CIR : Bad news from the stars…

Le 11 novembre 2010

Alors que le crédit impôt recherche est remis en cause par certains, Jean-Michel Planche, le patron de Witbe, une entreprise du secteur numérique, défend son principe.

Il se trouve que, par le plus grand des hasards, j’étais à trente mètres de l’Assemblée Nationale, hier soir (billet publié le 21 octobre, ndlr), en compagnie de deux députés, alors que le sujet du CIR (Crédit d’impôt recherche) allait être raboté, pardon tranché.

Notre sujet du moment n’était pas celui là, mais j’ai apprécié l’opportunité qui m’était donnée d’être présent dans l’hémicycle, alors que des choses importantes se discutaient en prise directe avec l’avenir de nos sociétés et plus particulièrement, pardonnez mon égoïsme : avec « la mienne ».

L’avenir de nos sociétés ?

Diantre… Vous allez me dire que j’y vais fort.  Exagéré pour une mesure fiscale, non ?
Si l’avenir de nos sociétés est en danger, par une « même pas » disparition de la mesure, c’est peut-être que lesdites sociétés ne sont pas bien préparées et ne se développent pas sur de bons fondamentaux. (cela s’appelle dans le jargon de nos politiques « profiter de l’effet d’aubaine »)

Pour mieux comprendre, revenons à quelques idées simples, vues de ma fenêtre d’entrepreneur « de la chose numérique ». Je ne prétends pas détenir la vérité, être plus « intelligent » que toutes ces personnes qui se sont penchées sur le sujet. Je souhaite juste vous livrer la vision de quelqu’un qui subit depuis de nombreuses années « d’entreprenariat » des coups de frein venant de l’environnement économique, mais parfois aussi, avec surprise, de véritables aides. Je voudrais juste vous faire partager ma vision d’entrepreneur, légèrement concerné par le problème d’entreprendre en France ou plutôt depuis la France.

Avant de démarrer, quelques informations : je dois en être à ma troisième société « d’un peu de tenue » (et cinquième activité) créée en un peu plus de vingt ans. Cela représente quelques centaines d’emplois et beaucoup, beaucoup d’argent payé en impôts, taxes diverses, ISF, plus-values de toutes sortes. Lorsque je dis beaucoup d’argent, je parle de sommes avec sept zéros et en euro. Cela peut paraître modeste pour ceux qui côtoient fréquemment « les grands groupes »… mais à mon échelle je trouve que ce n’est pas si mal. Disant cela, je ne le regrette pas, c’est aussi une fierté d’avoir pu le faire.
Mon objectif n’est pas non plus de râler et me plaindre surtout dans le climat actuel et jeter l’hallali sur des « politiques qui n’y comprennent décidément rien ».

Mais ce n’est pas pour autant que je peux me taire, approuver la conclusion et dire merci.
Si personne ne dit jamais rien, les mêmes causes reproduiront les mêmes effets et jamais les choses ne changeront, car l’histoire bégaye. Vous le savez maintenant, depuis le temps que je l’écris…

Juste pour comprendre, commençons par expliquer le CIR. Il s’agit de l’abréviation du Crédit Impôt Recherche, qui n’est pas, à proprement parlé, une mesure nouvelle. (donc ce n’est pas encore de la faute de Sarko… )
Elle date de 1983, améliorée (sic) en 2004, modifiée (sic) en 2008 et à nouveau modifiée en 2010.

Que permet cette mesure ?

Vous le lirez plus précisément sur le site du ministère des finances, mais il faut savoir que pour les petites et moyennes entreprises, du secteur que je connais le mieux (le numérique), elle permet de diminuer de sa base imposable une partie de ses efforts de recherche. Nos « startups » ont une activité généralement fortement consommatrice de ressources humaines. Donc pouvoir déduire de ses impôts (sur les bénéfices), 75% des frais des collaborateurs affectés à la recherche, est ÉVIDEMMENT TRÈS INTÉRESSANT (je passe les détails avec le reste, car pour une PME, c’est à la marge).

Le seul problème est qu’habituellement, une startup… NE FAIT PAS DE BÉNÉFICE et même génère de la perte pendant un certain nombre d’années. En ce qui nous concerne, nous avons lourdement investi (de l’ordre de 14 millions d’euros), pendant de nombreuses années, pour passer le cap de la rentabilité … un peu plus de six ans (six ans !!) après notre création.

En clair… cette mesure est intéressante mais… INUTILE pour de nombreuses sociétés de notre secteur car… elles ne pouvaient pas faire grand-chose de ce « crédit d’impôt ». On avait bien la possibilité de se le faire rembourser sous trois ans, de le mobiliser et de se le faire financer, mais tout cela était compliqué, coûteux et hors de portée de la plupart de nos PME innovantes.
Aussi, le législateur, dans sa grande sagesse a modifié la loi en 2004 et 2008. Comprenant la différence entre les grands groupes, pour qui ces mesures semblaient avoir été écrites et les PME, qui développent une activité « from scratch », le législateur a permis de se voir REMBOURSER une partie de ce crédit d’impôt. Remboursé RAPIDEMENT !

Là… cela devient évidemment beaucoup plus intéressant et FORTEMENT INCITATIF à développer de l’emploi en France et à croire en la maison France. Là cela ne devient plus seulement une mesure d’optimisation fiscale (lire orientation fiscale)… c’est véritablement un outil de pilotage à moyen terme qui donne un signal clair et net… maintenons, développons de l’emploi qualifié, à forte valeur ajoutée en France : « Messieurs les entrepreneurs, aidez-nous, vous aussi à retenir les talents, car il n’y a pas que dans la Silicon Valley ou en Chine qu’ils peuvent s’exprimer. Prenez des risques, voyez à moyen et long terme et ne pensez pas qu’à votre compte de résultat à court terme. »

Quand je dis fortement incitatif… Je dois préciser pour éviter d’avoir des commentaires nous traitant de nantis, que cette mesure ne fait que corriger en partie le problème du coût du travail en France et tente d’éviter des délocalisations catastrophiques de matière grise… et de travail in fine. En effet, dans mon secteur, on ne compte plus les sociétés qui n’ont plus de R&D en France et qui sous-traitent dans les pays de l’Est, en Inde… pour évidement payer moins cher et rester compétitif… voir tout simplement rester en vie…

Une bonne mesure

Le CIR est une bonne mesure pour les entrepreneurs qui jouent le jeu. C’est même une mesure qui permet au pays France, malgré certains handicaps rédhibitoires de retrouver une compétitivité. À la marge, cela permet de tenter d’expliquer à nos investisseurs étrangers que notre choix politique de maintenir « à tout prix » (jeu de mot) une masse salariale importante en France n’est pas qu’anti-économique. En effet, un ingénieur qualifié ici va coûter de l’ordre de quatre à huit fois plus cher qu’ailleurs, à structure d’encadrement identique. En fait indépendemant du coût, la véritable raison est que nous avons ici des gens d’un talent incroyable, qui travaillent beaucoup mieux lorsqu’ils sont à proximité physique de la maison mère et non « déportés »/isolés dans je ne sais quel paradis avec plus ou moins de soleil.

Mais très concrètement, le CIR et le fait d’avoir un REMBOURSEMENT direct, de la part de l’État est une mesure qui outre le fait d’améliorer significativement votre résultat comptable (en ce qui nous concerne, nous passons d’un REX (résultat opérationnel) de 3% à un résultat net comptable de 13% grâce au CIR… améliore de façon très significative votre trésorerie. Je suppose que chacun le sait, la trésorerie est le nerf de la guerre pour (la plupart) les entreprises. En effet, l’un des problèmes des startups est leur BFR (Besoin en Fonds de Roulement). Nos sociétés sont caractérisées par de lourds investissements, une croissance non naturelle du chiffre d’affaires (à deux chiffres, voire trois) et donc… des tensions de trésorerie normales, que nous tendons à compenser par :

  • Un haut de bilan suffisamment musclé… et donc une exposition au risque et à la dilution qui peuvent prendre des proportions inquiétantes pour les entrepreneurs. Quand bien même, les arbres ne montent pas jusqu’au ciel et il n’y a guère qu’aux États-Unis ou en Asie où l’on peut voir des investisseurs qui investissent VRAIMENT dans les entreprises pour les doper… parfois un peu trop d’ailleurs.
  • Un bas de bilan fort… et ici, les principaux acteurs sont… les banques. Les banques doivent alors remettre de l’argent dans le dispositif et je vais peut-être vous apprendre quelque chose, mais ce n’est pas tout à fait naturel (lire facile) pour elles (ça ne l’a jamais été), surtout dans le contexte actuel. Qui plus est pour un public de « startups », dont le profil de risque n’est pas forcément le plus rentable à court terme pour elles. C’est d’ailleurs pour cela que d’autres mesures existent, grâce au concours d’OSEO et du Grand Emprunt… Je ne m’attarde pas, mais MERCI aussi pour cela, car c’est véritablement utile. Espérons que les Cassandre ne crieront pas trop vite au scandale.

Une mesure « rabotée »

La fête est finie, comme semblent le penser certains que j’ai pu entendre à l’Assemblée hier. Face au serrage de ceinture généralisé, face aux abus supposés ou vérifiés, des grands, des petits, des moyens… il a été décidé le rabotage et des modifications de règle du jeu qui ne me semblent pas de la meilleure intelligence et ceci malgré :

Je vous laisse tout découvrir, je ne vais rien commenter, mon billet est déjà trop long. Inutile de renchérir sur l’intérêt économique avéré du CIR, ni pourquoi nous sommes arrivés à une situation où le gouvernement dans son ensemble va à l’encontre de son intime conviction et demande même à un député de retirer ses amendements qui le défend. Député qui l’accepte pour sans doute éviter la honte de voir la majorité unie à l’opposition voter contre une mesure qu’il sent bien comme utile à défaut d’être indispensable.

Je mentionnerais juste la classe et le talent de Madame Lagarde, d’expliquer en séance qu’elle n’aimait pas ce projet (du raboteur, pardon, rapporteur : Monsieur Carrez), mais qu’elle voterait quand même pour.

Est-ce grave ?

Oui… et non, bien sûr. Bien sûr que l’on s’en remettra. Bien sûr que cela ne fait pas plaisir, mais dans le contexte d’austérité, on peut comprendre. On comprend moins quand on voit ce que le gouvernement va dépenser en foutaise… et on peut s’énerver quelque part…

Dans notre cas ce n’est pas FONDAMENTAL, nous n’allons pas mourir. Mais rapidement évaluée, l’incidence sera de quelques emplois (quatre à cinq) que nous ne créerons pas. À l’échelle de toutes les sociétés du numérique, je ne dirais pas du tout la même chose. Tous ces emplois, tout ce potentiel « rentré », cela risque de faire beaucoup d’emplois conditionnés. Conditionnés à une meilleure visibilité, conditionnés à la crainte de voir revenir le rabot et de supprimer progressivement cette mesure.

Ou plutôt de la voir sournoisement transformée au bénéfice de « l’industrie »… qui semble particulièrement bien traitée. Et oui… le rapporteur a eu le bon goût de nous faire passer la pilule en disant que la baisse de 75% à 50% des charges « humaines » de recherche allait largement être compensées par la prise en compte de 75% de l’outil industriel, nécessaire à ces mêmes travaux de recherche. Je vois bien ce dont il parle pour un groupe comme Renault, Sanofi… beaucoup moins bien déjà pour le secteur du numérique qui m’intéresse et dont je fais partie. Heureusement dans notre cas, nous avons besoin de beaucoup de matériel… mais c’est toujours sans commune mesure avec les charges salariales… qui est quand même ce qu’il faut favoriser, sauf erreur de ma part.

Les aigris peuvent être heureux

Ils ont gagné.
À trop expliquer que le CIR était une aberration car pour l’essentiel capté par les grands groupes, tout le monde à trinqué. Je ne parle même pas des irresponsables (je pèse mes mots) qui ont parlé « d’escroquerie aux fonds publics ».  Ne les oublions pas… surtout lorsque ces mêmes personnes viendront dans nos entreprises chercher des débouchés et du travail. Et même à 200% de subvention le jeune doctorant… la pilule a du mal à passer !

J’ai le sentiment désagréable d’être le dindon d’une farce que je n’aime pas. Aurais-je dû tricher, comme les autres, pour en « profiter » au maximum ?

Mais bon sang ! De quoi parle-t-on : de la création d’emplois hautement stratégiques et de la réussite de nombreuses sociétés en France ! Pas de se mettre de l’argent dans la poche et de gonfler artificiellement nos résultats.

Que le système ait été dévoyé par certains, je peux le comprendre, à défaut de l’admettre. De là à tout ramener à « la recherche » et à l’industrie, il y a un monde. Le mot « recherche » sonnait mal hier soir dans l’hémicycle. J’imaginais des gars en blouse blanche, travaillant autour de cyclotrons, focalisés sur la création de valeur et le leadership de la France au niveau international avant 62 ans… Je plaisante pour tenter de retrouver le sourire, car les chercheurs et surtout les physiciens … je les aime.
Le véritable sujet qui aurait dû nous animer tous est celui de CRÉER et MAINTENIR des COMPÉTENCES et des EMPLOIS hautement qualifiés en France qui sinon seront aspirés par… les sociétés nord-américaines bien connues. Sociétés qui déjà ont bien branché leurs tuyaux sur nos centres et nos écoles…

Pourquoi toujours travailler par incrément, mesurette sur mesurette et en finir pas tellement distordre la réalité que l’on se demande si nos députés ont une véritable vision de ce qu’il se passe sur le terrain ?

Très mauvais signal

Je l’ai dit… la clé est la CONFIANCE… et la confiance est fortement émoussée. On l’a dit, les entreprises ont besoin d’un cadre législatif, fiscal suffisamment stable pour pouvoir s’inscrire dans la durée. Nous savons nous adapter, bien sûr… mais les choses sont assez difficiles pour ne pas en rajouter. Qu’il faille faire des économies, j’en conviens… Mais la redistribution des cartes du tertiaire au profit du secondaire est un leurre et une fausse bonne idée, sur laquelle nous reviendrons, j’en suis certain. Encore des occasions manquées, encore des difficultés pour les entrepreneurs français et encore un frein à une croissance qu’il nous faut absolument conquérir, coûte que coûte.

C’est ensuite une erreur de communication, qui vient juste alors que le statut des Jeunes Entreprises Innovantes vient lui aussi d’être raboté.

Messieurs les politiques, vous ne pouvez pas ignorer d’où vient le dynamisme de notre pays. Laure de la Raudière, dans son intervention a rappelé le poids et le rôle du « numérique ». Ne cassez pas une dynamique qui tente de refonctionner après avoir été en crise grave et profonde tous les quatre ans depuis vingt ans !

Le numérique (avec l’artisanat) est l’endroit où il peut s’exprimer le plus de talents, où la croissance peut être la plus rapide car… les barrières à l’entrée sont les plus faibles. Le talent, l’intuition, un bon réseau de relation peuvent suffire parfois à faire des Google, des Amazon… mais aussi des Oléane par le passé, des Free, des Meetic, des vente-privee.com… etc.

Je l’ai dit, on ne peut pas jouer les uns contre les autres. Le sujet n’est pas de vouloir « punir » les grands groupes qui auraient abusé, le secteur des banques et de l’assurance qui auraient capté une part « indue » du dispositif, comme je l’ai entendu. Le sujet est d’avoir une dynamique POSITIVE et de faire travailler le pays ensemble, en développant un savoir faire national, une envie de réussite commune. Je peux rêver, mais ON A TOUT DANS NOTRE PAYS… sauf la volonté de travailler ENSEMBLE pour réussir, qui est la seule clé pour faire quelque chose de grand.

Arrêtons de tout casser, parce que les soutiers dans la cale ont mal aux mains à force de ramer à contre-courant.

Mise à jour :

  • tout d’abord, toute cette affaire permet de mettre à jour la définition du verbe raboter, qui revient sur le devant de la scène : c’est ici
  • ensuite, il n’y a pas que moi qui la trouve fort de café… notre secteur commence à se mobiliser, mais malheureusement trop tard. Il y a quelques semaines, je sentais que cela ne sentait pas bon… intuitivement (n’est-ce pas Laure ?). Mais impossible de faire grand-chose, la messe était déjà dite.
  • et puis surtout… la vidéo, rien que pour vous, des « évènements ». Visionnez et en dix minutes, je pense que vous aurez tout compris, si vous n’avez pas eu le temps de me lire.

Billet initialement publié sur Never give up !

Le Petit Poulailler bitzcelt et stevendepolo

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