D’où vient notre fascination pour les faits divers ?
Les faits divers plus ou moins sordides se multiplient dans l’actualité récente. Un filon juteux exploité par les médias, mais qui repose sur des motivations puissantes du public.
Les faits divers sordides semblent occuper une place croissante dans l’actualité, comme en témoignent la tuerie de Nantes, ou la disparition des jumelles suisses il y a quelques temps. Claire Sécail, chercheuse du CNRS confirme cette intuition pour ce qui concerne en tout cas le traitement de l’actualité en télévision.
Mais il semble bien que les autres médias soient aussi de la partie. Pour Patrick Eveno, historien de la presse, interrogé par Rue89, il n ‘y a pas plus de faits divers qu’avant :
c’est la multiplication des canaux médiatiques qui explique le bruit médiatique beaucoup plus élevé autour des faits divers.
De fait, les journaux et pas seulement télévisés, n’hésitent plus à en faire la Une, reléguant les sujets internationaux ou de politique intérieure à une moindre place.
Cette hiérarchie de l’information glissante est dictée de toute évidence par des raisons économiques et de conquête d’audience. Mais le rôle des médias n’explique pas le succès des faits divers dont l’origine tient aux fonctions psychosociales majeures qu’ils remplissent.
1. Renforcer notre satisfaction existentielle
Nous éprouvons du plaisir à observer les souffrance ou le malheur des autres, car cela met en exergue notre situation privilégiée, par contraste. J’ai un boulot pénible, mais moins que cet ouvrier. Je suis peut-être fauché, mais au moins, je suis en bonne santé. J’ai des soucis professionnels, mais je ne suis la proie d’aucun drame majeur.
C’est l’un des ressorts essentiels du voyeurisme à l’œuvre dans les émissions de type “Bas les masques”, “Jour après jour” etc. De même est-ce l’un des facteurs du succès planétaire des fameux “Dallas” et autre “Dynastie”, comme le montre (entre autres choses) l’étude de Katz et Liebes dans les années 80. Les riches aussi souffrent, donc inutile d’envier ce monde d’argent finalement si malheureux, lui aussi.
Entendre les malheurs atroces qui touchent l’autre, c’est se rappeler qu’on a la chance de ne pas être soi-même une victime. Pour Michel Lejoyeux, professeur de psychiatrie à Bichat, c’est un mécanisme pour conjurer nos angoisses.
Une part non négligeable des informations que nous recherchons de manière générale a d’ailleurs pour but de conforter nos choix, nos valeurs, l’architecture mentale que l’on s’est construit. D’où la difficulté à convaincre l’autre dans les discussions dont le but premier est surtout de renforcer son système primaire, comme le rappelle Aymeric. D’où la stratégie d’évitement des messages contraires à ses opinions préalables, à se convictions ou à ses choix.
De la même manière, une part du plaisir lié aux films d’horreur consiste à se savoir précisément à l’abri. Idem pour la fascination vis à vis de ce qui est dangereux : les requins, les félins… Imaginer ou regarder ces souffrances atroces dont on ne sera jamais victime, c’est prendre conscience de la chance qu’on a, concrètement, physiquement… Il s’agit aussi un catalyseur d’angoisse – de là son succès auprès des ados -qui permet de la partager avec d’autres et de ne pas rester seul face à elle.
Fondamentalement selon Michel Lejoyeux, c’est la peur de la mort et “l’exigence sociale obsessionnelle de santé individuelle” qui explique cette fascination conjurationnelle pour la violence et les faits divers.
2. Éprouver une émotion à moindre coût
Par projection de soi, observer le malheur des autres, via la perte d’un être cher par exemple, c’est souffrir un peu soi-même, mais sans trop souffrir quand même. Nous éprouvons le sentiment potentiel de la douleur sans pâtir réellement de ses affres, ni en intensité, ni dans le temps. La tristesse est un sentiment qui n’est pas déplaisant, tant qu’il est mesuré et facilement réversible.
L’émotion, qui nous sort de nous même, nous déconnecte de la raison, par contagion affective est source de plaisir car elle nous fait lâcher prise, nous permet de nous laisser porter et de nous apitoyer sur nous-mêmes.
3. Célébrer notre égo
Oui, car à bien y réfléchir, notre propension à nous projeter en l’autre et à éprouver des sentiments de compassion n’est pas étranger à un certain égoïsme. À travers les malheurs de l’autre, c’est aussi soi-même que l’on pleure : quand je pense que cette famille nantaise pourrait être la mienne, quelle horreur…
L’empathie et la compassion ont finalement un lien assez fort avec l’égo, l’amour de soi. Ce qui n’est pas pour autant une critique dans la mesure où elles sont un premier pas vers la compréhension et l’amour d’autrui.
4. Se divertir
Les faits divers se prêtent particulièrement bien au story-telling de l’information, le feuilletonnage trépidant de l’actualité, avec ses mystères, ses rebondissements et l’épilogue espéré. Le cas de la disparition de la famille nantaise rassemble tous ces ingrédients qui nous maintiennent en haleine.
L’information devient fiction et nous divertit là encore, au sens de diversion qui nous éloigne des turpitudes et soucis de notre vie quotidienne.
5. Se socialiser
Le fait divers, en ce qu’il fait appel aux émotions et aux pulsions égotiques fondamentales (voir ci-dessus), intéresse tout le monde. C’est donc un sujet très efficace pour capter l’attention de son auditoire et susciter l’intérêt des autres.
Selon une étude britannique de 2006 [en, pdf] par ailleurs, nous semblons être meilleurs narrateurs lorsque nous racontons des potins, des faits très socialisants. Nos informations sont alors plus précises, plus complètes et mieux décrites.
Mais quand bien ne serait-ce pas le cas, nous avons moins besoin d’être efficaces, car l’attention de notre auditoire est déjà gagnée au départ par la simple nature du sujet. Le fait divers remplit donc une fonction sociale essentielle, de même que le potin people ou l’insolite.
Les médias, en s’appuyant sur des ressorts psychologiques puissants, accentuent sans nul doute le phénomène, davantage qu’ils ne l’expliquent. Dans leur course à l’audience, ils flattent les instincts naturels de leur audience. Il faut se demander cependant si cela n’a pas pour risque d’augmenter l’accoutumance et la désensibilisation émotionnelle. C’est à dire le besoin d’augmenter l’intensité du stimulus pour obtenir le même effet. En d’autres termes, relater des faits divers de plus en plus sordides ou spectaculaires pour maintenir l’attention du public ?
Article initialement publié sur le blog de Cyrille Franck Médiaculture
Crédit Photos Môsieur J. ; Steven Jambot
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