénomène s’est régulé. Il y a une époque ou la page de NCSA What’s New? récoltait la majorité du trafic, puis ce fût la page d’accueil de Yahoo! ainsi que la page d’accueil de Netscape, etc.

Le Web est un rêve utopiste

Il n’est pas plus utopiste, que pédophile, que nazi, que hippie, etc. C’est une technologie qui permet l’échange d’information de manière distribuée et décentralisée. Elle est relativement robuste, car un lien peut casser sans que l’ensemble du système soit en péril. Son architecture technologique crée des interactions qui donnent la possibilité de s’extraire des systèmes centralisés et parfois de les déstabiliser. Ce n’est pas une volonté politique de la technologie, c’est juste la façon dont elle est construite.

Le Web est ce qui se passe dans le navigateur

Non. Le Web fonctionne avec de nombreuses applications hors le navigateur. Lorsque vous utilisez un logiciel client particulier utilisant une API communiquant par HTTP pour échanger des morceaux d’information identifiés par des URIs, vous utilisez le Web, même si cela veut dire que le protocole, le format et l’identifiant vous sont complètement opaques.

Le Web est HTML

Non. Le HTML est un format, conteneur de données, qui permet éventuellement de donner une représentation d’une ressource identifiée par une URI. Le HTML peut-être utilisé en dehors du Web. L’aspect pratique du html est que c’est un format hypertexte, c’est à dire qu’il prolonge l’interaction.

Protocole et interactions riches

Il existe des possibilités de protocoles et d’interactions riches : Annotea (développement arrêté), Salmon Protocol, etc. ceux-ci utilisant l’architecture Web.

>> Article publié initialement sur La Grange en Creative Commons By-nc-sa

>> Illustration FlickR CC : Bogdan Suditu

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ACTA: quatre lettres qui pourraient changer la face du monde http://owni.fr/2010/09/14/acta-quatre-lettres-qui-pourraient-changer-la-face-du-monde/ http://owni.fr/2010/09/14/acta-quatre-lettres-qui-pourraient-changer-la-face-du-monde/#comments Tue, 14 Sep 2010 10:48:08 +0000 Sandrine Bélier http://owni.fr/?p=28038 A une semaine du prochain round des négociations ACTA qui reprendront à Tokyo le 23 septembre, l’eurodéputée écologiste Sandrine Bélier rappelle, en dépit des propos rassurants tenus par la Commission européenne, l’urgence qu’il y a à se mobiliser contre un texte qu’elle juge, tant sur la forme que sur le fond, inacceptable en l’état. Contournement des processus démocratiques en vigueur, mise en danger des libertés publiques, entrave à l’accès aux savoirs et aux médicaments, brevetabilité du vivant, fragilisation des activités économiques en ligne… La liste, particulièrement préoccupante, est non exhaustive…

Peut-on imaginer en 2010, qu’un petit groupe d’États décide, en dehors de tout cadre institutionnel et au mépris des règles démocratiques les plus élémentaires, de restreindre nos libertés numériques, notre accès à l’information, aux savoirs, aux médicaments? Peut-on imaginer qu’un petit groupe d’États légifère de telle sorte que le devenir de ces droits ne dépende demain plus – ou presque – que du bon vouloir de grandes firmes internationales?

La chose paraît raisonnablement improbable et impossible, à quatre lettres près : A.C.T.A (Anti-Counterfeiting Trade Agreement). ACTA, le traité négocié depuis plus de deux ans dans le plus grand secret par les États-Unis, l’Union européenne (Conseil et Commission sans le Parlement, exclu des négociations), l’Australie, le Canada, la Corée, le Japon, le Maroc, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, Singapour et la Suisse.

La motivation affichée par les négociateurs: harmoniser et renforcer la lutte internationale contre la contrefaçon. Mais le contenu du texte qui a «malencontreusement» commencé à «fuiter» dès le 22 mai 2008, grâce au désormais célèbre Wikileaks, révèle une tout autre réalité et explique la chape de plomb qui pèse sur les négociations et contre laquelle se mobilise depuis, associations de protection des libertés civiles, parlements nationaux et européen.

Le traité secret des grands de ce monde

Les négociations ACTA se poursuivent dans le plus grand secret, sans aucun contrôle parlementaire ou consultation de la société civile et ont volontairement cours en dehors de toute institution internationale compétente, comme pourraient l’être l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) ou l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle). Le Parlement européen, désormais partie prenante aux engagements internationaux de l’Union européenne, est lui aussi soumis au secret, malgré ses demandes répétées de transparence.

Outre de rares débriefings oraux, obtenus sous pression parlementaire, Luc Devigne, négociateur pour l’Union européenne et Karel de Gucht, commissaire européen au Commerce s’obstinent à fuir l’obligation de transparence envers le Parlement que leur impose pourtant le Traité de Lisbonne et qui leur a encore été rappelée par les eurodéputés lors de l’adoption, la semaine dernière, de la Déclaration 12. On nous objecte que les membres de la commission parlementaire INTA (Commerce International) ont reçu les deux dernières versions du texte, en juillet et en août.

Mais nos collègues sont soumis à l’obligation de confidentialité. Et chacun des exemplaires distribués est personnalisé et numéroté, page après page, dans toute sa hauteur, afin de palier tout risque de (photo)copie et à des fins d’identification de tout parlementaire contrevenant… Excluant de fait, les membres des commissions parlementaires LIBE (Libertés publiques), JURI (juridiques) et ENVI (Environnement et Santé) de l’accès à l’information et du droit d’expression, au risque de mettre en porte-à-faux leurs collègues d’INTA.

En d’autres termes, à ce jour officiellement, ne siégeant pas dans la Commission INTA, malgré mon statut de députée européenne, représentante des citoyens européens, appelée dans l’avenir à voter sur cet accord touchant à des sujets sur lesquels je suis particulièrement engagée, je ne suis donc pas censée connaître et m’exprimer sur la dernière version de la négociation dont l’accès ne m’est pas autorisé… c’est sans compter sur la pugnacité de la société civile organisée.

Le traité qui pourrait bien changer la face du monde

Fuites après fuites, obtenues grâce à la persévérance d’associations comme la Quadrature du Net ou la Knowledge Ecology International, il apparait que la négociation visant à lutter contre la contrefaçon prend une dimension qui dépasse largement la simple protection des marques sur des biens matériels – contrairement aux engagements de la Commission européenne. La définition et le champ d’application de la contrefaçon est largement revisité.

Par lutte contre la contrefaçon, les négociateurs américains cherchent avant tout à renforcer la protection du copyright, des droits d’auteur et du droit des marques. La Commission européenne et les États membres de l’Union, via le Conseil, souhaitent quant à eux aller encore au-delà en y adjoignant les indications géographiques (visant la protection des AOC) et les brevets dans les domaines de l’informatique, pharmaceutique ou alimentaire.

Cela implique que tout produit couvert d’un droit de propriété intellectuelle pourrait, sur seule présomption de contrefaçon, être saisi, voire détruit en douane. Pourraient être saisis et détruits les produits d’exportation agricoles suspectés de contenir un gène breveté – même issu d’une production conventionnelle ou biologique, végétale ou animale, victime d’une contamination OGM. Le risque est le même pour les produits pharmaceutiques et particulièrement pour les médicaments génériques.

En matière informatique, l’avenir du logiciel libre serait particulièrement menacé par l’article 2.18§6, le seul développement d’un lecteur de DVD sous Linux nécessitant, pour exemple, le contournement des Digital Rights Management.

Côté web, tout Internaute également soupçonné de piratage pourrait être poursuivi. La responsabilité de son fournisseur d’accès Internet (FAI) ou de tout autre intermédiaire être engagée. Outre une coopération renforcée avec les ayants droit demandée aux intermédiaires, l’article 2.5 prévoit en effet, «dans certaines conditions» (bien évidemment non précisées…), qu’il peut leur être demandé de participer directement à la prévention de «toute infraction imminente aux droits de la propriété intellectuelle»…

Nouvelle gouvernance et remise en cause des acquis démocratiques, privatisation des savoirs et du vivant, fragilisation de l’accès aux médicaments, grandes oreilles, filtrage et blocage du Net, voilà un aperçu du nouveau monde selon ACTA, si nous ne nous y opposons pas !

Illustration CC par Geoffrey Dorne

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http://owni.fr/2010/09/14/acta-quatre-lettres-qui-pourraient-changer-la-face-du-monde/feed/ 6
Hacker la vie http://owni.fr/2010/06/14/hacker-la-vie/ http://owni.fr/2010/06/14/hacker-la-vie/#comments Mon, 14 Jun 2010 10:05:02 +0000 aKa (Framasoft) http://owni.fr/?p=18559 Grande première : des chercheurs américains sont récemment parvenus à créer une cellule bactérienne vivante dont le génome est synthétique.

Il n’en fallait pas plus pour que la presse vulgarise l’évènement en nous posant cette spectaculaire question : et si l’homme venait de créer la vie ?

C’est aller un peu vite en besogne nous précise le célèbre scientifique français Joël de Rosnay : « Craig Venter, l’auteur de la fameuse publication dans Science, n’a pas créé la vie, il a fait un copier coller du génome d’une bactérie qui existe dans la nature ». Mais il reconnaît cependant que « c’est la première fois qu’un être vivant n’a pas d’ancêtre, qu’il a pour père un ordinateur ».

Nous voici donc en présence d’un être vivant dont le père serait partiellement un ordinateur. Or qui manipule cet ordinateur ? Craig Venter et son équipe, et si l’homme est avant tout un biologiste c’est également un homme d’affaire, ce ne sont pas des fonds publics mais privés qui financent ses recherches. Ainsi Le Monde nous révèle que « Venter, qui aurait déjà investi 40 millions de dollars dans ce projet, a déposé un portefeuille de brevets pour protéger son concept de Mycoplasma laboratorium, hypothétique machine à tout faire des biotechnologies ».

Une vie qui n’est alors qu’information et données entrées dans un ordinateur mais dont l’exploitation et l’accès sont strictement contrôlés et réservés aux entreprises qui l’ont enfantée. Cela ressemble à de la mauvaise science-fiction. C’est pourtant peut-être le monde qui nous attend demain. Et l’Apocalypse arrivera plus tôt que prévu[1].

Sauf si… sauf si on insuffle là aussi un peu d’esprit « open source », nous dit cet article du The Economist traduit ci-dessous.

Avoir ou non la possibilité de « hacker la vie », telle sera l’une des questions fondamentales de ce siècle.

Et l’homme créa la vie…

And man made life

20 mai 2010 – The Economist Newspaper
(Traduction Framalang : Martin, Olivier et Don Rico)

La vie artificielle, porteuse de rêves et de cauchemars, est arrivée.

Créer la vie est la prérogative des dieux. Au plus profond de sa psyché, malgré les conclusions rationnelles de la physique et de la chimie, l’homme a le sentiment qu’il en est autrement pour la biologie, qu’elle est plus qu’une somme d’atomes en mouvement et en interaction les uns avec les autres, d’une façon ou d’une autre insufflée d’une étincelle divine, d’une essence vitale. Quel choc, alors, d’apprendre que de simples mortels ont réussi à créer la vie de façon artificielle.

Craig Venter et Hamilton Smith, les deux biologistes américains qui en 1995 ont démêlé pour la première fois la séquence d’ADN d’un organisme vivant (une bactérie), ont fabriqué une bactérie qui possède un génome artificiel – en créant une créature vivante sans ascendance (voir article). Les plus tatillons pourraient chipoter sur le fait que c’est seulement l’ADN d’un nouvel organisme qui a été conçu en laboratoire, les chercheurs ayant dû utiliser l’enveloppe d’un microbe existant pour que l’ADN fasse son travail. Néanmoins, le Rubicon a été franchi. Il est désormais possible de concevoir un monde où les bactéries (et à terme des animaux et des plantes) seront conçues sur ordinateur et que l’on développera sur commande.

Cette capacité devrait prouver combien l’Homme maîtrise la nature, de façon plus frappante encore que l’explosion de la première bombe atomique. La bombe, bien que justifiée dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, n’avait qu’une fonction de destruction. La biologie, elle, s’attache à « mettre en culture » et « faire croître ». La biologie synthétique, terme sous lequel on regroupe cette technologie et des tas d’autres moins spectaculaires, est très prometteuse. À court terme, elle devrait permettre d’obtenir de meilleurs médicaments, des récoltes moins gourmandes en eau (voir article), des carburants plus écologiques, et donner une nouvelle jeunesse à l’industrie chimique. À long terme, qui peut bien savoir quels miracles elle pourrait permettre d’accomplir ?

Vers la folie des hommes ?

Dans cette perspective, la vie artificielle semble être une chose merveilleuse. Pourtant, nombreux sont ceux qui verront cette annonce d’un mauvais œil. Pour certains, ces manipulations relèveront plus de la falsification que de la création. Les scientifiques n’auraient-ils plus les pieds sur terre ? Leur folie conduira-t-elle à l’Apocalypse ? Quels monstres sortiront des éprouvettes des laboratoires ?

Ces questionnements ne sont pas infondés et méritent réflexion, même au sein de ce journal, qui de manière générale accueille les progrès scientifiques avec enthousiasme. La nouvelle science biologique a en effet le potentiel de faire autant de mal que de bien. « Prédateur » et « maladie » appartiennent autant au champ lexical du biologiste que « mettre en culture » et « faire croître ». Mais pour le meilleur et pour le pire, nous y voilà. Créer la vie n’est désormais plus le privilège des dieux.

Enfants d’un dieu mineur

Il est encore loin le temps où concevoir des formes de vie sur un ordinateur constituera un acte biologique banal, mais on y viendra. Au cours de la décennie qui a vu le développement du Projet Génome Humain, deux progrès qui lui sont liés ont rendu cet événement presque inévitable. Le premier est l’accélération phénoménale de la vitesse, et la chute du coût, du séquençage de l’ADN qui détient la clé du « logiciel » naturel de la vie. Ce qui par le passé prenait des années et coûtait des millions prend maintenant quelques jours et coûte dix fois moins. Les bases de données se remplissent de toutes sortes de génomes, du plus petit virus au plus grand des arbres.

Ces génomes sont la matière première de la biologie synthétique. Tout d’abord, ils permettront de comprendre les rouages de la biologie, et ce jusqu’au niveau atomique. Ces rouages pourront alors êtres simulés dans des logiciels afin que les biologistes soient en mesure de créer de nouvelles constellations de gènes, en supposant sans grand risque de se tromper qu’elles auront un comportement prévisible. Deuxièmement, les bases de données génomiques sont de grands entrepôts dans lesquels les biologistes synthétiques peuvent piocher à volonté.

Viendront ensuite les synthèses plus rapides et moins coûteuses de l’ADN. Ce domaine est en retard de quelques années sur l’analyse génomique, mais il prend la même direction. Il sera donc bientôt à la portée de presque tout le monde de fabriquer de l’ADN à la demande et de s’essayer à la biologie synthétique.

C’est positif, mais dans certaines limites. L’innovation se porte mieux quand elle est ouverte à tous. Plus les idées sont nombreuses, plus la probabilité est élevée que certaines porteront leurs fruits. Hélas, il est inévitable que certaines de ces idées seront motivées par une intention de nuire. Et le problème que posent les inventions biologiques nuisibles, c’est que contrairement aux armes ou aux explosifs par exemple, une fois libérées dans la nature, elles peuvent proliférer sans aide extérieure.

La biologie, un monde à part

Le club informatique Home Brew a été le tremplin de Steve Jobs et d’Apple, mais d’autres entreprises ont créé des milliers de virus informatiques. Que se passerait-il si un club similaire, actif dans le domaine de la biologie synthétique, libérait par mégarde une bactérie nocive ou un véritable virus ? Imaginez qu’un terroriste le fasse délibérément…

Interdire pour guérir ?

Le risque de créer quelque chose de néfaste par accident est sans doute faible. La plupart des bactéries optent pour la solution de facilité et s’installent dans de la matière organique déjà morte. Celle-ci ne se défend pas, les hôtes vivants, si. Créer délibérément un organisme nuisible, que le créateur soit un adolescent, un terroriste ou un État-voyou, c’est une autre histoire. Personne ne sait avec quelle facilité on pourrait doper un agent pathogène humain, ou en choisir un qui infecte un certain type d’animal et l’aider à passer d’une espèce à une autre. Nous ne tarderons toutefois pas à le découvrir.

Difficile de savoir comment répondre à une telle menace. Le réflexe de restreindre et de bannir a déjà prouvé son efficacité (tout en restant loin d’être parfait) pour les armes biologiques plus traditionnelles. Mais celles-ci étaient aux mains d’états. L’omniprésence des virus informatiques montre ce qu’il peut se produire lorsque la technologie touche le grand public.

Ouvrir pour prévenir ?

Les observateurs de la biologie synthétique les plus sensés favorisent une approche différente : l’ouverture. C’est une manière d’éviter de restreindre le bon dans un effort tardif de contrer le mal. Le savoir ne se perd pas, aussi le meilleur moyen de se défendre est-il de disposer du plus d’alliés possible. Ainsi, lorsqu’un problème se présente, on peut rapidement obtenir une réponse. Si l’on peut créer des agents pathogènes sur ordinateur, il en va de même pour les vaccins. Et à l’instar des logiciels open source qui permettent aux « gentils sorciers » de l’informatique de lutter contre les « sorciers maléfiques » (NdT : white hats vs black hats), la biologie open source encouragerait les généticiens œuvrant pour le bien.

La réglementation et, surtout, une grande vigilance seront toujours nécessaires. La veille médicale est déjà complexe lorsque les maladies sont d’origine naturelle. Dans le cas le la biologie synthétique, la surveillance doit être redoublée et coordonnée. Alors, que le problème soit naturel ou artificiel, on pourra le résoudre grâce à toute la puissance de la biologie synthétique. Il faut encourager le bon à se montrer plus malin que le mauvais et, avec un peu de chance, on évitera l’Apocalypse.

Billet initialement publié sur Framablog sous le titre “Et l’homme créa la vie… mais déposa un brevet dans la foulée”.

Crédit Photo CC Flickr:  _ Krystian PHOTOSynthesis (wild-thriving) _.

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http://owni.fr/2010/06/14/hacker-la-vie/feed/ 2
Passage à l’ACTA ? http://owni.fr/2010/02/01/passage-a-l%e2%80%99acta/ http://owni.fr/2010/02/01/passage-a-l%e2%80%99acta/#comments Mon, 01 Feb 2010 17:35:19 +0000 Stéphane Favereaux http://owni.fr/?p=7508 Quand la blogosphère technophile ou geek frémit, le net s’éveille. ACTA. ACTA est sur toutes les lèvres, tous les blogs, tous les posts techno… 39 Etats tendent à vouloir s’entendre pour prendre des mesures pour lutter plus efficacement contre la contrefaçon. Depuis le mardi 26 janvier, au Mexique, les discussions vont bon train. Le piratage des biens culturels rentre toujours plus dans le cœur des débats. Loppsi 2, Hadopi 2, Zelnik, la décision italienne de mettre sous coupe réglée les blogueurs trop zélés dans leur lutte contre le gouvernement … les outils liberticides ne manquent pas pour surveiller le Net.

Voilà maintenant que l’on nous sert sur un plateau ACTA…

L’inquiétude est grande face à cet Anti-Counterfeiting Trade Agreement. Les discussions en cours devant mener à la ratification de cet Accord commercial Anti-Contrefaçon posent pour de nombreux blogueurs les raisons d’une lutte aussi ardue que celle menée contre Loppsi 2 (revenant sur la scène publique de plus en plus vide de sens) ou Hadopi 2.

Si le rapport Zelnik se mettait en place dans le plus grand secret, il en va de même pour cet Accord classé Secret Défense, pratiquement … Le culte du secret d’accords concernant l’ensemble des internautes ouvre toujours la porte à toutes les rumeurs, plus ou moins fondées, à toutes les spéculations, plus ou moins basées sur des faits réels.

Il est patent que dans cette affaire, de nombreux pays tels l’Australie, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande, le Mexique, la Jordanie, le Maroc, Singapour, les Etats-Unis, l’Union européenne, la Suisse, le Japon, les Emirats Arabes Unis et le Canada, essaient de s’accorder depuis 2007. Autant dire l’ensemble des pays développés. L’ensemble des pays dans lesquels les internautes, en massent téléchargent, piratent /-) et font parfois fi des droits d’auteurs.

Rappels

Ce traité incluant les droits d’auteur, entre autres, poserait donc les bases d’une nouvelle réglementation web internationale. On peut donc se poser la question de savoir si ACTA mettra plus ou moins le net sous surveillance à la façon de l’inapplicable Hadopi en France.

La «puissance» de la Hadopi a pu en effrayer, ce ne fut guère le cas du réseau des Pirates, et ce que l’on sait le l’ACTA n’est a priori guère plus effrayant. Le Net ne semble pas devenir le télécran d’Orwell à la vue des infos qui filtrent des débats et des entretiens menés par ces pays ou ces organisations.

L’un des principaux but de cet accord sera l’harmonisation de la manière dont les États fortement connectés et ceux qui vont l’être toujours plus pourront lutter contre la contrefaçon on-line de films, vidéos, musiques, livres, bref de l’ensemble des biens culturels, mais aussi de lutter contre les expressions plus classiques de la contrefaçon : mode, médicaments, pièces automobiles, etc… Le délit de contrefaçon existe, quoi qu’il en soit, déjà dans le dispositif hadopi 2 en France…

Parmi les mesures clairement identifiées par les documents laissés à «disposition» par l’UE :

> L’obligation pour les FAI de mettre à mal la loi Informatique et Libertés, entre autres, en fournissant sous mandat judiciaire l’identité de l’internaute et son IP … la suspicion risque de s’étendre à nombre d’internautes. De plus, les amateurs de gestion de proxy savent déjà passer outre les barrières que ces lois ou accords veulent mettre en vigueur…

> Les ayants-droits pourraient avoir accès à nos données personnelles sans passer par la case justice … ce qui sur les terres d’Hadopi relève du cynisme le plus odieux.

> Les douaniers pourront débarrasser les voyageurs de leurs ordinateurs, de leurs MP3 ou DDE contenant des fichiers pirates. S’il ne fait aucun doute que ce soit techniquement faisable, quid du respect de la vie privée ? De fait, prévoir du temps lors des passages aux frontières si vous avez un DDE de 1To!! Pour les vols vers les Etats-Unis, prévoir deux jours avant l’embarquement !

> Les sanctions pour la violation des DRM seront accrues

De fait, l’ACTA a priori veut avant tout faire peur. Elle se veut dissuasive. Mais chaque mesure énoncée ne peut être systématisée, faute de quoi, on ne peut plus vivre, échanger, parler, se déplacer. Ou alors, il suffira de ne plus avoir de matériel techno sur soi… à tout le moins de les alléger de leurs contenus piratés. De plus, il est patent que fouiller tous les disques durs y compris externes et les MP3 de la planète lors des passages aux douanes relève de la gageure. Qui plus est, il paraît difficile de prouver que tel ou tel fichier est piraté à moins d’avoir sur soi toute sa CDtèque, DVDtèque… les suppléments bagages vont s’accumuler dans les aéroports …

Secret ≠ paranoïa

Ce qui pose ouvertement problème, c’est la criminalisation du téléchargement et encore une fois des mesures qui vont à l’encontre de la logique technologique que nous connaissons tous.

Mettre dans le même accord sous le même blanc-seing judiciaire et policier un médicament pouvant être mortel, un sac à main et un fichier MP3 pose tout de même question. Le rapport de moyens à fin n’est-il pas totalement délirant? L’objet du délit que constitue un fichier contrefait ne peut être comparé à une industrie du faux médicament quand bien même il existe des internautes ayant monté l’échange de fichiers pirates au niveau industriel. Le niveau de dangerosité est tout de même moindre… sauf pour les producteurs et diffuseurs fermant les yeux devant la dématérialisation des supports.

C’est un fait de plus pouvant amener à penser que ACTA deviendra par la force des choses et le pragmatisme nécessaire dans ce type d’affaire, difficile à mettre en œuvre . On peut même aller jusqu’à penser que ACTA sera mort-né.

Mais… prudence est mère de sureté

Si à la lecture des informations filtrant des discussions tend à se mettre en place une nième attaque contre la vie privée des internautes, contre les libertés fondamentales dont nous disposons tous, et ce avec l’aval de la communauté internationale, il est donc normal et légitime que ReadWriteWeb s’en inquiète en posant la question de ce que pourrait être les changements de la face d’Internet.

Les actes de censures, les volontés de contrôle des autorités chinoises sur Internet, l’affaire Google, participent de ce climat ambiant délétère où le Net est en train d’évoluer. Défendre ses libertés apparaît toujours plus nécessaire et nous devons poursuivre ces luttes entreprises depuis 2007, voire même avant. Cela se pose comme un fait indiscutable. Mais il ne faut en aucun cas hurler au loup!

Le retour sur le devant de la scène de Loppsi 2 nous montre cette Loi d’Orientation toujours plus vidée de sa substance; Hadopi 2: idem puisque, dans les faits, nous l’avons souvent dit ici, ce texte sera inapplicable.

Gageons que le destin de ACTA soit globalement similaire …

Qui plus est, les désaccords entre les Etats, même s’ils sont peu nombreux dans les négociations de ce traité, portent sur deux points particulièrement sensibles:
> les garanties concernant la protection de la vie privée des citoyens. En France, la CNIL a bloqué Hadopi sur cette question en décembre dernier.

> l’extension des pouvoirs des douaniers, défendue principalement par les Etats-Unis.

Sur ce dernier point, et considérée la paranoïa territoriale ambiante outre-Atlantique, il fallait s’y attendre. De plus, la portée réelle, effective, de ce traité est plus qu’incertaine.

La Chine, le Brésil, l’Inde et d’autres pays émergents ne participent pas aux négociations et rien n’est encore établi quant à l’intégration simplifiée dans cet accord pour ces pays. Quant au volet Web de l’accord, pour la Chine, il ne peut pas être pire que ce que le Net chinois est actuellement ! De fait, pourquoi le ratifierait-il ? Quand à la contrefaçon des produits industriels, c’est tout de même la Chine entre autres qui en inonde le monde … bel ironie si ce pays adopte l’accord. Il est vrai que le cynisme politique est sans limite de l’autre côté de la muraille.

Unilatéralité

Ce qui pose réellement problème donc, tout comme ce fut le cas avec la commission Zelnik, c’est qu’encore une fois, aucune association d’internautes n’est conviée à la table des débats. Et sur ce point, s’inquiéter est légitime. La Quadrature du Net s’émeut avec force du culte du secret. Ce qui est sûr, toutefois, selon le parlement européen, c’est que «(…) <span L’analyse de la Commission confirme que le document de travail actuel de l’ACTA restreindrait profondément les droits et<span libertés des citoyens européens (…)».

Loin d’en être au round final, l’ACTA doit être envisagée sereinement en tenant compte des leçons Loppsi et Hadopi, entre autres. Le huitième round de négociations doit se tenir en Nouvelle-Zélande et une signature «définitive» pourrait avoir lieu avant fin 2010.
En dépit des annonces faites, des libertés visiblement amoindries, il faut continuer d’être vigilant, lutter pour conserver nos libertés individuelles, pour faire en sorte que le Net ne soit pas un produit soumis à des règles marchandes mais un réel espace de liberté et d’expression libre.
Toujours est-il qu’en tout état de cause, ACTA pourrait être tout à fait similaire à ses prédécesseurs légaux français et ne faire débat que dans la mesure où la chose réinitialise des peurs liées à ce que nous savons être inapplicable.
S’il est nécessaire, encore une fois, de lutter pour défendre nos libertés, rester anarnautes, et ne pas «laisser faire» les Etats quant à la pénalisation systématique du web, il faut aussi parfois se rendre à l’évidence: à mesure que l’on découvre ce que sera ACTA, cet accord apparaît toujours plus comme un bel exemple de non débat où l’unilatéralité crée les conditions de l’impossible, de l’anti-constitutionnalité, des frayeurs entretenues dans les médias ou sur la blogosphère.

> Illustration: CC par blogpocket sur Flickr


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